Une nouvelle tuerie dans des villages dogons a fait entre une vingtaine et une quarantaine de morts dans le centre du Mali, où le président Ibrahim Boubacar Keïta a récusé il y a quelques jours toute notion de “conflit interethnique”.
Depuis l’apparition en 2015 dans la région du groupe jihadiste du prédicateur Amadou Koufa, recrutant prioritairement parmi les Peuls, traditionnellement éleveurs, les affrontements se multiplient entre cette communauté et les ethnies bambara et dogon, pratiquant essentiellement l’agriculture, qui ont créé leurs “groupes d’autodéfense”.
Les violences, qui déchirent cette région depuis quatre ans, ont culminé avec le massacre le 23 mars, attribué à des chasseurs dogons, de quelque 160 Peuls, dans le village d’Ogossagou, près de la frontière avec le Burkina Faso.
Les villages dogons de Gangafani et de Yoro, près de la frontière burkinabè, ont été frappés lundi par des attaques, a annoncé le procureur du pôle judiciaire spécialisé de lutte contre le terrorisme, Boubacar Sidiki Samaké, évoquant un “bilan provisoire de 14 morts”.
Le procureur a néanmoins appelé à la prudence, “pour éviter la polémique regrettable autour du bilan de Sobane Da”. Il faisait référence à un village dogon proche de Bandiagara, où une attaque le 9 juin a fait 35 morts, dont 24 enfants, alors qu’un précédent bilan avait mentionné au moins 95 morts et 19 disparus.
Une source militaire malienne a pour sa part cité un bilan de “40 civils tués” lors de ces attaques “dans les villages de Yoro et de Gangafani”, des estimations confirmées par des élus locaux sous le couvert de l’anonymat.
“Nous avons compté une dizaine de corps” dans les deux villages, distants l’un de l’autre, a indiqué à l’AFP Goundjou Poudiougou, conseiller communal à Dinagourou. Les auteurs de ces attaques “sont des terroristes parce qu’ils ont tué et éventré certains corps et brûlé des greniers. En quittant (le village) ils scandaient Allah akbar” (Dieu est le plus grand, en arabe).
Selon Adama Dionko, porte-parole du Collectif des associations du pays dogon, “c’était la même chose qu’à Sobane Da: des personnes, des biens et des animaux ciblés”. “Ce sont des terroristes, des criminels. Nous demandons à l’Etat plus de sécurité. Au président IBK (Ibrahim Boubacar Keïta, NDLR) de respecter sa parole”, a-t-il déclaré à l’AFP.
– Milices communautaires –
Lors d’un déplacement à Sobane Da le 13 juin, le président malien a promis la confiscation des armes illicites dans la région, mettant en garde les jeunes contre la tentation de “s’enrôler dans une quelconque milice”.
“Il n’y a aucun conflit interethnique” dans le centre du Mali, a-t-il assuré, évoquant “une excroissance de ce que nous avons vécu dans le Nord, et de ce que nous vivons encore dans le Nord”.
Le nord du Mali était tombé en 2012 sous la coupe de groupes jihadistes, en grande partie dispersés par une intervention militaire lancée en janvier 2013 à l’initiative de la France, qui se poursuit.
Selon Ibrahim Yahaya Ibrahim, analyste sur le Sahel à l’International Crisis Group (ICG), le président malien “a raison de souligner qu’il n’y a pas de conflit interethnique”. “Ni les Dogons, ni les Peuls n’ont donné mandat à ces groupes armés qui agissent en leur nom”, a-t-il expliqué à l’AFP. “Cependant le risque qu’on en vienne à une guerre civile interethnique est à prendre au sérieux et des mesures urgentes doivent être prises pour l’enrayer. Plus les attaques contre les civils se multiplient, plus on constate un ralliement des communautés autour des milices qui prétendent les protéger”.
Malgré la signature en 2015 d’un accord de paix censé isoler définitivement les jihadistes dans le nord du Mali, des zones entières du pays échappent au contrôle des forces maliennes, françaises et de l’ONU.
Depuis 2015, ces violences se sont propagées du Nord vers le centre, voire parfois le Sud, se mêlant très souvent à des conflits intercommunautaires, un phénomène que connaissent également le Burkina Faso et le Niger voisins.