L ‘air du temps est à la modération. Certaines femmes expriment leur ras-le-bol. La crise économique a atténué les rentrées d’argent.
Nous sommes un dimanche à Guarantiguibougou. Vers 16h, la devanture de la famille Traoré est pleine à craquer. Le passant est attiré par les battements des tams-tams. Toutes les femmes invitées sont richement habillées. Elles forment un cercle autour des artistes. La plupart portent de grands boubous en bazin haut de gamme. Elles ne semblent pas se soucier une seconde du lendemain de misère. Des effluves d’encens et de parfums chers envahissent l’air autour du regroupement. Certaines élégantes applaudissent les envolées de la belle voix de la griotte, qui magnifient les nouveaux mariés. D’autres se contentent d’observer la scène en affichant un sourire qui traduit leur bonheur. La griotte chante les louanges de Mme Diallo. La vedette du moment est entourée des proches sous les flashes des photographes et du projecteur d’un cameraman. La main gauche de la chanteuse est remplie de billet que Mme Diallo et ses amies lui ont offert. L’épouse honorée n’arrive pas à maitriser ses émotions, surtout quand la griotte crie à travers des refrains le nom de son mari. Elle ouvre un sac de marque « Michael Kors » et commence à jeter des billets de banque au pied des artistes.
En un clin d’oeil, elle offre 75 000 Fcfa à la griotte principale. A d’autres personnes, elle offre des pagnes, des coupures de 5000, 2000 Fcfa, 1000 Fcfa. L’invitée Awa est ébahie. Elle ne tient plus sur sa chaise. Elle observe bouche bée. « Niyé gros bonnet koyé. Anw ka dogo ni koro » (C’est une affaire de gros bonnet. Nous sommes des petits pions) », commente t -elle.
Une semaine après cette cérémonie nous sommes à Yirimadjo. Comme à Guarantiguibougou la même scène de distribution de billets de banque neufs se déroule. Ici c’est une griotte de renommée nationale qui anime la cérémonie. La somme minimale donnée à la griotte était de 100 000 Fcfa. Sans compter les billets offerts aux griottes secondaires, aux joueurs de tam-tam, au cameraman.
Une femme assise à côté de nous ne tarde pas à nous confier sa frustration. « Regarde moi toutes ces scènes de gabegie. Trop, c’est trop. Je me demande si elles travaillent pour gagner cet argent. Je ne peux pas gagner de l’argent à la sueur de mon front et le jeter par la fenêtre. Je pense qu’il est temps de moraliser les « fassadas » dans notre pays en crise économique et sécuritaire.
La dignité des femmes et leur honneur ne sont pas du tout sauvegardés en ce moment dans les baptêmes ou mariages au cours desquels le gain de plusieurs mois d’effort est dilapidé en quelques minutes . Ces deux scènes illustrent bien les week-ends de certaines femmes à Bamako. Autrefois, les cérémonies étaient organisées dans la simplicité.
Aujourd’hui, l’exhibitionnisme de mauvais aloi est devenu la règle. La journée solennelle de mariage ou de baptême dans les familles aux revenus modestes est désormais transformée en foire de folies des grandeurs. Les louanges ou « Fassada » en bambara, sont rétribués à prix d’or.
Dans la plupart des cérémonies de mariage, une liste des participantes est remise aux griots qui chanteront les louanges. Chaque invitée déboursera une certaine somme. Il arrive que deux ou trois personnes donnent jusqu’à 400 000 Fcfa au cours d’une seule cérémonie. D’autres offrent de l’or, des billets en euro, de dollar américain, des parcelles d’habitation. Aujourd’hui, à Bamako, dès qu’on annonce un mariage, le souci commence pour les marraines et leurs invitées. Quelle gymnastique spirituelle et physique pour collecter la provision financière à offrir aux griots. Sans compter les autres dépenses. Et toutes les élégantes filment la scène de distribution de billets de banque. Elles rêvent les yeux ouverts. Elles immortalisent le moment magique où elles ont eu droit à tous les égards rendus à une reine.
Les louanges reçues et la généalogie merveilleuse déroulée sur leur tête lors des cérémonies sont l’élixir du bonheur pour les Bamakoises riches ou pauvres. C’est l’occasion pour elles de se mesurer aux autres, de se faire voir ou d’exhiber leur puissance financière ou celle de leur mari.
Mais l’air du temps s’assombrit. De plus en plus, une forte proportion d’épouses, et mêmes de femmes célibataires, ne perdent plus la tête quand le timbre cristallin de la griotte les décrit comme « la femme unique » parmi les Bamakoises. Au contraire, elles expriment leur ras-le-bol. Elles exhortent leurs sœurs à modérer les dépenses au cours des cérémonies sociales.
La révolutionnaire Mme Doumbia prône un rapide changement de comportement. « Les cérémonies de mariages célèbrent l’union sacrée entre l’homme et la femme. Il s’agit d’un moment de joie entre les parents, les alliés des deux époux. Mais aujourd’hui, la joie n’est pas partagée. La hantise des dépenses liées au « fassada » envahit les cœurs, a-t-telle soutenu. Son mari vient d’une grande famille dans laquelle le nombre des mariages célébrés dans l’année est élevé. « Je suis considérée comme une « demba », une mère des nouveaux mariés. Dans certaines familles, il est dressé une liste des mères. Chacune déboursera plus de 50 000 Fcfa. Sans compter la parure chère et le geste fait à l’endroit de la maman génitrice de la mariée ou du marié. C’est difficile d’économiser dans ces conditions. Mme Doumbia plaide la sagesse. « Tu ne vas jamais avancer. Mais que faire ? Si tu refuses de mettre ton nom sur la liste, tu crées des frustrations. Je pense que le moment est venu pour le leadership féminin de réfléchir à la modération des folles dépenses au cours des cérémonies sociales. C’est un handicap majeur à l’autonomisation des femmes maliennes. » Désormais, Mme Doumbia ne se tracasse plus . « J’y fais avec les moyens de bord. Personnellement, je suis contre le fait de nous exiger des fortes sommes. Toutes nos économies y passent.
La fonctionnaire ne cautionne pas les folies. « Je passe mes journées à bosser. Toutes les deux semaines, ou trois semaines, je ne peux pas donner toutes mes économies à une griotte qui ne me connaît pas, qui ne connaît pas ma famille et qui crie le nom de mon mari et de ma mère dans un micro.
Ami invite les familles à penser à organiser les cérémonies de mariages sans déranger les femmes invitées ». « On doit arrêter ces histoires de « fassada » à l’eau de Cologne qui vident les cagnottes.
Ce n’est pas bon pour les nouveaux mariés. Car au lieu de faire des bénédictions pour eux, certaines invitées vont les maudire ».
L’infirmière Mme Soumano n’est pas contre les cérémonies dispendieuses de mariage. Elle estime qu’un mariage ne doit pas ressembler à un enterrement.
Elle ajoute que la présence des griottes est normale et que chanter les louanges est une tradition séculaire. « Quand on appelle un griot ou une griotte, il faut aussi qu’elle trouve de l’argent, de quoi vivre. Cela fait partie de nos valeurs culturelles de faire un geste au griot ou à la griotte qui chante notre louange. Mais je pense qu’on doit atténuer le niveau des tarifs fixés de nos jours lors des cérémonies », a-t-elle plaidé. Certaines personnes proches de la famille du marié ou de la mariée doivent obligatoirement figurer sur la liste de la chanteuse ou chanteur. Mais que les femmes ne se sentent pas obligées de donner ce qu’elles n’ont pas. Et que les griottes de leur côté fassent l’effort d’accepter le peu que certaines « Demba » leur donnent. Il faut un peu de tout pour faire un monde.
Aminata Dindi
Sissoko
Source: L’Essor-Mali