Il était une fois une carte de la DNR, la Direction Nationale des Routes du Mali : Bamako – Kita, vous enjambez le Bakoye, Tambaga, et c’est au tour du Bafing ; vous êtes persuadé que le goudron vous emmènera jusqu’à destination, l’aire protégée de Faléa.
Mais la fin du monde vous attend à Dabia, sous le nom charmant de RL 46, 49 km de piste en terre-limon poussiéreuse, de dolérites, de côtes qui se prennent pour des fromagers, de bosses et de trous qui séparent vos chairs de vos os, et les dabas se mettent à creuser en rythme sous vos pneus, comme si elles y cherchaient l’or. Le camp Iamgold vous éblouit avant de vous plonger dans la nuit de Brekégnin. Bienvenue à « La pierre jolie » ! Une famille d’antilopes, Acelapus Major, vous dira Salif Kanouté, grand forestier dans l’âme, vient saluer le soleil couchant à vos côtés.
Et vous voilà devant l’eau : la Falémé, petit ruban qui se prend pour un fleuve et que l’on passe à gué, allègrement – à Tabakoto, oui. Mais à Fadougou, la Falémé empoisonnée de cyanure et de mercure vous résisterait. Vous auriez dû poursuivre votre route, tranquilles, jusqu’à Kéniéba, et atteindre Faléa par les radiers et les ponts. Mais l’eau vous aurait barré la route : elle vous retient côté Mali. Parce que là-bas, à Faléa, le Mali a oublié qu’il avait un pays, le Pays Foulawa, il n’entend plus ses flûtes. Mais comment font les autres fleuves ? Le Niger se laisse caresser le dos par un bac de 40 tonnes à Koulikoro – le Sénégal se laisse faire à Bafoulabé ; le Bani aussi, à Djenné ; à Sorokoro, l’eau est docile ; à Béléko, Diafarabé …..
Joueurs de flûtes, soufflez plus fort ! Tapez du pied, dites-le aux autres. Tourterelles dialankhés, allez roucouler dans les oreilles du Préfet de Kéniéba, poussez les chèvres peulhes jusque dans la cour du Gouverneur de Kayes ! Que les femmes bambaras empoignent leurs marmites pour cogner dessus, que tous les enfants de Faléa tapent dans leurs mains pour faire entendre le tapage jusqu’à Bamako, dans les oreilles de ceux qui savent, qui peuvent, qui sont responsables de leur devenir, qui ont été choisis parmi tous pour préserver leur vie, celle de Maliens ordinaires, oubliés aujourd’hui, mais acteurs, décideurs, demain.
Bauxite, or, uranium, la commune vendue aux miniers, plus de droit de surface, et pas un franc CFA pour gratter une côte, mettre à l’eau un bac, construire un petit pont ? Je vais vous confier un secret : depuis le 13 décembre 2005, l’Inacom de Koulikoro, m’a délicatement déposé dans la cour de la Subdivision des Routes de Kéniéba, comme un cadeau de Noël. J’y dors encore, en vrac, comme un objet perdu puisque personne n’est venu me réclamer. Qui suis-je ? Un flambant bac automoteur de 20 tonnes, prêt à vous faire traverser la Falémé, là où vous le déciderez. Mais chut ! Ne le répétez-pas, depuis plus de 8 ans, je suis payé pour dormir, avec vos sous : 301 825 000 CFA. L’ARACF (Association des Ressortissants et Amis de Faléa –faleadounia@yahoo.fr) se bat courageusement pour me mettre à l’eau et en marche, mais la route lui résiste, les fonctionnaires rechignent, les députés se taisent. Et les femmes de Faléa continuent à accoucher, à la torche, n’hésitant pas à perdre leur vie sur la route, pour en donner une autre, si Dieu le veut.
A Faléa, des gens seulement, des Maliens ordinaires, mais ne vous y fiez pas : ce sont tous des Prosopis Africana, ces arbres rouges, les plus costauds de la savane ; quand le fer les touchent, des étincelles en sortent. Monsieur le nouveau ministre de l’Équipement, des Transports et du Désenclavement, un feu d’artifice vous y attend.
Nous croyons en vous, ne nous décevez pas. Le petit arbuste aux fleurs roses croisé au beau milieu de la savane sèche, ne le supporterait pas.
Par Ani COULIBALY