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Centre du Mali: Kouffa, et maintenant ?

La force Barkhane et les forces armées maliennes ont mené dans la nuit du 22 au 23 novembre une opération d’envergure contre la Katiba Macina dans la forêt de Wagadou, au centre du Mali. Bilan : une  trentaine de morts, dont Amadou Kouffa, prédicateur peul  de renom et chef de cette branche, affiliée à Aqmi. Mais est-ce là la fin des tragédies et des conflits intercommunautaires dans cette zone en ébullition ?

« S’il s’avère aujourd’hui qu’Amadou Kouffa a été éliminé par Barkhane, je ne suis pas sûr que cela résolve le problème du djihadisme au Mali tant qu’Iyad Ag Ghaly est vivant ». Telle est la ferme conviction du Professeur Ali Nouhoum Diallo, l’un des  doyens de la communauté peule, ancien Président de l’Assemblée nationale du Mali. « Amadou Kouffa n’est rien sans Iyad Ag Ghaly », assure-t-il.

Dans la nuit du 22 au 23 novembre, la force Barkhane et les forces armées maliennes ont mené une opération « complexe » dans la forêt du Wadagou, au centre du pays. Elle aurait  abouti à la mort d’Amadou Kouffa,  chef de la Katiba Macina et membre du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) dirigé par Iyad Ag Ghaly. Une  trentaine de ses combattants ont également été tués. Annoncée d’abord comme « probable », la mort de celui qui aura semé le chaos dans cette zone a par la suite été « certifiée » par les forces armées maliennes. Mais les spéculations sur la véracité d’une telle nouvelle, fautes de preuves tangibles jusque-là, perdurent. « Kouffa, malgré qu’il soit un terroriste, était adulé dans certaines localités. Mais là où il oppressait les populations et les empêchait d’exercer leurs droits fondamentaux, elles peuvent se réjouir de cette nouvelle », estime Khalid Dembelé, analyste économiste au Centre de recherches et d’analyses politiques, économiques et sociales (CRAPES). Cependant, l’une des figures tutélaires de la communauté peule regrette la fin tragique de celui qui au début n’était qu’un maitre coranique. « Tout soldat qui tombe au Mali, je l’ai dit au temps où c’était la rébellion Kel tamashek qui était au-devant de la scène, qu’il soit blanc ou noir,  c’est un Malien qui meurt », avance le Professeur Ali Nouhoum Diallo. « Je ne peux pas être médecin et me réjouir de la mort d’un homme ».

Un tournant ?

Quoi qu’il en soit, neutraliser la tête de proue de la Katiba Macina ne constitue pas la fin des attaques et assassinats. Ses partisans, loin de le voir comme « un criminel », lui vouaient une allégeance aveugle.  Pour Khalid Dembelé, la disparition de Kouffa, « si elle est avérée, est une étape et non la fin ». « Elle pourra permettre à l’État malien de gagner en autorité sur le terrain et favoriser le retour de l’administration », indique-t-il, rappelant que « Kouffa avait  fermé plusieurs écoles dans cette partie du pays et instauré un certain nombre des lois de fonctionnement dans certaines localités ». L’action constitue tout de même un succès militaire notable et l’anéantissement de ce révolté donne du répit à des populations longtemps harcelées. Tout aussi prudent, Baba Alpha Umar, spécialiste des questions sécuritaires au Sahel pense que cette élimination pourrait être l’occasion pour l’État d’opérer son retour. « C’est une délivrance pour tous ceux qu’il oppressait et surtout pour les Peuls, dans le sens où les gens étaient entre le marteau et l’enclume », souligne-t-il. Mais il s’interroge : « l’État sera-t-il en mesure de donner aux communautés les possibilités de se sentir en sécurité de manière durable ?». Toujours est-il que les organisations terroristes ont la capacité de se régénérer. « C’est un mouvement très fort sur le plan national et international. Il y aura un successeur à Kouffa si sa mort se confirme », analyse Khalid Dembelé. Des sources sur le terrain croient à  une fin funeste. « Il semble-t-il qu’on l’ait remplacé. S’il était vivant cela ne serait  pas arrivé », dit Sekou Bekaye Traoré,  président du conseil de cercle de Youwarou.

Pour certains analystes, l’acharnement de Kouffa contre l’Occident et son rejet tenace de sa civilisation, combinés à son isolement, ont sonné son glas. Le 8 novembre, il apparaissait dans une vidéo aux côtés d’Iyad Ag Ghaly, chef du GSIM et de l’Algérien Djamel Ockacha dit Yahia Abdoul Hammam, dirigeant d’Aqmi. Amadou Kouffa appelait les musulmans, particulièrement les Peuls, de plusieurs pays de l’Afrique à faire le djihad. Le pas de trop ? « Il était devenu une grande menace pour les autorités françaises. Il menaçait directement les Occidentaux. Il avait fermé des écoles dans lesquelles on enseignait la langue française, or la langue est un outil de domination », explique Khalid Dembelé. 

Quid des conflits intercommunautaires ?

Le phénomène djihadiste dans le centre du Mali a fissuré le tissu social. Malgré les vieilles querelles liées au foncier entre les Peuls et les Bambara ou les Dogons, ces communautés, dans leur majorité, n’ont pas embrassé l’ordre  établi par « le maitre du Centre ». La longue absence de l’État a permis à la Katiba de s’imposer. C’est dans ce désordre violent que sont nées des milices d’autodéfense. La situation s’envenime. « Sa mort va aggraver même la situation ici. Les gens ont peur de ce qui peut arriver », témoigne un habitant de Youwarou sous anonymat. Il y a quelques jours, la milice dogon Dan Nan Ambassagou annonçait la fin de sa trêve. La même semaine, au moins douze Peuls ont été tués dans la commune de Ouenkoro, dans le cercle de Bankass.  « Sa disparition coïncide avec l’apparition d’un mouvement peul  non djihadiste, dirigé par Sekou Bolly, un radié de l’armée malienne. La balle est dans le camp de l’État, s’il sait saisir cette occasion », estime Baba Alpha Umar. Ce nouveau groupe entend se démarquer de toute accointance terroriste. Selon le dernier rapport conjoint AMDH – FIDH, le centre concentre depuis le début de l’année 2018 « environ 40% de toutes les attaques du pays » et est, par conséquent, « la zone la plus dangereuse ». Des crimes odieux se commettent loin des regards. Une situation qui risque de continuer.

À qui le tour ?

« L’attaque contre Kouffa prouve que les maitres du terrain sont les gens de la coalition Mali – France. C’est la preuve qu’elle peut traquer n’importe qui aujourd’hui », prévient Baba Alpha Umar. Cette intervention de Barkhane au centre marque un revirement, elle qui se confinait jusque-là au nord du pays. Iyad Ag Aghaly, leader du GSIM, doit-il désormais s’inquiéter ? « Toucher aujourd’hui Iyad est un risque de mécontenter l’Algérie, la Mauritanie, le Maroc et même la France. Mais, pour justifier sa présence au Mali, Barkhane  attaque Kouffa, le point faible,  pour dire que ce dangereux bonhomme est enfin éliminé », argumente le Professeur Ali Nouhoum Diallo. Selon Khalid Dembelé, « tant qu’Iyad ne sort pas de son domaine de prédilection, il n’aura pas de problèmes ».

La guerre contre le terrorisme  au Mali est un désastre. Dans certaines parties du territoire, les groupes djihadistes continuent de semer la mort. Leur violence attise les conflits intercommunautaires, mettant  à mal la cohésion sociale. Pour le professeur Ali Nouhoum Diallo, la solution est le dialogue. « On a vu la limite de nos armes, il faut discuter avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Kouffa ». Il poursuit « je ne permettrai à personne dans ma vie, moi Ali Nouhoum, patriote malien, de me dire vous pouvez parler avec un tel Malien et non avec tel autre », assène cette voix qui défie les âges.  Mais, selon l’analyste Khalid Dembelé « s’il doit y avoir un dialogue, il va falloir changer le qualificatif terroriste », attribué à ces acteurs. Au regard des souffrances endurées, Ourmar Cissé, habitant de Bandiagara, pense « qu’il est trop tard » et que « la seule solution est militaire. »

Mais « le tout sécuritaire » pourra-t-il mettre fin au djihadisme, sans un volet politique ?

Journal du mali

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