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Choguel Kokala Maiga et les prochaines élections: organisateur ou compétiteur ?

En faisant le choix clair pour une victoire nette des forces du changement lors des prochaines élections générales, le Premier ministre, chef du gouvernement, Choguel Kokalla Maïga, s’est placé dans les fourches caudines de ses adversaires qui n’ont pas toujours renoncé à s’offrir sa tête. Plaçant le débat sur le terrain de la faute politique, certains exigent du locataire de la Primature une stricte neutralité que commande sa charge, en tant chef de l’administration ; d’autres, part contre, estiment que l’aveu est pardonnable et entache la crédibilité et la sérénité de tout le prochain processus électoral. En tant que Chef du gouvernement, le Premier ministre peut-il et doit-il être neutre ? Que disent les textes ? Que recommande la pratique ?

Recevant ce mardi 19 juillet 2022 une délégation de l’Union pour la Sauvegarde de la République (USR), conduite par son President, M. Nouhoum Togo, le Premier ministre, Chef du Gouvernement, Choguel Kokalla Maïga, a laissé entendre que les forces du changement doivent se donner la main pour rendre le processus de refondation irréversible en gagnant les prochaines élections. Les propos du Premier ministre sur la Page Facebook de la Primature et sur les antennes de l’ORTM n’ont pas échappé à la vigilance de ses adversaires, notamment politiques, qui attendent avec une certaine frilosité les élections promises courant 2024.

Premier ministre
de transition
La période de transition étant propice à la suspicion, le Premier ministre aurait dû cacher de manière hypocrite au peuple ses choix et ses préférences politiques ? La question n’est pas que morale, elle est éminemment politique et républicaine. Car, la question est : la Transition exige-t-il un Premier ministre honnête qui affiche et assume courageusement ses prises de position et ses choix ou un Premier ministre neutre qui cache malhonnêtement son orientation et ses positions ? Le Premier ministre doit-être être neutre ou seulement en période de Transition conformément aux veux de certains ? Mais la question est : où trouver au Mali cet oiseau rare, ce Premier ministre incolore, inodore et sans saveur, qui soit à hauteur de mission et d’ambition pour le Mali nouveau ?
Le débat n’est pas que politique, il est aussi juridique, républicain et constitutionnel. Accordons-nous sur le fait que les acteurs du 18 août 2020 n’ont pas abrogé la Constitution du 25 Février 1992, ni même suspendu cette loi fondamentale. Et rappelons, l’exercice profitant aux croyants, que l’article 38 de notre loi fondamentale dit que c’est le Président de la République qui nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. L’article 11 de la Charte de la transition dit également que «le gouvernement de Transition est dirigé par un Premier ministre nommé par le Président de Transition». Donc, comme on le voit, le choix du Premier ministre est une prérogative propre du Président de la République dont le succédané est le président de la Transition.
Aucune condition constitutionnelle ne préside à ce choix. En effet, rien n’impose au président de la République (aujourd’hui président de la Transition, mais Chef de l’État) que le Premier ministre soit civil ou militaire, politique ou de la société civile, coloré ou incolore…). Mais, le bon sens, le fonctionnement des institutions et la pratique démocratique conduisent le Président de la République à choisir un Premier ministre qui a le soutien de la majorité parlementaire ou un Premier ministre qui a une base politique et sociale, qui soit capable de traduire son programme ou sa vision.

Service public :
intérêt public
Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation et le Premier ministre dirige et coordonne l’action gouvernementale.
Ce rôle de direction de l’action gouvernementale est facilité par certaines prérogatives constitutionnelles. Le Premier ministre, au nom du gouvernement, «dispose de l’Administration et de la Force armée» (article 53 de la Constitution). Prosaïquement, on dit que le Premier ministre est le Chef de l’administration. Or, qui dit administration dit service public, intérêt public, intérêt général, intérêt national…

Le régime juridique du service public est organisé autour de trois grands principes.
Le premier est celui de la continuité du service public. Il constitue un des aspects de la continuité de l’État et a été qualifié par les bons juristes de principe de valeur constitutionnelle. Il repose sur la nécessité de répondre aux besoins d’intérêt général sans interruption. Toutefois, ce principe de continuité doit s’accommoder du principe, à valeur constitutionnelle lui aussi, du droit de grève. La plupart des agents des services publics disposent de ce droit, à l’exception de certaines catégories pour lesquelles la grève est interdite (policiers, militaires…) ou limitée par un service minimum (transports, télévision et radio…).

Le deuxième principe est celui de l’égalité devant le service public, lui aussi à valeur constitutionnelle, qui procède, selon les juristes, de l’application à ce domaine du principe général d’égalité de tous devant la loi (article 2 de la Constitution du 25 Février 1992). Il signifie que toute personne a un droit égal à l’accès au service, participe de manière égale aux charges financières résultant du service et, enfin, doit être traitée de la même façon que tout autre usager du service. Ainsi, le défaut de neutralité – principe qui est un prolongement du principe d’égalité – d’un agent du service public constitue-t-il une faute déontologique grave.
Enfin, le dernier principe de fonctionnement du service public est celui dit d’adaptabilité ou de mutabilité. Présenté comme un corollaire du principe de continuité, il s’agit davantage d’assurer au mieux, qualitativement, un service plutôt que de sa continuité dans le temps. Cela signifie que le service public ne doit pas demeurer immobile face aux évolutions de la société ; il doit suivre les besoins des usagers ainsi que les évolutions techniques et technologiques (d’où la modernisation de l’administration).

Neutralité du service public
En application des dispositions légales et réglementaires, relative aux droits et obligations des fonctionnaires édictés dans le Statut général des fonctionnaires (loi N°02-053 du 1- décembre 2002), le fonctionnaire est, dans l’exercice de ses fonctions, «tenu à l’obligation de neutralité», dans le principe, car le mot neutralité ne figure pas dans notre loi.
Il y est écrit à l’article 10 que «le fonctionnaire doit servir l’État avec dévouement, dignité, loyauté et intégrité. Il doit notamment veiller à tout moment à la promotion des intérêts de la collectivité et éviter, dans le service comme dans la vie privée, tout ce qui serait de nature à compromettre le renom de la fonction publique…»

Mais, restons dans les principes. L’obligation de neutralité imposée au fonctionnaire découle du principe général de neutralité applicable au service public.
La jurisprudence consacrée en la matière a, ainsi, consacré l’obligation de neutralité, applicable à tous les agents publics, en la qualifiant de «devoir de stricte neutralité ». Aussi, les agents de l’État ne peuvent-ils pas, par leur comportement, propos ou tenue vestimentaire, manifester leurs opinions ou préférences en sorte que l’usager ne puisse douter de la neutralité du service. La neutralité de l’agent public s’oppose, ainsi, à ce qu’il manifeste pendant le service ses opinions, qu’elles soient philosophiques, politiques, syndicales ou encore religieuses.
Mais bémol, le fonctionnaire est un citoyen jouissant de ses droits civiques comme n’importe quel autre fils de la République. Aussi, l’article 17 de la loi portant Statut général des fonctionnaires (loi N°02-053 du 1- décembre 2002), tout comme la Constitution (articles 4 et 5), garantit-il ces droits : «Le fonctionnaire est libre de ses opinions politiques, philosophiques et religieuses.
Aucune mention faisant état des opinions politiques, philosophiques et religieuses du fonctionnaire ne doit figurer dans son dossier. Il lui est toutefois demandé de les exprimer en dehors du service et avec la réserve appropriée aux fonctions exercées».
Choguel Kokalla Maiga, Premier ministre, recevant un parti de sa mouvance, connu de tous, a-t-il franchi le seuil de cette «réserve appropriée» pour que le service public de sa charge en pâtisse ?

L’Administration
hors circuit
Pour cerner les contours du litige, examinons ce qu’il a dit à la télévision nationale et sur la page Facebook de la Primature que les administrateurs ont eu la maladresse de tirer, donnant plus de suspicion à la question. Le Premier ministre a dit que les forces du changement doivent se donner la main pour rendre le processus de refondation irréversible en gagnant les prochaines élections. Simple souhait ou engagement du chef du gouvernement ?
Dans l’un ou l’autre cas, à moins qu’on cherche des poux sur la tête du Premier ministre, en quoi ce qu’il a dit porte atteinte à la neutralité de l’Administration qui n’est plus chargée d’organiser les élections ?

Selon les termes d’une circulaire du ministre de l’Administration à tous les chefs de circonscription administrative «en application de cette loi, la nouvelle mission qui est confiée au Ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation est d’appuyer l’Autorité indépendante de Gestion des Elections (AIGE), notre Organe unique indépendant de Gestion des Elections. Plus concrètement, il s’agira pour nous d’apporter notre aide à l’AIGE.
Par conséquent, poursuit la Circulaire, dans nos attributions, entre autres innovations, nous retenons que le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation ne proclame plus les résultats provisoires et les Représentants de l’État n’interviennent à aucun moment dans le traitement et la gestion des résultats électoraux (opérations de dépouillement des bulletins de vote, recensement des votes, centralisation des résultats, publication des résultats provisoires). Ces attributions sont dorénavant celles de l’AIGE ».
En effet, l’article 4 de la loi votée par les honorables membres du CNT confie clairement à l’autorité indépendante de gestion des élections (AIGE) la mission d’organiser les élections : «L’Autorité indépendante de Gestion des Élections a pour mission l’organisation et la gestion de toutes les opérations référendaires et électorales… »
Dès lors que l’Administration n’est pas l’organisateur des élections, la neutralité pour le Chef du gouvernement n’est pas de mise, car ses partisans (les forces du changement) compétissent à égalité avec les autres forces politiques et candidats indépendants. Donnerait-on dans une compétition loyale et transparente le droit aux autres de formuler le vœu pour la victoire de leur camp et même d’appeler à voter pour leur camp et dénier ce même droit au Premier ministre ?

Ceux qui ont érigé en force de loi « la présomption de culpabilité des Représentants de l’État dans la fraude électorale » et qui ont estimé que l’Administration malienne, pardon l’Administration Choguel, était indigne d’organiser les futures élections et in-crédible l’État lui-même à piloter ce processus, ont dédouané Choguel Kokalla Maïga et l’ont fondé en droit d’appeler les forces du changement à se donner la main pour gagner lesdites élections.
Comme quoi, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.

LA RÉDACTION

Source: Info-Matin
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