MADAME BOCOUM FATOUMATA SIRAGATA TRAORÉ, DIRECTRICE DU CENTRE MALIEN DE PROMOTION DE LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE (CEMAPI).
« La marque protégée offre de l’exclusivité à son détenteur »
Elle occupe ce poste depuis octobre 2018, après avoir servi pendant 5 ans en qualité de Conseiller technique aux différents ministères chargés de l’Industrie, de l’Investissement et du secteur privé.
Les Echos : Pouvez-vous présenter brièvement le Centre Malien de la Promotion de la Propriété industrielle ?
Fatoumata Siragata Traoré : Le CEMAPI est un service rattaché au ministère de l’Industrie et du Commerce. Il est également la structure nationale de liaison avec l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI). L’OAPI est basée à Yaoundé et regroupe 17 Etats africains dont le Mali.
Nous consommons chaque jour des marques sans nous rendre compte que derrière ces identités il y a un droit qu’il faut acquérir. C’est cela l’objet de notre structure. Nous aidons les entreprises à protéger leurs identifiants commerciaux et signes distinctifs, notamment leurs marques de produit et de service. Au Mali, la plupart des marques ne sont pas protégées. Quand une marque n’est pas protégée, elle reste dans le domaine public, donc, à la portée de tout le monde. Chaque marque doit être protégée par un droit de propriété industrielle afin de donner au propriétaire le monopole de l’exploitation de cette marque. La marque protégée offre de l’exclusivité à son détenteur.
Les Echos : Vous organisez un grand événement intitulé « La Semaine des Marques », du 14 au 19 mars. Parlez-nous-en un peu.
FST : La semaine des marques est une initiative du CEMAPI qui met à l’honneur les marques maliennes. Cet événement est une innovation en la matière parce que c’est la première fois qu’une telle manifestation économique est organisée au Mali. C’est une manière de montrer aux entreprises ainsi qu’aux consommateurs maliens que les marques sont le quotidien de tout un chacun. Pour en venir à l’objet de la semaine des marques, nous voulons toute une semaine dédiée aux marques. Les cérémonies d’ouverture et de clôture seront présidées par le Premier ministre. Elle sera consacrée à une série d’activités, notamment des panels qui vont permettre aux entreprises et au public de se familiariser avec la notion de marque, comprendre à quoi sert une marque et comment la protéger. Ces panels aborderont le rôle de la marque comme outil de compétitivité et aussi l’importance de sa protection par les entreprises pour se mettre à l’abri de pratiques commerciales déloyales comme la contrefaçon et de ses méfaits sur l’économie et la santé des populations. Il y aura des ateliers de formation à l’intention des jeunes entrepreneurs et de la société civile, dont les associations de consommateurs qui sont censés défendre leurs intérêts. Nous prévoyons de faire des caravanes sur les deux rives de Bamako avec les différentes marques qui sont sponsors et qui sont dans la compétition. Il y aura également une journée porte ouverte et des émissions télé comme « le Grin de Midi » qui sera délocalisé dans l’enceinte du CEMAPI. Nous avons un partenariat avec l’ORTM pour la couverture d’une série de reportages sur les marques qui seront nominées dès le premier jour. La clôture se fera en même temps que la remise de distinctions aux meilleures marques. La compétition se fera autour de six catégories. Il s’agit, en première position, de la marque préférée du public, c’est-à-dire qu’un vote sera ouvert pour donner l’occasion aux Maliens de voter pour leur marque préférée. Secondo, il y a la catégorie de la meilleure marque de produit, ensuite celle de la meilleure marque de service. La meilleure marque féminine, portée par les femmes entrepreneures, est la quatrième catégorie. Nous avons, en cinquième position, la meilleure marque à l’international, c’est-à-dire la marque malienne qui se vend le mieux à l’international et qui vend également le Mali. La toute dernière catégorie est la meilleure marque de jeune entrepreneur ; cela vise à encourager l’entreprenariat jeune au Mali.
Les Echos : Quels sont les principaux objectifs de cette activité ?
FST : Les principaux objectifs sont surtout de célébrer les marques maliennes et leur donner une plus grande visibilité. Le but est aussi de montrer l’importance de la marque en tant qu’outil de stratégie commerciale pour les entreprises. Cela, parce que la marque représente l’identité et le passeport des entreprises sur le marché. C’est à travers elle que les entreprises créent des liens forts avec les consommateurs et arrivent à conquérir une plus grande part de marché. Très souvent, plusieurs personnes disent qu’elles ont une marque déposée. Mais déposée où ? C’est la question qui doit être posée. Tant que la personne n’a pas un titre réellement acquis, elle ne peut pas prétendre que la marque lui appartient. Cela fait partie de ce qu’on appelle le « Patrimoine immatériel d’une entreprise ». Derrière une grande entreprise, il y a un nom, une identité, peut-être de grands bâtiments ; mais le plus important, c’est la marque qui suit tout ce que vous faites. Quand un consommateur va dans une boutique ou un supermarché pour acheter du thé, qu’est-ce qui fait qu’il va préférer un thé par rapport à un autre ? Il va forcément demander au boutiquier la marque qu’il préfère. La marque se retrouve partout, elle nous entoure au quotidien. C’est un véritable outil commercial pour les entreprises. Cet outil commercial ne vous appartient que lorsque vous détenez un droit exclusif là-dessus. Ce droit s’acquiert à travers un dépôt et l’enregistrement d’un titre de propriété industrielle. C’est nous qui accompagnons les usagers dans l’acquisition de ce titre. Les marques font partie de ces titres de propriété industrielle au même titre que les noms commerciaux et les brevets d’invention. Tout ce qui est création technique ou commerciale fait partie de la propriété industrielle.
Les Echos : Quel va être le thème retenu pour cette Semaine des Marques, et quel message voulez-vous transmettre à travers cela ?
FST : Le thème de la Semaine est « Une marque compétitive : Un outil de conquête des marchés ». Nous voulons montrer qu’une entreprise, quand elle a une marque, elle doit y investir. Elle doit bâtir une politique commerciale autour de cette marque pour se vendre, être plus forte et résiliente. On est compétitif quand on est meilleur que les autres, quand on vend mieux que les autres. Une marque compétitive permet à l’entreprise de se distinguer par rapport à la concurrence. Les consommateurs préfèrent une marque à une autre parce que l’entreprise qui porte la marque a fait de celle-ci un outil stratégique.
Les Echos : Aujourd’hui, qu’est-ce que le CEMAPI fait pour mettre fin aux contrefaçons ?
FST : Il faut avant tout l’acquisition du droit parce que pour se plaindre d’un cas de contrefaçon il faut d’abord avoir un droit. On ne peut pas se plaindre de quelque chose qui n’est pas protégée ou qui n’est pas …vôtre. Par exemple, vous avez une marque X que vous exploitez depuis des années, et dont vous tirez profit, sans avoir pris le soin de la protéger ; demain, quelqu’un d’autre voit que la marque est notoire et que le public commence à l’aimer ; cela incitera une autre personne à se lancer dans la même chose. S’il se trouve que vous n’avez pas de droit là-dessus, vous ne pouvez pas empêcher l’intéressé de commercialiser le même produit. C’est pourquoi, il faut acquérir un droit de propriété industrielle pour lutter contre la contrefaçon. Et le droit s’acquiert par le dépôt et l’enregistrement.
Pour mieux protéger les détenteurs de marques, le CEMAPI et le BUMDA, en partenariat avec la Direction Générale des Douanes ont signé en avril 2019, une convention relative à la mise en place d’un dispositif informatisé de protection de détenteurs de DPI, qui permet aux services douaniers d’agir lorsqu’il y a des produits contrefaits qui entrent sur le marché et qui ne sont pas du fait du détenteur de la marque. Il y a une procédure au niveau de la douane à travers un système informatisé qui permet à l’entreprise de s’enregistrer et de donner toutes les informations qui concernent sa marque. A chaque fois que la douane constate un produit de telle marque sur le territoire, elle appelle l’intéressé pour se rassurer de la source des commandes. En effet, quand il y a des cas de contrefaçon, la Justice aussi intervient parce qu’il y a une loi nationale en matière de propriété industrielle qu’on appelle l’accord de Bangui et qui est une loi commune aux 17 Etats de l’espace OAPI. Cette loi prévoit un certain nombre de dispositions pour sanctionner ceux qui font des abus dans ce sens et qui portent atteinte à un droit de propriété industrielle.
Les Echos : Quelles seront les cibles de la Semaine des Marques et les critères de participation ?
FST : La Semaine des Marques s’adresse à tous les Maliens. Qui que l’on soit, à quelque niveau que nous soyons, nous sommes tous consommateurs de marques. De notre réveil jusqu’à notre coucher, nous consommons des marques. Il faut comprendre que la marque est notre quotidien, et que derrière chaque marque se trouve une entreprise. Donc, nous voulons faire comprendre aux Maliens qu’il faut aujourd’hui développer cette culture de la marque, faire comprendre aux entreprises qu’elles ne doivent pas prendre à la légère l’importance de la protection de la marque parce qu’elle constitue leur identité. C’est avec la marque qu’on communique pour avoir de la clientèle. Pour pouvoir exercer son activité économique sereinement, il faut aussi garantir l’appartenance de sa marque.
Les Echos : Cette compétition concerne-t-elle seulement les entreprises établies au Mali ?
FST : La compétition concerne surtout les marques qui sont établies et exploitées au Mali. Toute entreprise qui exerce une activité économique et sociale régulière, qui a une marque protégée, peut participer à cette compétition.
Les Echos : Parlez-nous plus du CEMAPI
FST : Autrefois rattaché comme une Division de la Direction Nationale de l’Industrie, une reforme institutionnelle intervenue en 2012 a consacré la création du CEMAPI, comme service rattaché au ministère de l’Industrie. Notre mission principale est d’aider et d’accompagner les usagers dans l’acquisition des titres de propriété industrielle. Aussi, nous encourageons la compétitivité des entreprises industrielles à travers des manifestations économiques comme la Semaine des Marques. De plus, nous contribuons à l’amélioration et la valorisation des inventions et innovations locales protégées par les brevets afin que les entreprises nationales exploitent les résultats des recherches et les innovations faites au niveau local. Egalement, nous assistons et formons tous les usagers en matière de propriété industrielle. Pour ces différentes missions, nous entrons en contact avec tout type d’interlocuteurs. Nous travaillons avec des opérateurs économiques, les acteurs de la recherche et de l’innovation technologique, des agriculteurs, des artisans… Le CEMAPI a donc une mission transversale : nous sommes avec tous les acteurs qui créent au quotidien. Comprenez que la propriété intellectuelle est un domaine global. Le droit de la propriété intellectuelle protège tout ce qui est l’œuvre de l’esprit. Elle se divise en deux branches. La première est la propriété industrielle : c’est ce que nous administrons au CEMAPI. La deuxième branche est la propriété littéraire et artistique : cette branche concerne surtout le droit d’auteur qui est géré par le Bureau malien du droit d’auteur.
Les Echos : L’OAPI se trouve dans plusieurs pays africains aujourd’hui. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
FST : L’OAPI est un office intergouvernemental qui regroupe 17 Etats membres dont le Mali. C’est un modèle d’intégration africaine aujourd’hui qui est très salué parce qu’elle a permis à 17 Etats de renoncer à une partie de leur souveraineté pour la confier à un organisme intergouvernemental. Jusqu’à nos jours, l’OAPI est la seule structure habilitée à délivrer un titre de propriété industrielle dans notre espace. Au CEMAPI, nous traitons les dossiers et nous les envoyons au siège de l’OAPI. L’avantage de cet office est que quand un titre est protégé dans un des 17 pays membres, il est protégé systématiquement dans les autres pays de l’espace OAPI. C’est un modèle d’intégration qui permet aux usagers de réduire les coûts. Ces 17 Etats ont décidé de se mettre ensemble pour créer un Office commun pour les gestions des titres. Cette organisation qui a près de 60 ans, continue toujours de prospérer.
Les Echos : Avez-vous un dernier mot ?
FST : Le CEMAPI est un service public qui aujourd’hui s’inscrit dans une véritable politique de proximité auprès des usagers ; si vous voyez que nous dédions une semaine entière aux marques, c’est pour sensibiliser davantage sur notre mission. Cette sensibilisation se fait avec des formations et la communication digitale. Nous protégeons quotidiennement les marques, et le Mali a même été désigné comme la structure la plus performante de l’espace OAPI en 2020. Si les entreprises ne se protègent pas, elles seront inondées à l’avenir par le marché de la ZLECAF, toutes choses qui posent d’énormes défis.
Enfin, j’invite tous les consommateurs du Mali à se joindre à nous durant cette semaine riche en activités pour célébrer les marques maliennes et le made in mali.
Propos recueillis par :
Siguéta Salimata DEMBELE
Fatoumata Boba DOUMBIA