Trois militaires camerounais et un civil ont été tués jeudi dans des incidents séparés dans le nord-ouest anglophone du Cameroun, où les séparatistes promettent de « continuer la lutte » après la neutralisation d’une large partie de leur état-major, extradée du Nigeria vers Yaoundé.
« Des séparatistes armés ont attaqué ce matin (jeudi) un check-point » tenu par des gendarmes dans la localité de Bingo (nord-ouest), a affirmé à l’AFP une source militaire camerounaise dans la région, précisant que deux gendarmes ont succombé à leurs blessures à l’hôpital.
A Bamenda (nord-ouest), des individus circulant à moto « ont abattu un militaire », a indiqué à l’AFP le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Issa Tchiroma Bakary.
Un civil a par ailleurs succombé à ses blessures jeudi à l’hôpital de Bamenda, après avoir été touché par des tirs de militaires lors d’une opération dans la ville voisine de Santa, selon des sources concordantes.
« Il y a une escalade de la violence, incontestablement », a reconnu M. Tchiroma, dénonçant « une campagne sur les réseaux sociaux où ils (les séparatistes) invitent les populations à résister et à tuer ». « Ces appels peuvent avoir un effet amplificateur de la violence », a-t-il estimé.
Depuis le début de la crise, et selon un décompte de l’AFP établi sur la base des déclarations officielles, 22 éléments des forces de sécurité camerounaises ont été tués par des séparatistes présumés dans les deux régions anglophones du Cameroun.
Les régions du nord-ouest et du sud-ouest, frontalières du Nigeria, sont secouées depuis plus d’un an par une profonde crise socio-économique, qui s’est peu à peu muée en conflit armé de basse intensité avec des attaques isolées contre les symboles de l’Etat.
En réponse, l’armée a opéré un fort déploiement de troupes, tandis que les réseaux sociaux pro-anglophones diffusent des photos de civils tués et de villages mis à sac par l’armée – sans qu’il soit possible d’en vérifier l’authenticité.
Lundi, l’annonce de l’extradition depuis le Nigeria, où ils avaient été arrêtés, vers le Cameroun de 47 séparatistes anglophones camerounais -dont le « président » du mouvement Sisiku Ayuk Tabe- a marqué un tournant dans la crise anglophone, selon les observateurs.
« Sisiku Ayuk Tabe est très important, mais la lutte que nous menons n’est pas pour M. Ayuk Tabe. C’est la lutte de 8 millions de personnes, et elle va continuer », a répondu jeudi Milan Atam, conseiller spécial d’Ayuk Tabe et cadre de la nébuleuse sécéssioniste politique, joint par téléphone depuis Libreville.
– Diatribes anti-francophones –
D’autres cadres du mouvement séparatiste ont estimé que cette extradition était un risque « inquiétant d’escalade en une guerre civile » pour l’un, de l’ »essence ajoutée sur le feu de la révolution » pour un autre.
Chris Anu, membre éminent du mouvement, a été plus loin, dans une vidéo postée sur Internet jeudi: « Si lundi 5 février, Yaoundé n’a pas donné de preuve que les leaders enlevés sont vivants, le (génocide au) Rwanda sera dérisoire par rapport à ce qu’il se passera au Cameroun », a-t-il clamé.
« Il faut s’attendre à une recrudescence d’attaques dans les semaines à venir », estime un observateur indépendant. « D’autant plus que le 11 février est la fête du référendum qui a réuni les francophones et les anglophones dans le Cameroun, et que Yaoundé a transformé cette date en +fête de la Jeunesse+ ».
Jeudi, les autorités de la région du nord-ouest ont interdit la détention d’armes à feu de même que l’achat et vente de munitions pour les six prochains mois, selon une note du gouvernorat consultée par l’AFP.
Ces dernières semaines, les réseaux séparatistes ont multiplié les appels au boycottage des entreprises françaises et autres diatribes critiques de la France, qu’ils estiment « complice » du régime de Paul Biya.
« La France doit changer sa politique vis-à-vis du Cameroun et de l’Afrique francophone », assène M. Atam. Les plus radicaux des séparatistes déconseillent même les mariages entre francophones et anglophones, ou demandent d’éviter les aéroports du Cameroun francophones.
Jeudi, une note d’information a été diffusée à la télévision d’Etat camerounaise, dans laquelle Yaoundé assure que « Ayuk Tabe (et les 46 autres séparatistes extradés au Cameroun) se portent bien ».
« Les enquêtes suivent leur cours dans le strict respect des procédures. Aucune violence n’est perpétrée sur ces personnes qui ont été appréhendées » pour répondre devant la justice d’ »actes de terrorisme perpétrés » en régions anglophones, a continué la télévision d’Etat.
« Ils se portent très bien. La justice se prépare à les traduire devant les tribunaux une fois que les charges seront établies », a également affirmé à l’AFP le porte-parole du gouvernement.
Le Haut Commissariat pour les Réfugiés de l’ONU a déclaré jeudi être « très préoccupé » par l’extradition des 47 séparatistes.
Lors de leur extradition, l’ONG Amnesty International avait estimé qu’ils « risquent la torture et des procès partiaux devant des cours militaires camerounaises ».
Jeudi, les avocats camerounais des séparatistes emprisonnés ont déclaré n’avoir pas accès à leurs clients.
Le Cameroun se prépare à des élections – dont la présidentielle – fin 2018. Selon les observateurs, la profonde crise socio-politique que Yaoundé traverse dans ses régions anglophones pourrait perturber ces scrutins.
La rédaction