Pour rédiger une nouvelle Constitution, une équipe composée d’éminentes personnalités à travers une commission a été mise en place par un décret du président de la transition. La commission présidée par maître Amadou Tiéoulé Diarra a quarante (40) jours pour rédiger une nouvelle Constitution.
Il serait souhaitable de mettre un peu d’ordre dans ce tohu-bohu. Là aussi, le Mali peut se mettre à l’école de certains pays comme le Ghana, l’Afrique du Sud et les États-Unis d’Amérique. La Constitution de la République du Ghana du 15 mai 1992 fixe la taille du gouvernement à 10 ministres au moins et 19 au plus (article 76), subordonne la nomination des membres du gouvernement à l’approbation préalable du Parlement et impose au président (article 78). La Constitution actuelle de la République sud africaine en vigueur, depuis le 1er juillet 1997, ne va pas jusqu’à déterminer la taille du gouvernement, mais elle impose au président de la République de choisir le vice-président et tous les ministres, à l’exception de deux (02) ministres seulement, au sein de l’Assemblée Nationale (article 91).
La Constitution du 25 février 1992 fait du président de la République un vrai monarque qui domine le jeu politique et en impose aux autres institutions de la République. Jugez-en vous-mêmes: il est la première institution de la République (article 25) et à ce titre, il incarne l’unité nationale et assure la continuité de l’État (article 29); il nomme le Premier ministre, et sur proposition de ce dernier, les autres membres du gouvernement, et il met fin à leurs fonctions (article 38); il préside le Conseil des ministres ( article 39); il nomme aux hautes fonctions civiles et militaires (article 46); il nomme le président de la Cour suprême (article84) et trois des neuf (9) membres de la Cour Constitutionnelle (article91); il peut prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale (article 42) alors que cette dernière ne peut pas le démettre; il est le chef suprêmes des armées (article 44); il président le Conseil supérieur de la magistrature et exerce le droit de grâce (article 45); il décrète l’état de siège et l’état d’urgence (article 49) et dispose de pouvoirs exceptionnels en cas de crise (article 50); il a le pouvoir de consulter le peuple par voie de référendum (article 41) et celui d’initier une révision de la Constitution (article 118), etc.
Cette «omni-compétence» du président de la République, tirée en bloc de la Constitution française du 4 octobre 1958, comporte deux (02) inconvénients majeurs: le premier, c’est que le président tend à éclipser les autres institutions de la République qui sont réduites à faire de la figuration; le second, c’est que la nature humaine cultive chez tout détenteur de pouvoirs importants la tentation d’en abuser. Pour corriger cette anomalie, il y a lieu de rétablir un équilibre entre les pouvoirs des institutions de la République en limitant ceux du président de la République.
Il faut rappeler ici que le fameux principe de la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) imaginé il y a trois cents (300) ans par Locke et Montesquieu est une condition nécessaire mais non suffisante pour limiter les abus de pouvoir dans un système démocratique. Ce principe doit être complété par celui de l’équilibre entre les pouvoirs. Ce dernier principe est résumé dans une boutade de Montesquieu connue de tous: «Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir».
La faculté donnée au président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale, alors que cette dernière peut tout au plus voter une motion de censure contre le gouvernement, constitue certainement la plus grande entorse au principe de l’équilibre entre les pouvoirs. Le maintien de cette disposition constitutionnelle ne nous semble pas opportun dans le contexte malien:
– primo, elle livre le Parlement, pieds et mains liés, au président de la République;
– secundo, en cas de dissolution de cette institution, l’organisation d’élections législatives dans un délai de 21 à 40 jours imposé à l’État des dépenses imprévues énormes. Le Mali peut s’inspirer des cas du Bénin et de la Côte d’Ivoire qui ont pris le temps de corriger ce déséquilibre introduit sciemment dans le dispositif institutionnel de la cinquième République en France.
La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 et la Constitution ivoirienne du 24 mai 2000, toutes les deux en vigueur présentement, ne permettent pas au président de la République de dissoudre le Parlement, ni au Parlement de démettre le président. Cette disposition constitutionnelle n’a pas empêché pourtant l’expérience démocratique de ces deux (02) pays de continuer leur petit bonhomme de chemin avec, comme chez nous, des hauts et des bas.
Notre système politique comporte deux (02) imperfections majeures. La première, c’est une forte concentration de pouvoirs entre les mains du président de la République. Tout se passe comme si les autres institutions de la République ont déserté la scène politique au profit du président de la République qui a tout le loisir d’offrir aux Maliens un «one man show».
Pour utiliser un langage imagé, nous dirons que le président est comme une étoile qui seule brille parmi les innombrables étoiles qui constellent le ciel, comme un lion qui fait seul la loi parmi les animaux de la brousse, comme un coq qui se pavane seul au milieu de la basse-cour. Il n’est pas exagéré de dire que la République se confond avec la personne du président: tout part de lui, ou passe par lui, ou revient à lui.
Pour illustrer la deuxième imperfection majeure de notre système politique, nous nous référons à un évènement qui s’est produit au Niger. Le 27 janvier 1996, la nouvelle du coup d’État perpétré dans ce pays par Ibrahim Baré Mainassara n’a pas surpris grand monde. Le putsch mettait fin à une cohabitation chaotique de trente-trois (33) mois (avril 1993-janvier 1996) au sommet de l’État entre le président de la République, Mahamane Ousmane, de la Convention démocratique et sociale (CDS) et son Premier ministre Hamma Amadou, du Mouvement national pour la société de développement (MNSD). Le Mali est-il à l’abri d’un tel scénario? La réponse, malheureusement est non.
La Constitution du 25 février 1992 et la Constitution du 26 décembre 1992 sont toutes deux de pâles copies de la Constitution française du 4 octobre 1958. Cette dernière, qui fonde la cinquième République en France, a opté pour un régime politique hybride qui emprunte à la fois au régime parlementaire et au régime présidentiel. L’ambigüité d’un tel système est telle que les politologues ont du mal à le catégoriser et utilisent une multitude de vocables pour le désigner: régime semi-présidentiel, régime semi-parlementaire, régime présidentiel parlementarisé, régime parlementaire présidentialisé, régime parlementaire rationalisé, etc. Une particularité de ce système est qu’il institue un bicéphalisme au niveau du pouvoir exécutif et peut conduire donc à une cohabitation entre un président de la République et un Premier ministre issus de partis politiques rivaux. La dernière cohabitation en France, la troisième de la cinquième République a duré cinq ans, du 3 juin 1997 au 6 mai 2002, et avait comme protagonistes Jacques Chirac et Lionel Jospin.
Toute cohabitation comporte forcément des accrocs qu’une culture démocratique éprouvée aide à aplanir, comme on l’a vu en France. En revanche, dans un pays, où la culture démocratique n’est pas encore ancrée dans l’esprit et le comportement des acteurs de la classe politique et de la société civile, les accrocs se transforment inévitablement en mesquineries inutiles et en confrontations interminables qui mènent le système démocratique à sa perte. C’est ce qui est arrivé au Niger, en 1996. C’est ce qui pouvait arriver au Mali si la Constitution n’est pas révisée (si le Président de la République était contraint de choisir un Premier ministre au sein d’un parti politique rival ou d’une coalition de partis rivaux ayant une majorité de députés à l’Assemblée nationale).
De 1992 à nos jours, la troisième République n’a connu aucun cas de cohabitation. Les Premiers ministres qui se sont succédé à la tête des gouvernements ont évolué à l’ombre du grand manitou de la République et ne disposaient pas de pouvoirs réels. Le jour où nous aurons un vrai Premier ministre qui tient sa légitimité moins d’un décret présidentiel que d’une majorité confortable à la représentation nationale, et qui entend exercer la plénitude de ses pouvoirs constitutionnels, nous connaitrons aussi une situation conflictuelle au sommet de l’État qui risque de se terminer comme au Niger.
Pour parer à cette éventualité, l’alternative pourrait être la suivante: sacrifier le président de la République pour le Premier ministre en instituant un régime de type parlementaire, ou sacrifier le Premier ministre pour le président de la République en instituant un régime de type présidentiel.
Chacun de ces deux (02) types de régime a des avantages et des inconvénients, des défenseurs passionnés comme des opposants irréductibles. Nous tenons à rappeler simplement que les deux (02) types de régime présentent tous quelque intérêt. Le premier est de nous éviter le scenario catastrophique d’une cohabitation chaotique suivie de putsch. Le second est de faire l’économie des sommes énormes englouties par le fonctionnement de l’une ou l’autre de ces institutions qui serait supprimée. Les 10,8 milliards ou les 11,1 milliards affectés respectivement à la Présidence et à la Primature dans le budget d’État pourraient servir à financer des points d’eau potables, des dispensaires dans certains villages.
L’exemple de la République sud-africaine est intéressant à plus d’un titre
Ce pays n’organise pas séparément de coûteuses élections pour le choix du président de la République. Ce dernier est désigné par l’Assemblée nationale, en son sein, au cours d’une session présidée par le président de la Cour constitutionnelle (article 86 de la Constitution). Par la suite, le président nomme à son tour, encore au sein de l’Assemblée nationale, un vice-président qu’il peut révoquer à tout moment et qui ne peut aucunement lui faire ombrage (article 91). Nous ne sommes donc pas, dans ce cas de figure en présence d’une hydre à deux tètes. Le bicéphalisme n’est qu’apparent et ne peut en aucun cas conduire à une «cohabitation» entre les deux premières personnalités du pouvoir exécutif, c’est-à-dire le président et le vice-président.
Aly CISSÉ
Source: Inter De Bamako