(Ecofin Hebdo) – Avant 2010, date du début de l’exploitation des premiers gisements de pétrole et du gaz au Ghana, beaucoup d’espoirs étaient placés dans le développement de ces ressources, tant pour l’amélioration des performances économiques que pour l’augmentation de la qualité de vie. Mais 10 ans plus tard, le gaz est rapidement devenu un boulet fiscal au cœur d’un endettement massif du secteur énergétique. Dans un document publié le 7 avril dernier, l’organisation Bretton Woods Project (BWP), qui agit comme réseauteur et lanceur d’alerte, accuse le Groupe de la Banque mondiale d’avoir asphyxié le secteur énergétique ghanéen avec une dette colossale et des programmes de développement du secteur qui fragilisent l’Etat.
Des clauses de contrat particulièrement dangereuses
Le projet gazier offshore de Sankofa, un partenariat public-privé (PPP) phare soutenu par la Banque mondiale au Ghana, avec une garantie de 1,2 milliard de dollars est la preuve de ce « complot » contre le Ghana, accuse le BWP. Le projet est entré en production en juillet 2018 avec une capacité prévue de 180 millions de pieds cubes de gaz par jour, pendant au moins 15 ans.
Sankofa : l’Etat ghanéen est contraint de racheter 90% de la production du site, qu’il soit capable de l’utiliser ou non.
En vertu d’une clause basée sur le mécanisme du Take or Pay, signée sous l’égide de la Banque mondiale, entre Accra et l’ensemble des parties prenantes, l’Etat ghanéen est contraint de racheter 90% de la production du site, qu’il soit capable de l’utiliser ou non. Mais entre la date du début de l’exploitation du site et fin 2019, la production a fait face à une faible demande interne et à un retard dans la réalisation des infrastructures associées, nécessaires à l’extraction du combustible. Par conséquent, au terme de l’année dernière, le Ghana a payé 250 millions de dollars pour du gaz inutilisé. Et vu le contexte actuel, le pays devrait à nouveau verser la même somme aux producteurs du site, car les installations d’extraction du gaz ne sont toujours pas livrées.
Au terme de l’année dernière, le Ghana a payé 250 millions de dollars pour du gaz inutilisé. Et vu le contexte actuel, le pays devrait à nouveau verser la même somme aux producteurs du site, car les installations d’extraction du gaz ne sont toujours pas livrées.
Déjà, en 2015, les termes du contrat de Sankofa avaient été critiqués par les organisations de la société civile ghanéenne. Elles jugeaient les clauses du contrat défavorables et avaient mené, pendant plusieurs mois, des campagnes à l’endroit de l’Etat afin que des avenants y soient apportés. Mais rien n’y fit. Selon un communiqué datant de l’époque, les responsables de la société civile déclaraient : « Nous exprimons notre inquiétude quant aux risques que la Banque mondiale promeuve les PPP dans les pays en développement ».
Selon un communiqué datant de l’époque, les responsables de la société civile déclaraient : « nous exprimons notre inquiétude quant aux risques que la Banque mondiale promeuve les PPP dans les pays en développement ».
La charge fiscale du gaz au Ghana ne se limite pas aux conditions défavorables du contrat de Sankofa, poursuit le lanceur d’alerte. Grâce à une stratégie élaborée avec l’appui de la Banque, le gouvernement ghanéen a signé des accords d’achat d’électricité à long terme avec des producteurs privés d’électricité en 2015, pour un total de 2300 MW. Selon les termes de cet accord, cette capacité sera achetée, même si la demande ne suit pas. Conclusion ? Le Trésor s’est retrouvé avec une facture annuelle d’environ 500 millions de dollars pour l’électricité non utilisée.
Conclusion ? Le Trésor s’est retrouvé avec une facture annuelle d’environ 500 millions de dollars pour l’électricité non utilisée.
Dans un document de la Banque mondiale obtenu par le BWP, on lit que : « le Groupe de la Banque mondiale a environ 2 milliards de dollars d’exposition dans le secteur énergétique du Ghana. Une dette presque exclusivement liée à l’infrastructure pétrolière et gazière du pays ». A côté de ça, le pays doit verser près de 750 millions de dollars pour du gaz et de l’électricité qu’il ne consomme pas. Ceci, sans compter les frais liés au traitement de la dette contractée par la société publique du pétrole (GNPC) pour assurer sa part d’investissements sur le projet.
Une omniprésence de la Banque mondiale dans le gaz ghanéen
Outre la garantie de 1,2 milliard de dollars de la Banque en amont sur Sankofa, il faut citer une autre garantie de 200 millions de dollars de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), filiale de la Banque mondiale sur le même projet. L’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA), la branche de la Banque mondiale chargée des assurances, a par ailleurs fourni aux banques commerciales qui ont aidé à financer Sankofa à hauteur de 217 millions de dollars, des garanties contre les risques politiques.
La Société financière internationale (SFI), une autre filiale de la Banque a injecté 265 millions de dollars dans le développement du gisement pétrolier Jubilee.
Le Groupe est également l’un des principaux investisseurs dans les centrales électriques Takoradi 2 et 3 de 550 MW. L’installation qui traite le gaz de Sankofa a également reçu un financement de 140 millions de dollars de la Société financière internationale (SFI), une autre filiale de la Banque. Celle-ci (la SFI, Ndlr) a, faut-il le rappeler, injecté 265 millions de dollars dans le développement du gisement pétrolier Jubilee. La société publique du pétrole (GNPC) est l’un des bénéficiaires de cet investissement.
Il apparait indubitablement que le Ghana ne peut honorer toutes ces dettes dans les délais impartis, vu les difficultés auxquelles fait face le marché du gaz depuis plusieurs semaines.
L’IDA a, quant à elle, fourni précédemment une garantie partielle de risque de 50 millions de dollars pour le gazoduc ouest-africain qui achemine le gaz nigérian au Ghana. Et BWP ajoute que le Private Infrastructure Development Group (PIDG), basé à Londres, qui compte la SFI parmi ses principaux donateurs, a fourni un certain nombre de prêts et de garanties pour soutenir la construction de la nouvelle génération de centrales à gaz au Ghana. Il s’agit de 45 millions de dollars de prêts pour Takoradi 2 & 3, 126 millions de dollars de garanties pour la centrale à gaz de 400 MW de Bridge Power à Tema en 2016 et 2017, et 33 millions de dollars de prêts pour la centrale de Kpone en 2005 et 2014.
Il apparait indubitablement que le Ghana ne peut honorer toutes ces dettes dans les délais impartis, vu les difficultés auxquelles fait face le marché du gaz depuis plusieurs semaines. Or, les perspectives à court terme s’annoncent catastrophiques.
Le cauchemar de la dette énergétique
« La dette du Ghana a atteint plus de 60 % du PIB en 2019 […] Le surendettement du pays est passé de moyen à élevé », a déclaré en janvier dernier la Banque, dans l’un de ses rapports sur le pays.
D’un atout majeur, le gaz est devenu le boulet de l’économie ghanéenne.
L’analyse du FMI sur la viabilité de la dette du Ghana a clairement identifié le secteur du gaz comme un risque fiscal, notant que « l’accord d’enlèvement du gaz sur le champ Sankofa exige du Ghana qu’il effectue des paiements équivalant à 0,7 pour cent de son PIB annuel ».
L’analyse du FMI sur la viabilité de la dette du Ghana a clairement identifié le secteur du gaz comme un risque fiscal, notant que « l’accord d’enlèvement du gaz sur le champ Sankofa exige du Ghana qu’il effectue des paiements équivalant à 0,7 pour cent de son PIB annuel ».
Pour aggraver les choses, la pandémie de coronavirus (Covid-19) devrait provoquer un déficit budgétaire au Ghana, cette année, en raison d’une diminution des recettes provenant des exportations de pétrole et du tourisme, selon une déclaration du ministre des Finances du Ghana, à la mi-mars. Face à cette situation et à la faible marge de manœuvre dont il dispose, le gouvernement ghanéen a, en 2016, baissé à 19,4%, les allocations gouvernementales pour les dépenses sociales. La part de ces allocations était de 28% en 2015, avant le début des difficultés liées au gaz.
Face à cette situation et à la faible marge de manœuvre dont il dispose, le gouvernement ghanéen a, en 2016, baissé à 19,4%, les allocations gouvernementales pour les dépenses sociales. La part de ces allocations était de 28% en 2015, avant le début des difficultés liées au gaz.
Dans un document de travail publié en janvier, la CSO Jubilee Debt Campaign, un autre lanceur d’alerte basé au Royaume-Uni, a constaté que le Ghana fait partie des pays lourdement endettés qui ont réduit leurs dépenses publiques réelles entre 2016 et 2019 par rapport à 2015. « Compte tenu de l’exposition généralisée de la Banque au verrouillage de l’infrastructure gazière du Ghana, il n’est guère surprenant que le programme d’assistance technique de 2018 se soit largement préoccupé des questions liées au secteur du gaz, notamment d’une stratégie visant à équilibrer l’offre et la demande de gaz », a regretté l’association. Et de poursuivre : les efforts déployés pour soutenir les énergies renouvelables se sont limités à une étude de faisabilité.
Olivier de Souza