Décidément, la vie d’Ibrahim Boubacar Kéïta semble intimement liée aux scandales depuis qu’il assure la charge suprême de l’Etat. De septembre 2013 à nos jours, les malheurs se bousculent aux portails de Sébénicoro et de Koulouba trimballant, comme dans une partie de tennis, le président de la République entre les hauteurs de la colline du pouvoir et les bas-fonds de la résidence présidentielle. Les scandales de surfacturation dans les sulfureux dossiers de l’achat de l’aéronef et du contrat d’armement n’ont pas encore fini de révéler leur lot de révélations troublantes que l’affaire Tomi refait surface sous la plume du journaliste et écrivain français, Pierre Péan, dans « Nouvelles affaires africaines : mensonges et pillages au Gabon », bientôt sur le marché. De quoi s’agit-il ?
Dans nos sociétés traditionnelles africaines, lorsque le malheur nous hantait comme notre ombre, les Sages nous conseillaient invariablement d’offrir du sucre en aumône, de nous laver avec l’écorce du caïlcédrat et la poudre du fusil traditionnel. Certes, ces valeurs ancestrales tendent malheureusement à disparaître, mais Ibrahim Boubacar Kéïta devrait faire sienne cette recette, dans l’espoir (infime ?) d’exorciser le sort qui l’habite depuis son plébiscite d’août 2013.
Installé au trône le 4 septembre 2013, le nouveau président n’a même pas eu le temps de prendre les manettes du navire que les scandales s’enchaînèrent sans discontinuer.
Courant mars 2014, le président achète un avion de commandement (un Boeing 737) à 20 milliards de FCFA ( ?), après avoir offert sur un plateau d’or, en novembre 2013, à un de ses conseillers un juteux marché d’armement pour un montant de 69 milliards, porté à 108 milliards avec les avenants. Le Fmi, la Banque mondiale, l’Union européenne et plusieurs bailleurs de fonds bloquent leur appui financier. Le Mali est placé sous sérum.
Pendant que ces deux dossiers brûlaient la République à chaudes braises, éclate, fin mars, l’affaire dite Michel Tomi, du nom de l’homme d’affaires corse, Michel Tomi, poursuivi par la justice française pour divers chefs d’inculpation dans lesquels le nom d’IBK est cité.
Soucieux et préoccupé, le président se voit assommé par la perte de Kidal et d’une grande partie du nord avec la débandade de l’armée malienne face aux groupes rebelles, le 21 mai, suite à la visite inopportune du Premier ministre Moussa Mara à Kidal, le 17 mai.
En outre, dans les pourparlers inclusifs inter maliens enclenchés le 16 juillet à Alger, le gouvernement malien se trouve en difficultés, coincé entre les exigences des mouvements armés, la duplicité du médiateur algérien et la position obscure de l’Equipe de Médiation.
Ensuite, le scandale des surfacturations éclatent et placent le président IBK, au-delà de lui le Mali, sous les projecteurs. Avec les rapports de la section des comptes de la Cour suprême et du Bureau du vérificateur général, notre pays devient la risée du monde à cause de la mauvaise gouvernance. Les révélations quotidiennes de l’ancien ministre de la défense et des anciens combattants enfoncent IBK et son clan et leur coupent le sommeil. Des ministres, cités par SBM, commencent à lui répondre, faisant craindre des déballages de secrets d’Etat aux conséquences incalculables.
Enfin, pendant que tout le monde se demandait où s’arrêterait cette guerre médiatique entre Soumeylou Boubeye Maïga et ses collègues d’hier, l’opinion est réveillée lundi 10 novembre dernier par les révélations de Pierre Péan, déjà relayées pendant le week-end par la presse en ligne étrangère.
Ce journaliste et écrivain français s’apprête en effet à publier un ouvrage intitulé « Nouvelles affaires africaines : mensonges et pillages au Gabon » dans lequel il met notamment en à rude épreuve le président Ali Bongo Ondimba. Mais aussi des pratiques mafieuses du « clan » d’Ibrahim Boubacar Keïta.
Le livre n’est pas encore officiellement mais sur le marché, mais déjà tout Bamako en parle, comme si IBK était le principal concerné. Cela est d’autant plus compréhensible que Pierre Péan y remet sur le tapis, s’il ne la confirme, la supposée « connexion » le chef de l’Etat malien et l’homme d’affaire corse.
Le journal en ligne sénégalais, dakaractu.com, qui a levé le lièvre samedi dernier, sous-titre : « Comment Accrombessi, Attias et IBK profitent du Gabon », révèle que « Le Mali et les pratiques mafieuses du clan d’Ibrahim Boubacar Keïta, connu au Mali sous les initiales IBK ne sont pas en reste dans les ‘‘Nouvelles affaires africaines’’ de Pierre Péan. Selon le journaliste, l’un des proches du président malien, Seydou Kane, …se charge…des transferts de fonds pour les gros investissements immobiliers et les placements dans des paradis offshore».
Pire, Péan confirme dans son nouvel ouvrage qu’IBK fut présenté à Michel Tomi par l’ancien président gabonais, Oumar Bongo. « Alors qu’IBK venait d’être nommé Premier ministre du Mali, en février 1994, Charles Pasqua et Michel Tomi avaient fait son siège pour obtenir de lui l’ouverture d’un casino. IBK aurait accepté́, moyennant une récompense. Depuis lors, les deux hommes sont liés », écrit le journal en ligne dakarois. Qui révèle en outre que « Tomi n’avait d’ailleurs pas oublié l’ancien président de la République malienne, IBK pendant sa longue traversée du désert ».
Même s’il n’apporte pas d’éléments fondamentalement nouveau dans l’affaire Tomi, Pierre Péan a l’insigne mérite de jeter un pavé dans la mare en remettant sur la place publique la liaison entre le chef de l’Etat malien et le parrain des parrains corse.
Le président Ibrahim Boubacar Kéïta lui-même reconnait que Michel Tomi est « son ami » et « frère ». Un drôle d’ « ami » que ce sulfureux homme d’affaires qui traîne un lourd passé étant condamné en 1976 dans une affaire de détournement de fonds dans un casino en France. La fortune de l’homme qui a implanté le PMU en Afrique et qui détient un casino à Bamako, fait toujours l’objet d’enquêtes judiciaires.
L’affaire Tomi a été révélée, pour la première fois aux Maliens, par le quotidien français Le Monde dans sa parution du 28 mars. Le nom du président IBK est cité dans le dossier, créant l’émoi dans les milieux politiques, diplomatiques et administratifs maliens, et bien sûr au sein de la population malienne.
Plus précisément, Le Monde révèle que deux juges et des dizaines d’enquêteurs sont aux trousses de l’homme d’affaires corse Michel Tomi, à la tête d’un empire industriel en Afrique, qui serait le dernier « parrain des parrains » français. Le journal poursuit que « l’’affaire risque même de provoquer de forts remous dans les milieux diplomatiques, avec la mise en cause pour corruption du président malien, Ibrahim Boubacar Keita, dit IBK ».
Selon les informations de Le Monde, depuis le 25 juillet 2013, date de l’ouverture d’une information judiciaire par le parquet de Paris pour « blanchiment aggravé en bande organisée », « abus de biens sociaux » et « faux en écriture privée », les juges Serge Tournaire et Hervé Robert enquêtent en toute discrétion sur Michel Tomi, son groupe industriel Kabi, mais également sur ses réseaux politiques. L’homme est soupçonné de blanchir en France une partie de l’argent gagné en Afrique. Et de financer des présidents africains parmi lesquels IBK, les présidents gabonais, Ali Bongo, tchadien, Idriss Déby Itno et camerounais, Paul Biya.
Plus tard, d’autres révélations jailliront que certains des voyages et séjours d’IBK, notamment à l’hôtel Royal Monceau (le prix négocié d’une suite présidentielle au Royal Monceau est de 12 millions de FCFA, la nuitée) et dans une clinique marseillaise auraient été pris en charge par Michel Tomi et ses hommes, à qui des passeports diplomatiques maliens auraient même été délivrés.
Dès le lendemain de la diffusion de la nouvelle, le président Ibrahim Boubacar Keita annonce sa décision de porter plainte contre le journal Le Monde.
Dans un communiqué lu à la télévision nationale, le ministre porte-parole du gouvernement, Mahamane Baby, estime que « cet article vise à salir l’honneur d’un homme, Ibrahim Boubacar Keita, dont les valeurs d’intégrité et de rigueur morale n’ont jamais été remises en cause ». C’est pourquoi, « ayant pris toute la mesure de cet article, le chef de l’Etat a pris l’attache d’avocats maliens et français afin d’étudier toutes les suites judiciaires possibles y compris en terme de mesures urgentes et à titre conservatoire », dit-il.
Mais, depuis ce samedi 29 mars, plus rien. La piste de la justice est secrètement abandonnée. D’ailleurs, aujourd’hui encore, le peuple malien attend que le président s’explique à propos de ses liens avec son ami, le « parrain des parrains », corse, Michel Tomi.
De son côté, le président gabonais Ali Bongo Ondimba a décidé de porter plainte contre Pierre Péan. « C’est une bonne nouvelle… », a commenté le journaliste français. Un procès qui promet…
Sékou Tamboura