Ne rien voir, ne rien entendre et, par-dessus tout, ne rien dire. Telle semble être l’injonction tacite faite aux journalistes. Du temps des partis uniques, tout était clair à ce sujet. Ils travaillaient, presque tous, pour les médias d’État. Ils savaient jusqu’où ne pas aller. Ceux qui écrivaient dans les rares journaux privés en étaient conscients. Mais la vague de démocratisation dans les années 1990 a entraîné derrière elle un vent de liberté. Cent fleurs ont éclos ici et là. Cent radios se sont fixées sur la bande FM. Sortis d’une école de journalisme ou formés sur le tas, des talents sont apparus. Mais il faut reconnaître aussi qu’il y a, sur ce plan, la bonne graine et l’ivraie. La maladie infantile du journalisme malien ? Sera-t-elle éphémère ou est-ce une infection au long cours, voire incurable? Nul ne saurait le dire, tant le journaliste malien vit dans des conditions difficiles. La rudesse de la vie au quotidien a émoussé la plume des hommes de médias.
Certains confrères se sont signalés par leur liberté de ton. Ils se sont mis à informer juste et vrai. D’autres ont emprunté le sentier passionnant et parsemé d’embûches de l’investigation journalistique. Ils tiennent à informer juste et vrai, prenant le seul parti qui vaille, pour le vrai journaliste : celui du lecteur, et non celui de son employeur. C’est au nom de ce lecteur que le journaliste peut protéger ses sources, voire faire la prison. Celui-ci a soif de savoir, d’être informé et le journaliste prend les risques pour investiguer et dénoncer. D’autres encore sont apparus aux yeux du public comme des fouilles poubelles. Leur curiosité saine ou malsaine pousse à aller soulever le couvercle des marmites ou à regarder sous les draps des lits. Inconvenance? Impertinence? Le lecteur se chargera d’apprécier. Les autres confrères doivent rester les seuls juges. Nulle autre personne, roi, président de la République, député du peuple ou homme d’affaires, ne doit s’ériger en censeur. Encore moins jeter le fauteur sur la paille humide d’un cachot, ou se faire justice en lui envoyant ses sicaires.
Le paradoxe, par ailleurs, c’est que le journaliste malien d’aujourd’hui, semble incarner une certaine grandeur par la spécificité de son sacerdoce, et que, d’autre part, il se débat dans la misère. Cette dernière a pour cause, le fait que l’organe dans lequel il travaille soit souvent est confronté à de graves difficultés de trésorerie. Certaines publications ou radio ou télés ont été créées par des journalistes mêmes. D’autres l’ont été par des politiciens. Des loups aussi ont fait leur entrée dans le secteur – des flibustiers pensant avoir senti l’odeur de l’argent ou qui entendent se servir de ce moyen de communication de masse comme tremplin, ou pour régler des comptes, voire faire du lobbying. Résultats? Les journalistes perçoivent un maigre salaire ou sont payés au lance-pierre. Dans l’exercice de la profession, le barème des salaires n’est régi par aucune convention collective. Quand celle-ci existe, elle est peu respectée par les patrons de presse.
Malgré tout, le combat n’est pas terminé. C’est parce que la lutte pour la liberté de la presse ne s’arrêtera, peut-être, qu’avec la fin de l’Histoire.
Henri Levent
Source: Journal le Pays- Mali