A défaut de combattre au nord comme on s’y attendait, l’armée et son ministre dispensent désormais des cours d’histoire. Pas suffisant pour récupérer Kidal!
Après avoir abandonné le nord au pas de course, l’armée malienne se dote d’une nouvelle mission de la plus haute importance: parler, parler, parler. La conférence de presse qu’elle a animée le 1er octobre 2014 à Bamako est un modèle du genre. Le ministre de la Défense, Ba Dao, et la foule de hauts gradés qui l’entouraient y ont multiplié les effets de manche et les cours d’histoire au point que les journalistes présents se sont crus à la Faculté des Sciences Humaines.
Devant la vingtaine de journalistes invités pour la circonstance, le ministre plante gaîment le décor: « Nous ne sommes pas là pour dévoiler des secrets militaires; notre métier nous impose le silence. ». Inviter la presse pour lui débiter des banalités si affligeantes, il faut être un colonel à la retraite pour le faire !
Mais laissons le ministre poursuivre sa harangue. « Le but de cette conférence de presse, précise-t-il, c’est de demander au peuple malien de garder espoir car dans l’histoire des peuples, il y a des hauts et des bas et les revers militaires sont légion ». En somme, comme Ladji Bourama, qui sanglote et verse de chaudes larmes à toute occasion, n’arrive pas à consoler le peuple de la perte de Kidal, le ministre et l’armée tentent de ranimer l’espoir à travers une bonne séance de câlinothérapie agrémentée de cours d’histoire.
Ainsi, entre autres « revers » historiques susceptibles de nous faire oublier la débâcle de Kidal, le ministre cite la prise de Paris et l’invasion de l’Union Soviétique par les troupes nazies d’Adolf Hitler: « Alors que, le 6 novembre 1941, la croix gammée allemande flottait à seulement 30 km de Moscou, Staline tient un discours pour galvaniser ses troupes en leur rappelant les hauts faits du maréchal Koutouzoff, qui remporta la bataille de Moscou sur Napoléon Bonaparte. Après ce discours, l’Armée Rouge, plus motivée que jamais, reprend l’initiative sur les Allemands en capturant le Feld-Marschall Von Paulus à Stalingrad, ce qui marque un tournant décisif dans la seconde guerre mondiale ». Question: pourquoi l’éminent historien-ministre Dao n’a-t-il pas tenu, le 21 mai 2014, un bon discours stalinien pour maintenir nos troupes à Kidal ? Pourquoi, avec une si grande culture historique, n’arrive-t-il toujours pas à récupérer cette ville ? Mais passons…
Le ministre Dao qui, tel le conteur Djéli Baba Sissoko, ne tarit pas d’exemples historiques, relate: « Par deux fois, les rebelles sont entrés à Ndjamena, mais par deux fois, elles ont été repoussées par l’armée nationale tchadienne! ». Bien entendu, le ministre se garde bien de rappeler que le Mali n’est pas le Tchad; en effet, par deux fois, les rebelles sont entrés au nord du Mali depuis 2012 et par deux fois, l’armée… historique, pardon!, nationale du Mali a « détalé » (le mot n’est pas de mon invention; il vient du Premier Ministre Mara lui-même !).
Imperturbable, le professeur d’histoire Ba Dao enseigne: « L’armée américaine a perdu plus de 6.000 hommes lors de l’offensive du Têt au Vietnam ». Sous-entendu: nos pertes, à Kidal, ne sont rien, en comparaison de celles des Américains. Le hic, c’est que personne, dans notre armée, n’a daigné rester sur le champ de bataille pour compter nos morts à Kidal!
A la suite de son excellent ministre, le chef d’Etat-major général des armées, le général de division Mahamane Touré, prend le micro. Et que dit ce galonné ? « Nous sommes dans la dynamique de la paix et à ce titre, sur ordre des plus hautes autorités, nous avons tenu à respecter scrupuleusement le cessez-le-feu ». Quand on sait dans quelle urgence Ladji Bourama a prié le président mauritanien d’aller mendier un cessez-le-feu avec les groupes armés qui, après Kidal, marchaient sur Gao et Tombouctou, on ne s’étonne pas de voir l’armée « respecter scrupuleusement » ledit cessez-le-feu.
A un journaliste qui lui demande si l’armée est en mesure de tenir en respect les bandits en cas d’échec des pourparlers d’Alger, le général Touré répond sans sourire: « Nous sommes en mesure de répondre par les armes si le dialogue échoue ». Pour sûr, le patron des armées est un as en matière de dissuasion nucléaire, pardon, verbale!
Jetant de l’eau au moulin de son patron, l’inspecteur général des armées, le général de brigade Salifou Koné, assure: « On peut dire que l’armée malienne est en mesure de parer à toute éventualité en termes de combativité; le moral des troupes est au beau fixe! Le problème de recrutement est résolu. Désormais, il s’agit d’avoir une armée professionnelle et non une armée de nos habitudes ». Voilà : le Mali possède, du moins sur le papier des généraux Touré et Koné, tous les moyens d’écraser les groupes armés lors de la prochaine bataille. Le général Koné, qui semble porter l’une des lunettes climatisées issues des marchés récemment passés à Kagnassy, va même plus loin: « L’armée nationale est présente sur l’ensemble du territoire national et assumera sa mission régalienne de protection des personnes et des biens ». Sacré général Koné ! Combien de soldats compte-t-il à Kidal ? Ou bien cette ville ne fait-elle plus partie du territoire national ?
Tiékorobani