Ils avaient déjà donné l’alerte lorsque la CEDEAO menaçait d’intervention militaire le Niger suite au coup d’État du 26 juillet 2023. Ils sont désormais passés à l’acte. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger, réunis depuis le 16 septembre 2023 au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), ont définitivement claqué la porte de la CEDEAO le 28 janvier 2024, laissant l’organisation sous-régionale, désormais réduite à 12 pays, face à une crise sans précédent.
« Leurs Excellences le Capitaine Ibrahim Traoré, le Colonel Assimi Goita et le Général de brigade Abdourahamane Tiani, respectivement Chefs d’État du Burkina Faso, de la République du Mali et de la République du Niger, prenant toutes leurs responsabilités devant l’histoire et répondant aux attentes, préoccupations et aspirations de leurs populations, décident en toute souveraineté du retrait sans délai du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest », indique le communiqué conjoint lu à la télévision publique des trois pays.
« Après 49 ans, les vaillants peuples du Burkina Faso, du Mali et du Niger constatent avec beaucoup de regret, d’amertume et une grande déception que leur organisation s’est éloignée des idéaux de ses pères fondateurs et du panafricanisme », se désolent les autorités de transition des trois pays, selon lesquelles « la CEDEAO, sous influence de puissances étrangères, trahissant ses principes fondateurs, est devenue une menace pour ses États membres et ses populations, dont elle est censée assurer le bonheur ».
Les trois pays reprochent également à la CEDEAO une non-assistance dans la lutte contre le terrorisme et l’insécurité, ainsi qu’une imposition de sanctions, jugées illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables, en violation des propres textes de l’organisation, « toutes choses qui ont davantage fragilisé les populations déjà meurtries par des années de violence imposées par des hordes terroristes instrumentalisées et téléguidées ».
Un retrait « sans délai » remis en cause
Selon l’article 91 du traité révisé de la CEDEAO, « tout État membre désireux de se retirer de la Communauté notifie par écrit, dans un délai d’un (1) ans, sa décision au Secrétaire exécutif, qui en informe les États membres. À l’expiration de ce délai, si sa notification n’est pas retirée, cet État cesse d’être membre de la Communauté ». « Autour de la période d’un (1) an visée au paragraphe précédent, cet État membre continue de se conformer aux dispositions du présent traité et reste tenu de s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du présent traité », précise l’alinéa 2 du même article.
Après l’annonce du retrait des pays de l’AES de la CEDEAO, la Commission de l’organisation sous-régionale, qui s’est dite « déterminée à trouver une solution négociée à l’impasse politique », a indiqué dans la foulée dans un communiqué n’avoir pas encore reçu de notification formelle directe des trois États membres concernant leur intention de se retirer de la communauté. Mais les trois pays n’ont pas tardé à notifier formellement leur décision.
« Par communiqué conjoint en date du 28 janvier 2024, le Burkina Faso, la République du Mali et la République du Niger informent de leur décision de se retirer conjointement et sans délai de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). À cet égard, la présente communication vaut notification formelle de cette décision à la Commission de la Cedeao, Autorité dépositaire et pour l’information des États membres de la Cedeao, de l’Union africaine, de l’Organisation des Nations Unies et de toutes les organisations pertinentes », souligne un courrier du ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale du Mali daté du 29 janvier 2024 et adressé à la Commission de la CEDEAO. Selon des sources officielles au Burkina Faso et au Niger, les deux pays ont également envoyé lundi leurs notifications formelles de retrait à la CEDEAO.
Pour l’analyste politique Dr. Amidou Tidiani, cette demande de retrait avec effet immédiat des trois pays aura du mal à se concrétiser et ne devrait être effective qu’après les 12 mois prévus dans les textes de la CEDEAO. « La sortie d’une organisation internationale avec effet immédiat n’existe pas en droit international », tranche-t-il.
« Fuite en avant » ?
Du point de vue du M. Tidiani, d’ailleurs, l’insistance sur la sortie sans délai est une manière pour ces différents régimes d’échapper à de nouvelles éventuelles sanctions de la CEDEAO suite au non-respect du chronogramme établi pour un retour à l’ordre constitutionnel au Mali et au Burkina Faso.
« Le seul moyen pour ces régimes d’opposer une fin de non-recevoir à la CEDEAO et de contester la légitimité de l’organisation à prendre toute sanction à leurs encontre, c’est de sortir de la CEDEAO », affirme-t-il.
« Le chronogramme du Mali prévoyait l’organisation d’élections en février et le Mali, bien évidemment, n’organisera pas ces élections en février. On s’attendait donc à ce que la CEDEAO fasse preuve de menaces particulières concernant le Mali dans les semaines à venir. C’est donc par anticipation à cette mesure que les communiqués sont tombés en prenant soin d’insister sur le fait que le retrait soit avec effet immédiat », poursuit l’enseignant-chercheur à l’Université Paris-13.
Liberté de circulation entravée ?
Pour plusieurs observateurs, ce retrait annoncé du Burkina, du Mali et du Niger de la Cedeao ne sera pas sans conséquences pour les trois pays, mais également pour l’organisation sous-régionale elle-même. En ce qui concerne les trois pays, si cette décision pourrait avoir des conséquences diverses, c’est surtout son impact sur la libre circulation des ressortissants et de leurs biens dans l’espace CEDEAO que craignent certains analystes.
« Le premier point à mettre en relief est celui de la libre circulation. Le grand acquis de la CEDEAO, depuis sa création, a vraiment été de permettre les déplacements sans autorisation ou nécessité de visa entre les pays membres. Le retrait du Burkina, du Mali et du Niger va entraver cette libre circulation des populations », pense Niagalé Bagayoko, Présidente de l’African Security Sector Network (ASSN).
Amidou Tidiani soutient que ce retrait implique que les avantages accordés aux ressortissants de ces États soient tout simplement levés. Toutefois, admet l’universitaire, « les trois États vont essayer de développer des relations bilatérales pour obtenir individuellement avec les autres États des conditions favorables de circulation et d’échanges économiques avec leurs voisins, indépendamment du cadre de la CEDEAO. Ce que ces pays perdront via la CEDEAO, ils essayeront de le récupérer à travers des accords bilatéraux ».
« Les États ont existé avant d’être ensemble dans les organisations. Il s’agit maintenant d’activer les conventions bilatérales que nous avons avec les pays de la CEDEAO pour baliser le rapport », appuie pour sa part l’analyste politique Ousmane Bamba, pour lequel, par ailleurs, le fait que le Mali soit sorti de la CEDEAO n’impactera pas la libre circulation des ses ressortissants à l’intérieur de cet espace, parce que « dans les relations internationales, les relations bilatérales ont précédé les multilatérales ».
L’exemple mauritanien
La CEDEAO a connu un précédent en matière de retrait, celui de la Mauritanie en 2000. Pays charnière entre le Maghreb et l’Afrique de l’ouest, la République islamique avait motivé son retrait par sa volonté de se concentrer sur l’Union du Maghreb Arabe (UMA) pour des raisons culturelles. 17 ans après, la Mauritanie a signé en mai 2017 un accord avec la CEDEAO portant sur quatre points, dont la libre circulation des personnes et des biens, l’application d’un tarif extérieur commun et la lutte contre le terrorisme. Le pays cherche depuis de nombreuses années à réintégrer le bloc régional. En 2017 toujours, à l’occasion d’un sommet à Monrovia, les Chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO avaient émis une fin de non-recevoir à la demande de la Mauritanie de revenir au sein de la communauté.