Les mauvaises pratiques et les agressions sur les différents cours d’eau, combinées à la faiblesse des crues contribuent à diminuer d’année en année les captures au grand dam des pêcheurs
Au bord du fleuve Niger à Bamako. Le crépuscule s’installe. Un vent frais tempéré rafraichit les corps et les esprits. L’ambiance est terne. Un calme relatif règne par endroits. Un groupe de quatre adolescents marchent le long de la berge. L’un transporte un petit seau et un autre, un filet de pêche. Direction : la maison. Mamadou Diarra, pêcheur amateur, ne semble pas satisfait de sa prise. «Je n’ai pratiquement rien eu. Juste cinq petits poissons, ce soir», déplore-t-il, précisant que cette activité lui permet d’avoir un peu d’argent de poche.
Plus loin se dresse la cour de Kader Théra, président du Groupement des pêcheurs de Djicoroni Morobougou. Le sexagénaire construit un hangar à l’entrée de sa chambre. Pêcheur depuis plus de 40 ans, Kader a quitté son Kolongo natal (en zone Office du Niger) pour s’installer à Bamako. C’était en 1984. De cette période à maintenant, il assiste impuissant à la réduction drastique du nombre de poissons dans le fleuve Niger. «Depuis plusieurs années, nous peinons à vivre de notre activité. Cela est dû à notre comportement irresponsable vis-à-vis de la nature», dit-il, l’air peiné. à chaque problème sa solution, s’empresse-t-il d’ajouter.
Pour lui, malgré le dérèglement climatique, une autre cause du dépeuplement des espèces halieutiques, il est possible d’adopter certains comportements pouvant permettre de continuer à avoir du poisson en quantité. En la matière, Kader rappelle que dans les années 1970-1980, il existait des règles préétablies par les communautés locales. «Nous avions des périodes de pêche et des moments où toutes les activités étaient suspendues. Cela, pour permettre aux poissons de pondre des œufs, se reproduire et atteindre l’âge adulte», se souvient-il, visiblement nostalgique. Ce pêcheur d’un autre temps ajoute que les agents des Eaux et Forêts veillaient à leur respect strict. Des permis de pêche étaient également nécessaires pour exercer le métier, précise le vieil homme.
Aujourd’hui, chacun en fait à sa tête, déplore-t-il. Aucune règle n’est respectée, les autorités ont démissionné. «Certaines personnes se permettent de pêcher les plus petits poissons dans l’eau. Si on ne les laisse pas se développer et perpétuer le cycle, il va de soi que certaines espèces vont disparaître, ce qui a déjà commencé d’ailleurs. Il existe des types de poissons qu’on ne retrouve plus ou difficilement», argumente Kader Théra. Pour se procurer du «Bourgou (herbe aquatique)», nombreux sont ceux qui arrachent la végétation aquatique pour d’autres objectifs. Ces hautes herbes vues à la surface des eaux sont des nids pour poissons, soutient le président du Groupement des pêcheurs de Djicoroni Morobougou.
90% DE LEUR SUPERFICIE- Conséquence, les poissons disparaissent de ces eaux ou migrent vers des lieux plus sûrs. Des études confirment les constats et affirmations de Kader Théra. Un travail réalisé en 1950 estimait à 130 le nombre d’espèces de poisson au Mali. Ce nombre a aujourd’hui baissé à 86. Des espèces comme les cytarinus ont disparu dans le Delta, la plus grande pêcherie du Mali avec environ 80% de la production nationale. Les gymmarahus, poissons de très grandes tailles, sont devenus très rares dans nos eaux. L’étorotus que l’on retrouve aujourd’hui dans le Sourou et à Manantali est devenu très rare dans le Delta.
Nos eaux sont de plus en plus polluées. à titre d’exemple, certains pêcheurs à Bamako attrapent des poissons morts dans les eaux. «Depuis plusieurs années, nous nous battons contre la pollution de nos eaux sans succès», interpelle Kader Théra. Les sachets plastiques, les ordures ménagères, se retrouvent au fond des eaux, drainés par la pluie. Les eaux usées finissent également leur course dans le fleuve. Autre source de pollution : le dragage. Les propriétaires de ces engins enlevaient la boue et sédiments pollués du fond de l’eau pour les ramener à la surface pour en extraire de l’or. Cette action trouble la couleur de l’eau qui devient boueuse, entraînant la fuite ou la migration des poissons vers d’autres horizons, analyse-t-il, ajoutant que la communauté a dû se mobiliser pour les chasser.
En conséquence, la pêche n’est plus une activité économiquement rentable pour les pêcheurs locaux. «Je vis de ce que je pêche. Les frais de scolarité, de santé, la nourriture… tout y passe. Si je ne trouve pas de poissons alors la famille sera à la charge de ma femme, vendeuse de condiments au marché» ajoute-il.
Quand les pêcheurs sont affectés, les fabriquants de pirogues sont privés d’une importante source de revenus. Ceux-ci déplorent une baisse drastique de leurs chiffres d’affaires depuis quelques années. Bourama Koné, 27 ans, exerce ce métier auprès de son père depuis sa tendre enfance. Les pêcheurs de la localité ne commandent plus de nouvelles pirogues, confirme-t-il. Ils préfèrent réparer leurs anciennes embarcations, faute de moyens. Leur prix varie en fonction de la dimension. Celles qui mesurent 6 m sont vendues à 175.000 Fcfa. Les 20 m de longueur coûtent 2 millions Fcfa.
Interrogée, la direction nationale de la pêche (DNP) dit être au courant des difficultés et cherche des solutions pour y faire face. Pour Bakary Tindé, ingénieur des Eaux et Forêts à la division réglementation et contrôle à la DNP, le changement climatique a gravement affecté le secteur, réduisant les pêcheries.
«Les grandes zones de pêches telles que le lac Faguibine, sont aujourd’hui devenues des dunes de sable plus hautes qu’un immeuble à trois étages. Quand les zones de pêche diminuent, la quantité de poisson diminue également», analyse le spécialiste en environnement et développement durable. Beaucoup de lacs ont perdu près de 90% de leur superficie à Kayes, Koulikoro, Tombouctou, Mopti. Le lac Do, le Niangaye et Aougoundou ne reçoivent presque plus d’eau.
116.346,94 TONNES DE POISSONS EN 2019- Pour Baba Coulibaly, chef division aménagement des pêcheries et aquacultures, la pêche est tributaire de la pluviométrie et de la crue des fleuves Sénégal et Niger. Lorsque la crue est abondante avec une forte pluviométrie, les zones d’inondations s’élargissent et c’est dans ces zones que la plupart des espèces halieutiques migrent pour se développer ou pour se reproduire, explique l’expert. Avec l’effet du changement climatique, les pluies ne sont plus abondantes. Les zones de frai (zone de reproduction) diminuent et par ricochet le taux de capture, insiste Baba Coulibaly. Aussi, les agriculteurs et éleveurs, affectés par le changement climatique, se sont tournés vers la pêche, ajoute-t-il, comme pour dire qu’il y a plus de pêcheurs que de poissons.
Les plans d’eau sont ainsi devenus des sources de conflits, car certaines personnes reçoivent des redevances sur les points d’eau, amenant d’autres communautés à s’y intéresser de plus en plus. à titre d’exemple, au tribunal de Mopti, il y a plus de conflits liés à la pêche que les autres activités, affirme Bakary Tindé.
Aussi durant l’étiage, les poissons sont exposés aux pêcheurs, car n’ayant pas d’endroit où se mettre à l’abri et se reproduire. Les pluies diluviennes entraînent des déchets, des pesticides, des boues et des sédiments qui troublent les eaux, tuant ainsi les poissons qui s’y trouvent. En 2019, un fort taux de mortalité des poissons a été constaté à Baguinéda suite à de fortes pluies, illustre Baba Coulibaly.
Pour y faire face, une politique de développement de la pisciculture a été développée pour booster la production de poisson. Il s’agit-là d’une production artificielle comprenant la pisciculture communautaire, la rizi-pisciculture, la pisciculture péri-urbaine et urbaine, la pisciculture en cage flottante, semi-intensive, intensive dans les bacs hors sol. Dans la Région de Mopti, des canaux longs de 30 km ont été surcreusés pour connecter des points d’eau afin de permettre aux poissons de se déplacer.
Cette stratégie commence à porter des fruits même si les résultats restent encore mitigés. Selon le rapport annuel 2019 de la direction nationale de la pêche, la production de pêche de capture s’est établie à 109.362 tonnes, contre 6.984,94 tonnes pour la pisciculture, soit 6% du total de poissons produits. Le cumul fait une production totale de 116.346,94 tonnes de poissons en 2019.
Oumar SANKARÉ
Source : L’ESSOR