Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

Comment le Mali a évité l’éclatement à Kayes

A l’heure du bilan très mitigé des accords de Ouagadougou signés il y a un an, le 18 juin 2013, entre le Gouvernement central malien et les groupes armés du Nord Mali, les différents partis signataires semblent faire preuve d’une nouvelle détermination à voir les accords s’acheminer vers un processus de paix durable.

timbre carte federation mali drapeau

 

 

La déclaration d’Alger faite le 9 juin dernier par les groupes armés du Nord Mali va dans ce sens. Le dossier de l’autonomie du Nord Mali dans le cadre d’un projet politique fédéral devrait donc, dans les prochains jours, revenir au cœur de l’actualité. Les questions de nationalisme et fédéralisme ont cependant une longue histoire dans le Mali postcolonial et n’ont pas toujours concerné que la question du Nord Mali.

Au moment du processus d’indépendance, le Mali (appelé à l’époque la République soudanaise) se lance dans l’aventure fédérale en fusionnant officiellement le 4 avril 1959 avec le Sénégal pour former la Fédération du Mali, devenue indépendante en tant que telle de la France le 20 juin 1960.

Cependant la Fédération ne survit que peu de temps puisque, le 20 août 1960, le Sénégal décide de se retirer, suite à des désaccords politiques entre les deux pays quant à la désignation du chef du pouvoir exécutif de la Fédération. Les leaders soudanais, notamment Modibo Keita, présents au moment de l’éclatement à Dakar, capitale de la Fédération, sont renvoyés à Bamako par train spécial le matin du 22 août 1960.

Après, ces événements, la nouvelle République du Mali coupe la liaison ferroviaire avec le Sénégal, à la frontière entre les deux pays (Kidira-Djiboli), et refuse d’établir des relations diplomatiques. Les cadres et les ouvriers du chemin de fer Dakar-Niger d’origine soudanaise au Sénégal sont renvoyés «chez eux» au Mali entre 1960 et 1961. Mais ces «rapatriements» volontaires ne concernent pas seulement des travailleurs du chemin de fer du Dakar-Niger.

Des familles entières, d’origine soudanaise, qui s’étaient établies au Sénégal depuis des décennies et qui, pour certains de leurs membres y étaient nés, rentrent au Mali. La présence de ces nombreuses communautés soudanaises au Sénégal au moment des indépendances est le résultat de la longue histoire des échanges entre l’hinterland soudanais et les agglomérations urbaines et zones agraires de la côte atlantique sénégalaise.

Ces familles sont encouragées au retour par les appels patriotiques de Modibo Keita à venir construire la nation Malienne, et par leur «Dembé» (dignité en bambara) suite à l’humiliation politique infligée par l’éclatement et le rapatriement forcé de Modibo Keita. Une fois au Mali, ces familles se retrouvent cependant dans des situations économiques difficiles, aggravées par un climat de suspicion croissant : pour certains dirigeants politiques maliens, ces rapatriés deviennent des sortes d’«ennemis de l’intérieur» car les chefs de famille n’entendent pas toujours se plier à la discipline politique que le régime socialiste tente de leur imposer.

De plus, les cheminots à qui le gouvernement avait promis une réintégration rapide au sein de la nouvelle régie malienne des chemins de fer, et à défaut dans les entreprises d’état, voient leurs espoirs s’amenuiser.

Certains décident donc de repartir au Sénégal, faute de trouver du travail au Mali fortement touché par la crise économique depuis la fermeture de la frontière avec le Sénégal. Une situation encore aggravée par la création du franc malien en 1962 et la sortie de facto de la zone franc.

Existait-il des formes de régionalisme ou de nationalisme à l’époque ?
A Kayes en particulier, dans l’ouest du pays, près de la frontière avec le Sénégal, la situation économique se détériore rapidement, ce qui a des conséquences directes sur le climat politique. Les habitants se sentent de plus en plus isolés et laissés à leurs difficultés économiques sans soutien de la part du gouvernement central.

Des voix s’élèvent pour dénoncer cet abandon, certains allants même jusqu’à proposer le rattachement à la République du Sénégal. D’autres parlent de Kayes comme d’un état dans l’état et appellent dès lors à la sécession. Ces velléités «régionalistes» sont vivement dénoncées par les autorités centrales.

Le dispositif sécuritaire pour surveiller les activités des cheminots, politiciens et commerçants de la région de Kayes et dans les villes ferroviaires de la région et à la frontière est particulièrement renforcé. Tout voyageur devient potentiellement suspect.

Les relations avec le Sénégal s’améliorent cependant à partir de 1963. Les accords de Kidira du 22 juin 1963 permettent la réouverture de la frontière avec la mise en place d’un accord commercial et douanier, la reprise du trafic ferroviaire et un accord sur l’utilisation des ports du Sénégal. La région de Kayes peut dès lors sortir de l’asphyxie économique et voit ses poussées régionalistes progressivement disparaître.

L’éclatement de la Fédération et ses conséquences politiques et économiques montrent donc comment la construction du nouvel état malien était loin d’aller de soi à Kayes au début des années 1960.

Le projet de construction nationale se retrouva dès le départ confronté à une réalité sociale complexe de longue durée de construction de communautés transrégionales. Mais au-delà des enjeux frontaliers et de la présence de nombreuses communautés transnationales que l’on retrouve ailleurs dans l’Afrique des indépendances, la sortie de la crise politique en 1963 fut surtout vitale économiquement pour Kayes. Le développement économique régional qui se réenclencha dès lors, notamment par l’économie du rail, fut au cœur d’un processus relativement rapide de réintégration régional dans l’économie politique nationale malienne.

Par Vincent Hiribarren

Liberation.fr

Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance