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Comment l’Etat turc a asséché les réseaux gülénistes en Afrique

Le gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan reprend la main sur les écoles implantées en Afrique par le réseau Gülen dans les décennies précédentes.

Analyse. La politique intérieure turque se lit aussi en Afrique. Sur le continent, le prêcheur turc Fethullah Gülen voit son réseau, le Hizmet, et ses nombreuses écoles installées depuis près de vingt-cinq ans, totalement démantelés.

Depuis 2016, l’objectif de l’Etat turc est de reprendre en main ces écoles de bon niveau qui attirent les enfants de classes moyenne et supérieure, ou de les fermer pour en rouvrir d’autres, contrôlées par Ankara. Gülen est en effet accusé par le pouvoir turc d’être derrière la tentative de coup d’Etat ratée du 15 juillet 2016 contre le président Erdogan et, depuis, toutes les organisations contrôlées par le prêcheur, qui réside depuis deux décennies aux Etats-Unis, sont dans la ligne de mire.

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Pour cette reprise en main, un organisme d’Etat, la fondation Maariv, dépendant du ministère de l’éducation, a même été créée avec, à sa tête, un conseil d’administration dont tous les membres sont soit des hauts fonctionnaires proches du pouvoir en place, soit des hommes politiques de l’AKP, le parti du président.

Année riche en succès

L’un des cadres les plus actifs de Maariv sur le continent africain est l’ancien ambassadeur turc à Djibouti, le francophone, Hasan Yavuz. Ces deux dernières années, il n’a ménagé ni ses efforts ni le nombre de ses voyages en Afrique.

Récemment, il a été vu à la cérémonie de prise de fonction du nouveau président Andry Rajoelina à Madagascar, pays où plusieurs écoles gülénistes ont été fermées à la rentrée 2017. Fin décembre 2018, il accompagnait son ministre des affaires étrangères, Mevlüt Çavusoglu, en Tunisie pour s’entretenir avec le président Béji Caïd Essebsi. Un mois avant, il était présent au sommet des chefs d’Etat de l’Union africaine (UA) pour sensibiliser les derniers récalcitrants à la nécessité de faire passer les écoles gülénistes sous le giron de la fondation Maariv. Et, avant ce séjour à Addis-Abeba, un arrêt à Juba avait été organisé pour négocier la reprise de toutes les écoles gülénistes du Soudan du Sud.

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Outre les nécessaires rencontres avec les ministres de l’éducation, Hassan Yavuz s’entretient quasiment systématiquement avec les présidents à qui il délivre un message de Recep Tayyip Erdogan : la promesse d’investissements conséquents en cas de coopération.

Pour la fondation Maariv, l’année 2018 a été particulièrement riche de succès africains. Au Sénégal, la reprise en main de la totalité des écoles, engagée en 2016, s’est soldée par des rouvertures à la rentrée sous la tutelle de l’Etat turc. En juillet, un accord de coopération éducative a été signé avec une délégation de la République démocratique du Congo (RDC) venue spécialement à Istanbul. Durant l’été, les écoles ivoiriennes avaient toutes été reprises par Maariv, comme en Guinée équatoriale – où l’ambassadeur Yavuz a rencontré à Malabo le président Teodoro Obiang –, au Cameroun ou au Niger.

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Plusieurs pays, proches politiquement ou recevant de très importants investissements de la Turquie, ont même anticipé les amicales pressions. C’est notamment cas de la Somalie, Etat où la Turquie s’implique massivement dans la formation militaire et les infrastructures. Mogadiscio a cédé ses écoles Gülen quelques semaines à peine après le coup d’Etat. La Guinée a à peine plus attendu, comme le Tchad, où le président Idriss Déby s’est réjoui en décembre 2017 aux côtés de son invité de marque, le président turc Erdogan, que ces « écoles ne sont désormais plus entre les mains de terroristes, mais des gens de confiance, et nos enfants vont continuer à recevoir une éducation dans de bonnes conditions ».

Résistance

La présence de Gülen ne se limitait pas aux écoles, mais la communauté créée autour servait de relais pour fortifier les échanges économiques. L’un des groupements patronaux fondé par le Hizmet, la Tuskon, a largement profité du réseau des parents d’élèves pour faire fructifier ses affaires. Son influence a décru à mesure que la relation entre Gülen et le président Erdogan se détériorait, dès 2010. Soit bien avant le coup d’Etat de 2016. Aujourd’hui elle est démantelée et ses leaders ont été condamnés pour association avec une entreprise terroriste.

De nouveaux réseaux d’affaires ont été mis en place via un autre groupement patronal conservateur, proche de l’AKP, l’association Müsiad. Cette dernière a ouvert de nombreux bureaux de liaison en Afrique (Afrique du Sud, Soudan, etc.) et peut s’appuyer sur des correspondants dans la plupart des pays du continent. La Turquie compte désormais près de cinquante ambassades en Afrique (dont 27 ouvertes entre 2009 et 2014), soit l’un des premiers réseaux diplomatiques continentaux. Et ces ambassades ont aidé à la lutte contre les réseaux d’affaires proches de Gülen.

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Parfois, pourtant, l’activisme de Maariv a rencontré une résistance. En Ethiopie, le processus a beaucoup traîné. Au Nigeria, la pression a crispé l’administration de Muhammadu Buhari, les autorités locales considérant que ce sujet relevait de leur souveraineté. Au Mozambique, où l’un des soutiens du réseau d’écoles Sögüt Turkish est l’actuel ministre de la défense, Atanasio Salvador Mtumuke, ce dernier a tout fait pour éviter la reprise en main de ces établissements où une partie des élites politiques et économiques avaient mis leurs enfants.

Benjamin Augé est chercheur associé aux programmes Afrique et Energie de l’Institut français des relations internationales (IFRI).

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