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Charte de la transition au Mali: Compromis dynamique ou dynamique compromise

La charte de la transition a été adoptée, le 12 septembre dernier, par les forces vives de la nation malienne, à l’issue de trois jours de concertation. Entre autres mesures fortes contenues dans le rapport présenté à la clôture des travaux, la décision de fixer la durée de la transition à 18 mois, et surtout le choix laissé à un comité formé par la junte de désigner un président civil ou militaire pour diriger la transition. Toutefois, en dépit du formidable espoir suscité par l’élan patriotique et l’engagement des participants, le conclave laisse comme un goût d’inachevé.

 

Au lendemain même de la fin des travaux, le mouvement du 5 juin (M5) a publié un communiqué pour dénoncer « la volonté d’accaparement et de confiscation du pouvoir au profit du CNSP ». Considérant que le document final lu à l’issue des trois journées de concertation nationale sur la transition ne traduisait pas la quintessence des délibérations des différents groupes de travail, le M5-RFP s’en est démarqué. Est-ce le désamour entre deux partenaires de raison dont la conjugaison des efforts a entrainé le départ du pouvoir du président déchu Ibrahim Boubacar Keita ? Ou alors est-ce un simple avertissement, sans frais, d’une entité qui revendique la paternité du processus qui a conduit au changement de régime ? On en saura plus les prochains jours.

Cependant, revenons sur les grandes décisions entérinées par la concertation. Le texte adopté prévoit la mise sur pied de trois organes de transition : un président et son vice-président, le conseil national de transition comprenant 121 personnes de provenances diverses (M5-RFP, partis politiques, société civile, religieux, journalistes, diaspora, mouvements des jeunes et femmes, et enfin un gouvernement de 25 membres dirigé par un Premier ministre. Le décor est donc planté. L’architecture de l’agenda proposé semble bien tenir la route. Pour autant, elle n’en comporte pas moins des insuffisances et des incohérences.

Parmi les faiblesses relevées, le fait que certains points de la charte de la transition soient en porte-à-faux avec la Constitution du 25 février 1992 qu’elle est censée compléter. Quel statut pour le vice-président et quels rapports avec la personnalité nommée à la tête de la transition ? Autre incongruité : alors que selon la Constitution du 25 février 1992, en son article 121, « tout coup d’État ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien », l’article 19 de la charte de transition stipule que « les membres du CNSP et tous les acteurs ayant participé aux événements allant du 18 août 2020 à l’investiture du Président de transition  bénéficient de l’immunité juridictionnelle » et, par conséquent, « ne peuvent être poursuivis ou arrêtés pour des actes posés lors desdits évènements ». Un imbroglio juridique à démêler.

Toutefois, les points de satisfaction ne manquent pas. Le consensus noté sur la question sécuritaire notamment. Parmi les grands chantiers de la transition, la stabilisation du pays et la pacification de tous les foyers de tension doivent figurer en bonne place. Autres priorités, les réformes institutionnelles et politiques à conduire, la bonne gouvernance, etc. Ainsi, l’audit de la gestion du précédent régime est un impératif, en particulier dans les secteurs de la défense et de la justice. Un audit exhaustif du patrimoine de l’État malien s’impose, ainsi que des réformes appropriées et l’organisation optimale des futures consultations électorales.

Les propositions de sortie de crise ne manquent. Les expériences vécues au Niger, en Guinée et au Burkina Faso sont des baromètres privilégiés. À mon sens, les cas de figure suivants se présentent à la présente donne malienne.

Au Niger, après le coup d’État du 18 Février 2010 qui avait renversé l’ancien président Mamadou Tandja, un Premier ministre civil, Mahamadou Danda sera nommé le 1er mars 2010. Le gouvernement chargé de conduire la transition démocratique comprenait vingt ministres et avait à sa tête un militaire, le chef d’escadron Salou Djibo, Chef de l’État, Président du Conseil des ministres.

En Guinée, le gouvernement de transition mis en place le 15 février 2010 avec à sa tête le Général Sékouba Konaté, président de la transition, était composé de 34 ministres – dont six militaires – et un Premier ministre civil Jean-Marie Doré.

Au Burkina Faso, en novembre 2014, un civil, Michel Kafando, sera officiellement investi président de la transition, trois semaines après la chute de Blaise Compaoré. Michel Kafando occupait également le poste de ministre des Affaires étrangères. Quant au lieutenant-colonel Issac Zida, il cumulait le poste de Premier ministre avec celui de ministre de la Défense. Le colonel Auguste Denise Barry, l’un de ses plus proches collaborateurs, étant ministre de l’Administration territoriale et de la sécurité. Le gouvernement de transition mis en place comportait 26 ministres, dont deux ministres délégués.

Nous disions, dans une précédente chronique, que l’avènement du CNSP doit être considéré comme une nouvelle opportunité, pour un pays aux ressorts rouillés, de jeter les bases d’une véritable refondation. Mais que l’adhésion populaire observée est loin de signifier un blanc-seing pour la junte, encore moins un chèque en blanc. Il lui faudra, pour rassurer les uns et les autres sur sa réelle volonté de corriger les errements d’un passé récent, restaurer l’autorité de l’État, poser les jalons d’un réarmement moral, aussi bien de l’armée que du peuple malien dans son ensemble et, enfin, procéder à l’assainissement des finances publiques à travers des audits exhaustifs de la gestion antérieure.

À travers le gouvernement de transition qui sera mis en place, le CNSP doit surtout donner des gages du respect scrupuleux du chronogramme de la transition telle que souhaitée avec l’implication active des forces vives ayant participé à la concertation nationale, de la classe politique, des syndicats et de la société civile.

Néanmoins, il ne faut pas rêver. La perfection ou l’unanimité sont des vœux pieux. Il ne fait aucun doute qu’une fois le gouvernement de transition mis en place, des voix jusque là tues se feront entendre. Quoi de plus normal vers la quête d’un idéal impossible. Plusieurs membres des forces vives, des coalitions de partis politiques, des syndicats et de la société civile, occuperont des postes ministériels, mais ce qui les attend est loin d’être une promenade de santé. C’est bien de la refondation du Mali et du citoyen malien qu’il s’agit ; penser à un simple partage de privilèges et de prébendes serait illusoire. Le peuple malien, en sentinelle vigilante, ne l’acceptera plus.

Désormais face à l’histoire, les membres du CNSP ont pleinement conscience qu’ils n’ont pas le droit à l’erreur. « Ce qui nous attend est tout aussi ardu », a indiqué le Colonel Assimi Goïta. Son appel  traduit bien le souci des dépositaires actuels du pouvoir de mener une transition apaisée. « Nous demandons et espérons, dit-il, la compréhension, l’appui et l’accompagnement de la communauté internationale dans cette mise en œuvre diligente, correcte, de la charte et de la feuille de route de la transition... ».

En définitive, la rencontre prévue ce mardi 15 septembre à Accra, entre une délégation du CNSP et les chefs d’État de la CEDEAO, est très attendue. Ces derniers devront, sauf revirement, prendre acte de la feuille de route issue de la concertation nationale. Tout en veillant au respect strict, par le CNSP, du chronogramme de la transition, avec une personnalité civile aux manettes. Comme l’exige du reste le M5-RFP dont la frustration cache mal le désappointement des véritables tombeurs d’IBK. Le compromis dynamique est de rigueur. À défaut, la dynamique amorcée sera compromise.

Bonne semaine à tous !

Karim DIAKHATÉ

Directeur de Publication du magazine LE PANAFRICAIN

Coordonnateur de la Rédaction du magazine AFRIQUE DÉMOCRATIE   

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