Douze (12) jours après le renversement du régime du président IBK, beaucoup de choses ne semblent pas évoluer dans notre grand Mali. Au front, les hommes se battent toujours comme des ennemis invisibles avec tous les risques. Les succès sporadiques ne doivent pas cacher l’énormité de la tâche : la très grande partie de notre territoire échappe à notre contrôle. La présence de 15 000 soldats et policiers étrangers ne nous est pas d’un grand secours, les attaques commencent à s’enregistrer aux portes des villes (Ségou). Au bord du Djoloba, rien ne change : les belles affaires ou empoignades se poursuivent de plus belle. On chicane, on se crêpe le chignon pour des postes. Des deux côtés du Djoliba, il y a toujours ceux qui applaudissent le Prince du jour et ceux qui le maudissent à voix basse. Un Goïta a pris la place d’un Keïta, et tout va au mieux dans le meilleur des mondes. Le CNSP remplace le RPM. Les mêmes pratiques, les mêmes tares. Autant de fautes, de scandales, en tant de jours de pouvoir. Les militaires qui sont aux commandes gagneraient changer le tempo.
1. Faire le Coup d’État.
La première faute du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), est le péché mignon de tous les militaires qui entrent en effraction sur scène politique. Contrairement aux berceuses et aux sérénades d’intervention salutaire rechassées par Choguel K. Maïga, il n’y a pas de bon Coup d’État, encore moins de putsch légitime. En tant que rupture de l’ordre constitutionnel, le coup est toujours une agression contre l’ordre démocratique et républicain. Aussi, en intervenant ce mardi 18 août 2020, les militaires conjurés regroupés au sein du Comité national pour le salut du peuple se sont mis en marge avec l’article 121 de la Constitution du 25 février 1992 en commettant un crime imprescriptible : « le fondement de tout pouvoir en République du Mali réside dans la Constitution. La forme républicaine de l’État ne peut être remise en cause. Le peuple a le droit à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’État. Tout coup d’État ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien ».
2. Putsch non assumé.
On ne peut pas vouloir être en enfer et se plaindre de la chaleur. En intervenant ce mardi 18 aout 2020 à la résidence sis à Sébéninkoro du président élu du Mali, Ibrahim Boubacar Keita, pour le mettre aux arrêts ainsi que son Premier ministre, les militaires du CNSP perpétraient, sans équivoque, un coup d’État. Il en est de même de l’arrestation des membres du gouvernement et de plusieurs autres personnalités civiles et militaires. Ne pas vouloir assumer ce coup d’État et vouloir la présenter comme une démission volontaire, c’est non seulement une fuite de responsabilité, mais aussi une insulte à l’intelligence des Maliens. En festoyant avec « le peuple du M5 » sur le boulevard de l’indépendance, le 21 aout dernier, les militaires putschistes ont eux-mêmes avoué qu’ils sont intervenus pour parachever le travail de leurs nouveaux amis. Dès, lors l’élégance martiale et la vérité commandent au CNSP, s’il veut être crédible, d’assumer le coup d’État et d’arrêter de nous parler de démission du président. Parce que personne ne croira à la « démission volontaire » d’un président enlevé manu militaire de chez lui, trainé de force par une junte et sous les huées de la population instrumentalisée, conduit dans une caserne, mis nuitamment devant une caméra… qui a dit : « Si aujourd’hui, il a plu à certains éléments de nos forces armées de conclure que cela devait se terminer par leur intervention, ai-je réellement le choix ? »
Rien ne peut désormais couvrir ce vice de consentement qui, quoiqu’on veuille faire croire aux Maliens, entachera à jamais cette démission obtenue sous contrainte et la menace des armes et dans une caserne.
3. La démission non constatée.
Face à l’insoutenabilité du putsch au plan international surtout, la junte a trouvé la parade de faire démissionner le président en direct à la télé. Cédant aux chants des sirènes du landernau politique, les putschistes pensent bien faire de se cacher derrière une démission qui n’en est pas une. Car, le plus benêt des observateurs sait qu’un président ne choisit pas une caserne pour rendre sa démission. C’est bien beau de dire que personne n’a vu une armée à côté de lui pendant cet enregistrement diffusé sur la chaine nationale, mais l’évidence reste la chose la plus partagée. A ce jour, contrairement à ce que la junte avance, la démission n’a jamais été constatée par la Cour constitutionnelle par un arrêt. En tout cas, l’arrêt n’est pas rendu public, comme en 2012 (Arrêt N° 2012-001/CC/VACANCE du 10 Avril 2012 aux fins de constatation de la vacance de la Présidence de la République). Un défaut de constatation qui rend nulle et nulle d’effet la démission forcée du président IBK.
4. La visite à l’Imam.
Les tarikhs de cette ténébreuse page de notre démocratie retiendront que le matin du mercredi 19 aout 2020 vers midi, une forte délégation de la Junte, qui a renversé la veille le président de la République et qui le détient dans leur caserne à Kati, est allée présenter leur respect à l’Imam de Badalabougou. En réservant sa toute première visite à l’Imam Dicko, autorité morale du M5-RFP, en clair chef de file de la contestation, la junte donne l’impression qu’elle était aux ordres du très éclairé et respecté Imam et auquel elle était obligée de venir rendre compte. En tout cas, le déplacement en grande pompe et en priorité à l’Imam Mahmoud Dicko donne l’impression d’une accointance avec le religieux voire même une allégeance à l’Imam que le CNSP aura du mal à justifier par la suite.
5. Participation au meeting.
Tout le monde, y compris les partisans de la junte, que c’était une grosse bourde de prendre part au meeting du M5-RFP, de s’y faire ovation et prendre la parole pour dire que le coup d’État du 18 aout était le prolongement de la lutte du M5-RFP, que la junte n’a fait que parachever l’ouvre de la contestation.
Manifestant publiquement sa reconnaissance envers un groupe aussi hétéroclite qu’ambitieux, le CNSP s’est rendu redevable du combat de ceux qui tueraient leur Dieux pour une place au soleil. Croyant bien faire, les putschistes s’obligent et se ligotent ad vitam ad aeternam entre les crocs des requins de la contestation. Or, là ce n’est pas loin d’être la posture enviable pour une junte qui souhaite par-dessus tout être à équidistance des chapelles politiques, pour ne pas se compromettre en faisant comme les autres.
6. Détention extra-judiciaire des autorités.
Les nouvelles autorités militaires qui ont pris le pouvoir par la force, le 18 aout dernier, s’enferment dans leur propre piège en arrêtant et en séquestrant les personnalités civiles et militaires du régime renversé du président IBK. En effet, il est bizarre qu’on arrête quelqu’un pour avoir volontairement démissionné. Nier l’arrestation et la détention du président et des autres personnalités civiles et militaires par la phraséologie militaire aussi populiste qu’irritante de sécurisation ne peut prospérer longtemps. Les organisations de défense des droits de l’Homme auxquelles on ne peut longtemps refuser l’accès à ces personnalités établissent des constats peu reluisants de leur situation de détention.
Et les parents des célèbres détenus dénoncent l’entrave à la liberté de communiquer. Or, ça, ce n’est pas bon signe. Ces organisations vont s’en saisir pour nous emmerder.
7. Communication populiste.
Aux premières heures du coup d’État, on avait l’impression que la Junte maitrisait sa Com ; qu’elle s’était payé les expertises et compétences pour cette période de crise ! Mais à longueur d’épreuve, c’est le grand cafouillage et les travers qui ont fait la tombe du régime précédent : intox et infox ! Coup sur coup, on fait croire, à travers des tracts diffusés sur les réseaux que IBK a dit ceci, il a dit cela : min danyé min tigi la yé ! D’abord qu’il a démission de son plein gré (or, nulle part dans sa déclaration cela ne figure), qu’il a donné des conseils aux nouvelles autorités pour ce qui est de la gestion de la Transition.
En faisant passer le président IBK comme un conseiller intéressé de la junte, on tente de déconstruire une image et une légende, celle du Kankelen Tigi, qui n’est jamais entré dans une compromission malgré les tares de gouvernance et les scandales qui ont émaillé ses deux mandats. Dans cette immonde entreprise, on est allé jusqu’à présenter le président IBK comme complice du coup d’État à coup d’infox dans lesquelles, IBK apparaît comme une éminence grise au service de la junte, les conseillant de régler les comptes à ses adversaires et les conjurant de mettre en selle une nouvelle génération de dirigeants.
8. Rupture constitutionnelle.
Le jeudi 27 aout, le secrétariat général du gouvernement publie sur son site un texte intitulé Acte fondamental N° 1/CNSP du 24 aout 2020 dans lequel le Chef de la junte s’arroge le titre de Chef de l’État : « le Comité National pour le Salut du Peuple désigne à son sein un Président qui assure les fonctions de Chef de l’État. Lorsque le Président du Comité est empêché de remplir ses fonctions, de façon temporaire ou définitive, ses pouvoirs sont exercés par un vice-président suivant l’ordre de préséance déterminé par le Comité » (article 32).
Outre le caractère solitaire qui opère une véritable rupture constitutionnelle (« les dispositions du présent Acte qui s’appliquent comme dispositions constitutionnelles, complètent, modifient ou suppléent celles de la Constitution du 25 février 1992. Toutefois, les dispositions de la Constitution du 25 février 1992 s’appliquent tant qu’elles ne sont pas contraires ou incompatibles avec celles du présent Acte. » article 41), l’acte contient certaines inexactitudes qui le rendent caduc. En écrivant dans le préambule « considérant la démission du gouvernement », l’acte fondamental N° 1/CNSP du 24 aout 2020 jure avec la vérité des faits et se trouve dès lors en conflit avec l’ordonnancement juridique. Parce que ce qui s’est passé, le 18 aout, ce n’est pas une démission du gouvernement comme l’énonce l’Acte fondamental mais une dissolution du gouvernement (Décret N° 2020-0346/P-RM du 18 août 2020 mettant fin aux fins du Premier ministre et des membres du gouvernement). Entre les deux, il y a une sacrée différence. Et du reste, c’est la première fois sous la troisième République qu’un président soit obligé de dissoudre le gouvernement. Là aussi, on est à côté de la plaque de la constitutionnalité, car nulle part, la Constitution ne confère le pouvoir de congédier le Premier ministre. Ce dernier doit démissionner.
9. Des annonces bidon.
Le porte-parole qui s’était lancé dans les dénégations et démentis à propos de la durée de la Transition (3 ans) proposée par la junte avant de reconnaître sur TV5 que cela avait été effectivement proposé, surprend encore à propos de l’Acte fondamental N° 1/CNSP du 24 aout 2020. Appelé à défendre le bien-fondé de l’Acte et de la désignation du Coolonel Assimi GoÏta comme chef de l’État, le Colonel-Major Ismaël Wagué explique que : « actuellement la seule institution qui existe, c’est vraiment la Constitution. Il n’y a plus d’Assemblée, il n’y a plus de gouvernement, il n’y a rien d’autre. Maintenant, pour assurer la continuité de l’État, il faut qu’il y ait un chef de l’État. Donc, cet acte permet de prendre le président du CNSP comme chef de l’État qui lui permet d’assurer la continuité de l’État… ». Un second classe de 14-18 ferait mieux.
D’abord, la Constitution n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais une Institution. Les Institutions de l’État ne s’arrêtent pas au président, au parlement et au gouvernement. Si le porte-parole de la junte dit qu’à part la constitution, il n’y a rien, faut-il croire que les autres institutions (Cour suprême, Cour Constitutionnelle, Haut conseil de Collectivité, Haute cour de justice) passent à trappe avec le putsch ? Parions que ce soit juste une contre-performance passagère du porte-parole.
10. Le repli stratégique des colonels.
S’estimant maitre de son affaire, la junte de Kati ne veut pas mener les choses à la baguette, mais selon leur bon tempérament. Officiers supérieurs formés dans les prestigieuses écoles de guerre ici et à travers le monde, les responsables de la junte ne comptent jouer les bidasses pour aucun bord politique. Comme cet autre général que l’histoire retiendra, ils veulent se mettre au-dessus des querelles politiques et être à bonne distance des chapelles politiques. A tous ceux qui pensent qu’ils sont les bras armés de l’Imam, les colonels entendent tenir l’équilibre. Pour le prouver : depuis le meeting (l’erreur) du 21 aout, ils ont pris leurs distances avec l’ancienne contestation. Mettant tout le monde dans le même sac, ils convoquent tout le monde au même titre à une rencontre vendredi pour samedi afin d’échanger sur l’organisation de la Transition. Sacrilège ! Le M5-RFP déterre la hache de guerre et crie à la trahison et à la confiscation de la victoire du peuple. L’Imam s’en mêle, son porte-parole enflamme les foules… Pour calmer le jeu, Kati tempère.
Il est vrai que la rencontre avait été décidée à la hussarde. Et beaucoup de ces messieurs qui ont une haute estime d’eux n’ont pas été personnellement conviés. Pour rattraper les ratés organisationnels, les colonels acceptent de reporter le grand bavardage. Un repli stratégique, mais non une capitulation.
11. Le jeu dangereux avec le M5-RFP.
C’est peu de dire que le torchon brûle entre CNSP et M5-RFP. La confiance s’effiloche entre les « deux acteurs majeurs » du 18 aout 2020, entendez par là le coup d’Etat contre IBK. Boudé en début de semaine dernière par le Chef de la junte qui s’est fait représenter par son porte-parole, le M5-RFP prend ombrage et avale les couleuvres. Le partenariat stratégique que souhaite le M5 semble être le cadet des préoccupations de la junte qui unilatéralement décrète Acte fondamental et nomination… au grand dam des « vrais vainqueurs ».
La négligence et l’indifférence affiche envers l’ex-contestation incommode jusqu’au très éclairé et très respecté Imam qui monte sur ses grands chevaux, tance les militaires et les mettent en garde : vous n’avez pas carte blanche. Et Issa Kaou Djim de préciser la pensée du Maître : si vous tenez de confisquer la victoire du peuple, vous nous trouver sur votre chemin.
Dans le contexte très instable du renversement du régime avec toutes les pressions internationales et exigences internes (ne serait-ce que sur le front social) le CNSP gagnerait à temporiser, à montrer patte blanche et à jouer le jeu en attendant l’embellie.
12. Tenir ses engagements envers la Cédéao.
Les cantiques de l’anti-malianisme primaire de la Cédéao ont vécu. Ce que la junte, à travers son porte-parole, dénonce comme ingérence n’est en réalité que la contrepartie de notre appartenance à cette organisation sous régionale. Avons-nous aujourd’hui le choix de ne pas appartenir à la Cédéao ? Comme IBK n’avait d’autres choix que de démissionner, le Mali n’a pas d’autre choix que de respecter ses engagements envers la Cédéao.
La crise pèse déjà durablement sur notre pays. Cela fait plus de deux pays que le Mali est à l’arrêt, agité par des troubles et livré à toutes sortes de bandes terroristes et criminelles. Le Covid-19 est aussi passé par là. Le CNSP n’a pas le devoir de tomber dans les travers d’un nationalisme qui étoufferait davantage l’économie d’un pays continental en proie à une future crise de sa production agricole. En dépit de la bonne pluviométrie, la CMDT se meurt à cause du boycott de la culture du coton, le front social n’est pas sur le point s’apaiser.
LA REDACTION
Source : INFO-MATIN