Sous prétexte de séances d’exorcisme, elle torturait les vielles personnes et violait tous les tabous des villages, mettant ainsi le tissu social à rude épreuve
La secte évangélique qui semait la terreur dans certaines localités des cercles de Sikasso et Kadiolo et dont nous avons fait cas des agissement dans de précédentes éditions n’a pas fini de faire parler d’elle. Depuis six mois, les pasteurs qui l’animent, instruisent des procès en sorcellerie semant le trouble entre les populations. Du coup, le tissu social dans cette zone frontalière avec le Burkina Faso s’en trouve menacé.
Rappelons que la secte a des méthodes bien particulières pour « exorciser » ses victimes. Les vielles personnes sont publiquement maltraitées et humiliées sous prétexte d’être des sorcières ou de détenir des fétiches dans leurs maisons. Les fétiches censés protéger les villages sont détruits sous les yeux impuissants de leurs gardiens.
Le gourou de cette secte est un pasteur ressortissant du Burkina Faso. Il se nomme Dopiri Ouattara. Ses disciples et lui furent aperçus pour la première fois au début du dernier trimestre de 2014 dans le village de Hèrèmakono dans le cercle de Sikasso à la frontière avec le Burkina Faso, explique le commandant de légion de la gendarmerie de la 3e Région, le lieutenant-colonel Adama Berthé. Ils commencèrent par organiser des prêches suivi de séances d’exorcisme pour, prétendaient-ils, conjurer les mauvais sorts, combattre les sorciers, détruire les fétiches, guérir les malades.
Selon plusieurs témoignages, le pasteur et ses adeptes détruisaient les fétiches, bastonnaient leurs propriétaires, humiliaient les vieux et les vielles devant leurs enfants et petits-enfants. Ces séances d’exactions provoquaient de gros rassemblements de personnes avec des débordements. Dès le début, les services de sécurité virent d’un mauvais œil les séances de prière qui n’étaient pas officiées dans une église, mais sur la place publique. En plus, le pasteur et ses adeptes détruisaient les fétiches, patrimoines des villages, portant ainsi préjudice au culte d’autrui dans un pays laïc.
Malgré les mises en garde des autorités locales, le pasteur Dopiri Ouattara parvint à former beaucoup d’adeptes dans les cercles de Sikasso et Kadiolo pour assurer la relève, avant de regagner son pays où il sera arrêté peu de temps après et emprisonné Orodara, dans la province du Kénédougou. Mais ses adeptes, eux, ont poursuivi son œuvre. Les services de sécurité durent ainsi arrêter et déférer devant la justice un premier groupe de membres de la secte.
REGLEMENT DE COMPTES. Après un séjour d’une semaine dans la commune de Kaï (Loulouni), un autre pasteur, Enoch Sanou, se rendit dans l’arrondissement de Danderesso. Cela, malheureusement à la demande d’individus plutôt animés du désir de régler leurs comptes avec leurs concitoyens. Sanou prenait donc la suite du gourou Dopiri Ouattara. Il fut, à son tour, appréhendé avec ses disciples, dont une femme, dans le village de Bambougou et déféré devant les tribunaux pour trouble à l’ordre public, violence et voie de fait.
Le préfet du cercle de Sikasso, Souleymane Coulibaly, prit rapidement au sérieux la capacité de nuisance de la secte. Il mena plusieurs missions de sensibilisation dans les localités concernées et organisa des réunions avec l’ensemble des chefs de village, les sous-préfets et les maires. La situation se calma un moment mais la secte reprit service il y a quelques semaines à Danderesso. Le préfet Souleymane Coulibaly convoqua d’urgence le maire de la localité pour étudier les dispositions appropriées à prendre.
Le sous-préfet de Loulouni (cercle de Kadiolo), Abraham Kassogué, a été le premier responsable administratif dans le cercle à appréhender les agissements des disciples du pasteur Enoch Sanou dans trois communes rurales : Nimbougou, Loulouni et Kaï . Il explique que toute cette histoire a débuté par de rumeurs folles sur les prétendus pouvoirs protecteurs et guérisseurs d’un pasteur évangélique qui officiait dans le village de Sokouraba au Burkina Faso.
Les habitants de Kadiolo, Nimbougou, Loulouni et Kaï affluaient tous les dimanches à Sokouraba pour assister aux prières du pasteur Ouattara dont Enoch Sanou est l’un des disciples. Totalement endoctrinées par les prêches du pasteur, les visiteurs rentraient chez eux avec une « potion magique » en huile dont le flacon était vendu à 1500 Fcfa. Des témoins assurent que la potion met en transe son utilisateur qui devient comme possédé. C’est cet état que le pasteur qualifie « de manifestation du Saint Esprit ». Des responsables chrétiens que nous avons approchés dénoncent cette imposture précisant que le Saint Esprit a 7 dons parmi lesquels, la crainte de Dieu, la sagesse et l’intelligence.
Un sexagénaire ressortissant de Nimbougou, totalement acquis à la cause du pasteur prétend que le gourou a nettoyé les villages en les débarrassant des sorciers, des sortilèges, bref des esprits maléfiques. Cette appréciation est largement partagée par une bonne partie des habitants de son village. C’est ce qui explique certainement l’agression dont les forces de sécurité furent l’objet le 1er janvier à Nimbougou. La veille, au moment où l’on fêtait le passage au Nouvel an, un jeune homme du nom de Lamine Berthé tenta de s’enfuir avec son père du village suite aux exactions des disciples maliens du pasteur Enoch Sanou, expulsé de la commune de Kai le 5 décembre.
Le jeune Lamine Berthé quitta le village sur une moto avec son père âgé d’environ 70 ans. Ils seront pourchassés par les acolytes du pasteur Souleymane Traoré, compagnon de Enoch Sanou, sous prétexte que le vieil homme était un sorcier. C’est près de Katogota, un village situé entre Nimbougou et Loulouni, que les Berthé père et fils, furent rattrapés par leurs poursuivants qui les renversèrent dans un ravin avant d’enlever le vieillard blessé.
Le jeune Lamine, impuissant face à cet acte criminel, s’est aussitôt rendu à Loulouni pour en informer le sous-préfet et les gendarmes en service au poste de sécurité de la localité. Après avoir alerté leurs chefs hiérarchiques de Kadiolo, les deux gendarmes, accompagnés d’un élément permanent de la garde nationale, se rendirent à Nimbougou (réf L’Essor du 16 janvier).
UN ENFANT BASTONNE. Ces agents de sécurité seront pris à partie par la population. Leurs tirs de sommation n’y firent rien. Ils furent désarmés, molestés et séquestrés par la foule qui aurait alors agi sous l’effet de la potion du pasteur. C’est à partir de leur lieu de séquestration que les agents de sécurité parvinrent à alerter le sous-préfet qui en a informé sa hiérarchie. Le chef de village reçu l’ordre de faire libérer immédiatement les otages. Ceux-ci furent ramenés à Loulouni en sang. Leurs effets personnels et motos avaient été détruits. C’est alors que des renforts des services de sécurité seront dépêchés à Nimbougou. Après avoir pris certaines précautions, ils pénétrèrent dans le village où ils appréhendèrent quelques meneurs et suspects.
Selon le sous-préfet de Loulouni, Abraham Kassogué, les séances d’exorcisme de la secte sont insoutenables. Des vielles personnes sont torturées et des familles sont à jamais divisées, le pasteur ayant attribué la mort de tel membre de la famille à telle vieille personne. Le sous-préfet dit avoir été particulièrement écœuré quand le pasteur a bastonné un enfant en sa présence.^ Abraham Kassogué qui est de confession chrétienne, fait remarquer que le pasteur Enoch n’est jamais en possession de la Bible pendant ses prêches.
Dans les trois communes qui s’étaient retrouvées sous l’emprise maléfique de la secte, le calme est revenu et les dossiers des violences perpétrées sur les forces de l’ordre sont devant la justice. Mais le commandant de la légion de gendarmerie, le lieutenant-colonel Berthé, continue de mettre en garde contre ce nouveau phénomène religieux qui a déjà provoqué des troubles à l’ordre public et menace d’affecter le tissu social dans la zone. Pour lui, les populations ayant été arrachées à leurs rites, coutumes et traditions, blessées dans leur amour-propre pourraient se révolter contre les agissements de la secte. Toutes les autorités sont impliquées dans la lutte contre ce phénomène mais des efforts particuliers sont attendus des députés et des élus communaux des localités concernées pour convaincre la population de se passer des « services » des gourous et de leurs acolytes.
F. DIABATE
AMAP-Sikasso
source : L Essor