La présidentielle en Guinée aura un air de déjà-vu. Les deux principaux candidats, Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo, sont des rivaux politiques de longue date qui se sont affrontés lors des deux dernières élections présidentielles.
Cependant, le changement de la constitution pour permettre au président Condé de briguer un 3ème mandat approfondit les divisions et renchérit les enjeux de cette élection.
“La situation politique reste assez tendue à cause des discours politiques qui sont de nature belliqueux et qui ne permettent pas d’avoir une certaine sérénité au cours de cette campagne,” note l’analyste politique Karamoko Mady Camara.
Le défi de Cellou Dallein Diallo
Sur le plan politique, c’est le grand retour après une longue période de boycott pour l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo.
L’homme occupe une place importante dans la politique guinéenne. L’économiste de formation de 68 ans a occupé divers postes gouvernementaux, dont celui de Premier ministre du 9 décembre 2004 au 5 avril 2006. Il a de fidèles partisans, mais sa décision, sur “insistance de ses militants”, de se présenter aux élections a marqué une rupture importante entre l’UFDG et le bloc d’opposition influent, le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC).
“Je crois au leader du parti. Il y a des adversités politiques certes, mais l’idéal c’est quoi ?” dit Habib Barry, 30 ans, militant de l’UFDG à Conakry. “Nous pensons que l’alternance est possible dans les urnes. Il y a beaucoup de Guinéens qui ne sont pas prêts pour un 3ème mandat, et les gens-là n’ont pas la capacité de sortir manifester. Par contre, ils ont la capacité d’aller voter”, explique le jeune homme.
La grande énigme est de savoir si l’opposition va réellement se mobiliser autour du candidat de l’UFDG à la présidentielle.
Il y a 11 autres candidats candidat à l’élection présidentielle en Guinée, et dans un contexte déjà tendu, le FNDC appelle ses membres à une marche de protestation le 16 octobre. Le FNDC n’a présenté aucun candidat, et n’en soutien aucun à ce jour.
Abdourahamane Sanoh, le coordinateur national du FNDC, nuance ses propos quant à un possible appel à boycotter le scrutin présidentiel, comme le FNDC l’a fait lors des précédentes élections législatives et lors du référendum constitutionnel.
“Aujourd’hui, qui veut la paix doit œuvrer à ce que Alpha Condé respecte la loi, doit œuvrer à ce que tous les partis politiques toutes obédiences confondues, surtout ceux engagés dans ce processus électoral, prônent des discours apaisés. Mais nous, nous savons que les problèmes de la Guinée sont bien plus profondes qu’une simple question électorale” souligne Abdourahamane Sanoh au terme de la visite cette semaine de Steven Koutsis, chargé des affaires à l’ambassade des États-Unis en Guinée.
Entre les rumeurs de pression qui auraient plané sur lui et une possible volonté d’éviter la politique de la chaise vide, Cellou Dalein Diallo devra faire une double campagne.
La première pour l’unité de l’opposition et la reconquête du front anti-3ème mandat et la seconde pour tenter de rallier à sa cause les déçus de la gestion d’Alpha Condé.
“Si réellement, Alpha [Condé] arrive à se proclamer président pour la 4ème République en Guinée, qu’est-ce qu’ils vont faire ? Parce qu’ils ont participé à ces élections”, se demande Maimouna Barry, 21 ans, militante du FNDC. “Donc nous demandons à tout un chacun de ne pas participer”, ajoute-t-elle.
L’UFDG a tenté de rassurer les partis d’opposition sur le bien-fondé d’utiliser tous les moyens légaux et démocratiques pour obtenir l’alternance.
La preuve de cette “unité” de l’opposition doit se matérialiser par un soutien des autres partis à la candidature de Cellou Dalein Diallo en cas de second tour, selon Ousmane Gaoual Diallo, directeur de la communication de l’UFDG.
Alpha Condé était un opposant politique de longue date en Guinée mais il est avant tout enseignant. En Guinée d’ailleurs, beaucoup l’appellent professeur en raison de ce passé d’universitaire.
Après un passage à la Sorbonne, Alpha Condé obtient une licence en sociologie puis un diplôme d’études supérieures (DES), avant de devenir docteur d’État en droit public à la faculté de droit de l’université Paris-I.
Son parcours politique et ses engagements lui ont valu d’aller plusieurs fois en prison notamment lors de son maintien en détention pendant plus de vingt mois après la présidentielle de 1998 en Guinée.
D’opposant historique adulé et chanté à travers l’Afrique pour son courage face à la dictature de Lansana Conté, Alpha Condé semble écrire une nouvelle page de son histoire sur fond de contestation suite à la réforme constitutionnelle et sa volonté de briguer un 3ème mandat.
La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine (UA) avaient renoncé à déployer des missions d’observation électorale lors du referendum du 22 mars, en raison notamment d’un fichier électoral comprenant plus d’un tiers d’électeurs enregistrés sans aucune pièce justificative.
La crédibilité du scrutin, adopté avec 89,76 % de “oui”, a été remise en cause par l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis.
Quant à Amnesty International, elle a dénoncé l’impunité et la répression des manifestations en Guinée, en particulier celles contre la réforme constitutionnelle permettant au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat, qui aurait fait au moins 50 morts en moins d’un an.
Son aventure pour une réforme constitutionnelle et un 3ème mandat ont semé tristesse et désolation dans un pays fortement retardé économiquement par de longue année de régime autoritaire.
Celui qui était considéré comme le démocrate, espoir d’une Guinée nouvelle est aujourd’hui sous le feu des critiques.
La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine (UA) avaient renoncé à déployer des missions d’observation électorale lors du référendum, en raison notamment d’un fichier électoral comprenant plus d’un tiers d’électeurs enregistrés sans aucune pièce justificative.
La crédibilité du scrutin, adopté avec 89,76 % de “oui”, a été remise en cause par l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis.
Quant à Amnesty International, elle a dénoncé une répression féroce contre la coalition de partis politiques, de syndicats et d’organisations de la société civile qui aurait fait près de 50 morts, plus de 200 selon l’opposition en l’absence de chiffres officiels provenant du gouvernement.
Dans une interview accordée à France 24 et RFI, M. Condé a rejeté le rapport d’Amnesty accusant l’ONG d’avoir mené “une enquête à charge”. “Je ne prends pas Amnesty international au sérieux», avait-il dit.
Pour le RPG Arc-en-ciel, l’image de démocrate du professeur Alpha Condé ne souffre d’aucune contestation car sa candidature est conforme à la constitution guinéenne, dit l’honorable Domani Doré, porte-parole du parti.
“Nul n’est plus démocrate que le RPG Arc-en-ciel qui a cherché le pouvoir durant 40 ans à travers son candidat le professeur Alpha Condé. Je ne sais pas ce que les gens appellent la démocratie au risque de se tromper à vouloir faire croire que la Guinée devrait simplement changer d’homme à la tête du pays pour le plaisir d’amuser la galerie à l’international”, explique le député.
Alpha Condé dit être candidat pour les jeunes et les femmes. Malgré ses 82 ans il entend sans doute miser sur ces deux composantes de la société tout en comptant sur une possible désorganisation de l’opposition.
“Avant l’arrivée du Président Alpha Condé, la femme guinéenne a été mise de côté. Elle était complètement oubliée,” dit Simone Onikoya, 32 ans, militante, RPG Arc-en-ciel. “Aujourd’hui on trouve des femmes ministres, on trouve des femmes chefs du cabinet, on trouve des femmes DAF (Directrice administrative et financière)», indique la jeune dame.
Les deux premiers face à face Cellou Dalein Diallo – Alpha Condé en Guinée ont débouché sur des violences. Reste donc à savoir si ce 3ème rendez-vous entre les deux hommes aura une issue différente.
BBC Afrique