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Carte NINA : PARCOURS DU COMBATTANT POUR LES DEMANDEURS

Pour obtenir le précieux sésame qui ouvre la voie aux pièces d’identité (passeport, carte bancaire pour étudiants), il faut parcourir un chemin semé d’obstacles.

«Ceux qui sont venus pour le rendez-vous par ici, et ceux qui sont là pour la correction, là-bas », hurle un homme d’une quarantaine d’années. Il accompagne ses paroles de gestes pour que ses interlocuteurs le comprennent bien. Nous sommes à Korofina en Commune I du district de Bamako. Ici, c’est le seul endroit où les Maliens peuvent se procurer un Numéro d’identification nationale (NINA) ou Fiche descriptive individuelle. Ce précieux document est délivré par le Programme national d’éducation à la citoyenneté. Il est maintenant indispensable pour obtenir un passeport, participer à un concours ou pour les étudiants qui veulent établir une carte bancaire, etc. C’est pour cela que le lieu ne désemplit pas.
A 7 h déjà, la devanture est prise d’assaut par une foule de demandeurs de la carte NINA. Il n’y a pas encore de rang, mais des attroupements. Certains sont assis sur leurs motos, d’autres sont debout. Il y a en ceux qui sont assis sur de grosses pierres à la devanture des boutiques. Ceux qui achètent à manger, bénéficient des tabourets de la vendeuse.
Tout le monde attend avec impatience que les opérations commencent. Dès qu’un agent en uniforme kaki ouvre la grande porte, les gens se ruent vers lui. Il annonce que seuls les bacheliers sont concernés cette journée. Déception dans les rangs. Certains insistent pour obtenir des explications. L’homme précise que les mardis et les jeudis sont des jours réservés aux bacheliers. Tous les autres demandeurs doivent se présenter les lundis, mercredis et vendredis. Après ces clarifications, il est retourné sur ses pas avant de refermer la porte. La foule se disperse. Ceux qui ne sont pas concernés ce jour là s’en vont, qui à moto, qui en voiture. Mais 4 personnes d’entre eux restent. «On va tenter notre chance, il n’y a pas assez de monde aujourd’hui », lance un homme habillé en grand blouson noir. Il raconte à ses compagnons que c’était la première fois qu’il voyait cet endroit presque vide. Il explique qu’il fut des moments où la foule occupait toute la rue et débordait parfois.
L’affluence était telle que les gens étaient obligés de venir passer la nuit ou de venir très tôt pour avoir les premières places et espérer être reçus. Pour accéder à la cour, c’était un vrai parcours du combattant. L’homme ajoute qu’il avait déjà sa fiche et qu’il était venu accompagner des amis. Pour avoir sa fiche, il lui a fallu venir tous les jours à 4 h du matin durant deux semaines.
Notre témoin assure que les choses ont changé, car il y a maintenant un semblant d’organisation. Pour lui, cela est dû au fait qu’il y a eu une grosse bagarre à l’entrée. C’était une bagarre déclenchée par les étudiants. Elle fut tellement grave qu’il a fallu l’intervention des forces de l’ordre. Depuis ce jour, les étudiants ont été séparés des autres demandeurs.
Le grabuge déclenché par les étudiants a obligé les responsables du service à procéder à une réorganisation. Présentement, les demandeurs disposent de deux portes d’entrée : la grande pour les hommes et la petite pour les femmes. A l’intérieur aussi, hommes et femmes sont séparés.
« Ceux qui ont fait leur Recensement administratif à vocation d’état civil (RAVEC) lors de l’opération de recensement général ont de la chance », se lamente un demandeur qui reconnait que c’est parce qu’il a été négligeant qu’il se retrouve en train de faire le pied de grue pour se faire enrôler. Un autre dit ne pas comprendre pourquoi plusieurs points d’enrôlement ne sont pas ouverts à travers le pays. « Chacun doit le faire dans sa mairie », estime-t-il, ajoutant que cela éviterait des attroupements et tant de souffrances pour ceux qui veulent obtenir leur NINA.
Ces remarques sont évidemment partagées par les autres. Peu après, tout le monde s’en va et décide de revenir le lendemain à 4 h pour être parmi les premiers arrivés car les opérations d’enregistrement s’arrêtent à 9 h.
Un peu plus loin, un jeune bachelier est assis sur sa moto. Il est occupé à mettre de l’ordre dans ses papiers sur lesquels on peut lire Ibrahima Sylla. Il a également en main la fiche de rendez-vous délivré par le Centre national des oeuvres universitaires (CENOU). Cette fiche est indispensable pour faire le dépôt de ses dossiers.
Ibrahima Sylla ne connait pas le nombre de fiches qu’il a eu à prendre. Depuis le 19 décembre dernier, il cherche à s’enrôler. Selon lui, c’est plus facile pour les autres que pour les bacheliers. « Nous sommes toujours obligés d’aller à Kabala pour obtenir un rendez-vous », se plaint-il. Il se rappelle qu’une fois, on lui a promis de l’appeler, mais qu’il a attendu le coup de fil en vain. Aujourd’hui, Ibrahima est venu depuis 6 h. L’étudiant se charge également de trouver une fiche d’identification pour son oncle vivant au Congo. Celui-ci, faute de carte NINA, n’arriverait pas à renouveler son passeport périmé. Pourtant, il se serait fait enrôler depuis 2016.
C’est aux environs de 8 h que les opérations ont commencé. Le préposé à faire entrer les demandeurs dans la cour annonce que les gens peuvent former deux rangs. Il avait en main une liste préalablement établie par un jeune homme depuis 7 h. Deux rangs se formèrent rapidement et il procéda à l’appel. Agrafeuse à la main, il fixe les dossiers. A l’intérieur, un autre rang se forme. Vêtu d’un complet en wax, le préposé à faire admettre les demandeurs dans la cour est un homme proprement irascible. Impossible de lui poser la moindre question. Pour toute réponse, il vous crie dessus. Il n’a pas manqué de déverser sa bile sur Soumeila Diarra. Le pauvre devait récupérer sa fiche car il avait déjà dépassé le stade du dépôt. Mais il était perdu et voulait savoir s’il pouvait le faire maintenant. Lorsqu’il voulut avoir des explications sur la conduite à tenir, l’agent le rabroua brutalement. Choquée sans doute par le mauvais accueil, une jeune fille qui a assisté à la scène, expliqua à son accompagnateur qu’elle ne viendrait pas lendemain, qu’elle allait même renoncer à chercher sa carte NINA.
Malgré la grosse affluence, il y a des demandeurs qui parviennent à faire le parcours sans grande difficulté. C’est le cas de Mamadou Séméré. Cet étudiant a de la chance. Il dit avoir fait le dépôt de ses dossiers en seulement une journée. Il est venu à 5 h pour repartir à 18 h. Nous l’avons croisé à la mairie de la Commune I où il était venu accompagner une sœur qui devait faire le RAVEC. Il faut préciser que le processus d’enrôlement commence à la mairie. Avant de passer au Programme national d’éducation à la citoyenneté, il faut d’abord faire le RAVEC à la mairie où on délivre un récépissé qu’il faut apporter au niveau Programme nationale d’éducation à la citoyenneté. A la mairie, obtenir le récépissé, n’est pas de tout repos. Il faut se lever tôt. Chaque matin, la cour de la mairie est bondée d’usagers et le travail commence à 8 h. Par jour, on ne prend que 30 personnes. Très souvent, il faut attendre 45 jours pour avoir le récépissé au niveau de la mairie. Mamadou Séméré nous a fait la confidence que c’était possible d’avoir le précieux document en moins de 45 jours. Il faut négocier avec le personnel. Chose qui a été confirmée par un militaire qui devait obtenir le plutôt possible sa fiche descriptive individuelle pour se rendre au Maroc pour une formation. L’homme en tenue nous a confirmé qu’il était ce jour-là en civil et qu’il a fait savoir à un agent de la mairie qu’il avait urgemment besoin du récépissé. Ce dernier lui proposa de le faire rapidement en échange de quelques billets de Fcfa. C’est alors que le militaire lui montra sa carte, et l’agent changea de langage et fit le travail gratuitement.

Retour devant le Programme national d’éducation à la citoyenneté. Nous sommes un jour dédié aux autres demandeurs. Ici, on les appelle les « civils » pour faire la différence avec les bacheliers. II y a plus de monde que le jour précédent. La file est interminable. Les motos sont garées en grappes. Difficile de se frayer un chemin. Un tas d’immondices entre les deux portes d’entrée ne semble gêner en rien les demandeurs de fiche descriptive individuelle. Une ménagère continue à déverser les détritus par dessus le mur d’enceinte de sa concession.
« Ne me dis pas que nous allons passer la journée ici», s’exclame une dame d’un certain âge. Elle était ébahie en voyant la longue file. Il était 8 h lorsqu’elle était arrivée sur les lieux avec sa fille. Désespérées, la dame et sa fille retournèrent sur leurs pas.
Un peu plus tard, deux jeunes gens sortirent de la cour tout sourire. Normal, car ils venaient de faire leur dépôt de dossiers. Ils avaient tous en main un bout de papier qui signifie qu’ils avaient maintenant un rendez-vous et ils devaient revenir avec ce papier pour récupérer leurs fiches. Ce bout de papier doit être jalousement gardé. Garde à celui qui le perd. Celui-ci aura perdu aussi son rendez-vous.
Le directeur du programme Sibiri Berthé, a une explication à l’engorgement devant sa structure. Cela est dû, a-t-il estimé, au fait que les gens affluent sans avoir la bonne information. « Nous ne travaillons pas seuls, il y a des services qui relèvent d’autres départements comme le centre d’état civil et le centre de la pérennisation» a-t-il ajouté.
Sibiri Berthé explique ensuite que son service a pour vocation de sécuriser les données à caractère personnel. «Par jour, a-t-il précisé, nous pouvons prendre 400 à 800 personnes». Il faut noter que la mise en place du Programme national d’éducation à la citoyenneté a facilité la bancarisation des étudiants. A preuve, Sibiri Berthé a confié qu’environ 23 000 étudiants ont pu être bancarisés. Il a souligné que dans les jours à venir, le programme va prendre des dispositions pour faciliter la sécurisation des données à caractère personnel.
En attendant, l’affluence donne des idées à ceux qui ont le sens des affaires. Ici, un marché se développe. L’homme qui se charge du parking des motos se frotte les mains. Il n’est pas le seul. Celui qui fait des photocopies encaisse aussi beaucoup d’argent par jour. Sa machine tourne en permanence. Il fait les copies à 50 ou 100 Fcfa, selon le volume du document.
Les gargotières ne sont pas en reste. Elles font aussi de bonnes affaires. Elles sont trois à se partager une cliente nombreuse. Deux vendent presque les mêmes choses : frite, banane plantain, sandwich, œuf dur et brochette. La troisième propose plutôt des pâtés. A côté de celle-ci, une autre dame vend du kinkéliba, du thé et de l’eau. Elle appelle les clients à la criée : « kinkéliba be yé ».

Fatoumata NAPHO

L’Essor

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