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Burundi : une peur bleue

Alors que le pays s’enfonce dans la violence, un rapport onusien, divulgué début janvier, évoque différents scénarios. Y compris celui d’un génocide. S’alarme-ton trop vite, ou faut-il intervenir avant qu’il ne soit trop tard ?

soldat militaire arme burundi patrouille

Qu’importe que les bruits qui courent soient vérifiés ou que les inquiétudes soient fondées. Ici, à Ruhororo, on a peur, de cette peur qui paralyse, et rien d’autre ne compte. Dans ce site de « déplacés intérieurs » qui ont fini par se sédentariser, le poids du passé l’emporte sur les réalités du présent. Les massacres de 1993 consécutifs à l’assassinat du premier président élu au suffrage universel, Melchior Ndadaye, un Hutu, qui avaient obligé ces hommes, ces femmes et ces enfants à fuir leurs collines et à se réfugier ici, font partie de leur ADN. « On est des Tutsis au milieu de Hutus. Depuis des mois, on nous menace, on nous observe. Le passé nous a montré de quoi les Burundais sont capables. On a peur », glisse un habitant qui, comme tant d’autres dans le Burundi d’aujourd’hui, refuse de donner le moindre indice pouvant permettre son identification.

Ils ont tellement peur, les habitants (des paysans pour la plupart) de ce village situé dans le nord du pays, à 20 km de Ngozi, le fief du président Pierre Nkurunziza, qu’ils ont, en décembre 2015, écrit une lettre au secrétaire général des Nations unies. « Monsieur, ne prenez pas à la légère nos cris d’alarme, de grâce, intervenez ! » peut-on y lire en substance. « Que l’organisation dont vous êtes responsable soit vigilante afin d’éviter que le génocide ne se reproduise », alertent-ils.

Il suffit d’étudier le contexte pour comprendre. Un village très majoritairement composé de Tutsis dans une région de Hutus. Des terres fertiles que les « autochtones » réclament depuis des années. Des bagarres récurrentes. Et, surtout, ces déclarations incendiaires de responsables politiques inoculant un poison que l’on pensait avoir définitivement éliminé ici : l’ethnicisme. N’est-ce pas le président du Sénat, Révérien Ndikuriyo, qui a sous-entendu, voici trois mois, que des parcelles pourraient bientôt être disponibles ? À Ruhororo, « on a tous frémi quand on a entendu ça », confie un habitant.

Le génocide, un scénario peu probable ? 

Ce n’est certainement pas la missive des habitants de Ruhororo qui a poussé Hervé Ladsous, le chef des opérations de maintien de la paix de l’ONU, à signer début janvier un mémo destiné aux membres du Conseil de sécurité, dans lequel il est écrit qu’un génocide est un scénario plausible au Burundi. Mais elle y a peut-être contribué, comme les innombrables témoignages de victimes recueillis depuis des mois par la trentaine d’enquêteurs du Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme qui circulent dans le pays. Selon ce document qui aurait dû rester confidentiel, la situation ne cesse de se détériorer. Les membres de l’opposition et de la société civile sont, explique le rapport, toujours pris pour cible par les services de sécurité et par les Imbonerakure, le surnom donné aux jeunes du parti au pouvoir.

Une fois le constat dressé, trois scénarios sont envisagés : le statu quo, c’est-à-dire une situation stabilisée mais ponctuée de violences sporadiques ; l’intensification des violences et le développement de rébellions (autrement dit : une guerre civile) ; enfin, la transformation d’une crise politique en un conflit à caractère ethnique.

Ce rapport, précise un diplomate, n’est rien d’autre qu’une base de travail. Selon une source onusienne, « il est de notre devoir, en matière de maintien de la paix, de prévoir toutes les situations, surtout les plus graves ». Celle d’un génocide à la rwandaise, dans lequel une partie de la population serait appelée à en exterminer une autre et passerait à l’acte, semble peu probable. « Ça ne prendra pas, nous vivons tous ensemble, Hutus et Tutsis », clame, à l’arrière d’une voiture et à l’abri des regards, un jeune homme que l’on dit recherché par la police, et qui quittera le pays deux jours après notre entretien. Cet optimisme, beaucoup le partagent. « Ceux qui manifestent sont nés après 1993 ou peu avant, analyse un prélat influent qui souhaite, lui aussi, rester anonyme. Ils ne sont pas marqués par le poids du passé. Eux ne rêvent que d’un avenir. »

Mais qui peut vraiment dire comment naît un génocide ? Certes, aujourd’hui, « la répression touche autant les Hutus que les Tutsis, les politiques que la société civile, et les villes que les campagnes », admet un membre éminent de l’Uprona, un parti d’opposition, un des rares qui est resté au pays. « Il faut toutefois reconnaître que la répression cible de plus en plus des Tutsis », ajoute-t-il. Ce qu’il craint – et selon lui, ce n’est qu’une question de temps -, c’est « que la population ne finisse par être obligée de marcher dans la même direction que le pouvoir ». Les jeunes n’y croient pas. Mais leurs aînés, qui ont connu les années de sang, savent que tout est possible.

Le CNDD-FDD, un parti schizophrène

Le pouvoir, évidemment, s’offusque de ce genre d’accusations. Chiffres et théorie du complot à l’appui. « C’est la chanson des Rwandais, explique Pascal Nyabenda, qui cumule les présidences du CNDD-FDD et de l’Assemblée nationale. Au Burundi, on ne songe pas à cela. Dans notre gouvernement, nous comptons 60 % de Hutus et 40 % de Tutsis : comment un tel gouvernement pourrait-il commettre un génocide ? » Au CNDD-FDD aussi, il y a des Tutsis. Comme cette sénatrice, Évelyne Butoyi. « Vous pensez que je pourrais appartenir à un parti qui veut la mort de mon peuple ? » interroge-t-elle. Il faut croire que, pour elle, la vie n’est pas facile ces jours-ci. « Je suis tutsie, mais j’ai peur d’être tuée par des Tutsis. Dans mon village, très majoritairement tutsi, je suis accompagnée par des hommes en uniforme car j’ai peur des miens. »

Le danger le plus immédiat, c’est une guerre civile, mais n’y est-on pas déjà ?

Au-delà des discours de façade, le CNDD-FDD semble pris d’une réelle schizophrénie. Ses barons n’ont que le mot démocratie à la bouche quand toutes les libertés publiques sont mises à bas, et ils jurent vouloir en finir avec l’accusation d’ethnicisme alors qu’ils font du « pouvoir tutsi » leur principal ennemi. Daniel Gelase Ndabirabe est le porte-parole du parti. Pour lui, il ne fait guère de doute que « les questions d’aujourd’hui sont celles de toute l’histoire du pays ». Ndabirabe parle rarement de Hutus et de Tutsis. Il préfère user de paraboles. Il y aurait d’un côté « l’ethnie dont le colonisateur ne voulait pas », la réelle « base sociale démocratique », et, de l’autre, « l’ethnie qui se disait née pour gouverner ». « Le génocide ? C’est comme les armes chimiques en Irak, dit-il. Une invention de l’élite intellectuelle. » Un diplomate qui a eu à écouter les caciques du régime fait ce constat : « Les plus francs sont obnubilés par la question Hutus-Tutsis. C’est vrai que la société civile est majoritairement tutsie, mais ils oublient l’origine de cette crise : le mécontentement social. »

« Le génocide, poursuit ce diplomate comme en écho au mémo onusien, on le craint tous. Mais le danger le plus immédiat, c’est une guerre civile. » N’y est-on pas déjà ? Des mouvements de rébellion aux contours encore flous ont vu le jour. Ils se trouvent pour la plupart aux frontières extérieures du pays, mais certains seraient à l’intérieur, tout près de la capitale, dans les monts incontrôlables du Bujumbura rural, ou plus loin, dans le Sud.

La peur omniprésente

Dans la capitale, épicentre des tensions, les heurts sont quotidiens. Un jour, c’est un policier qui est visé par une grenade ; un autre, c’est un civil qui est abattu par la police ; un troisième, ce sont des jeunes sur lesquels on tire dans un bar. Les disparitions se comptent par dizaines, les arrestations par centaines. La mort, dit un habitant du quartier contestataire de Mutakura, « peut vous prendre à tout moment et venir de n’importe où ». Nul n’est à l’abri, pas même les barons du régime : en août 2015, le redouté Adolphe Nshimirimana, le bras droit de Nkurunziza, est tombé dans une embuscade. Des armes circulent, d’autres sont cachées. La police assure avoir récemment déjoué un complot en provenance du Rwanda, et visant à ensanglanter la capitale avant le sommet de l’Union africaine.

Le conflit évolue, mais il est encore trop tôt pour évoquer une guerre. À la féroce répression des autorités, la rébellion embryonnaire répond par des actes isolés, souvent aveugles : un tir d’obus, une grenade. On ne manifeste plus – c’est interdit -, on prend les armes. Les quartiers contestataires ont été vidés d’une partie de leurs habitants, qui ont fui, dans d’autres coins de la ville réputés plus sûrs, en province ou à l’étranger, au Rwanda, en Tanzanie ou en Ouganda. On ne compte plus les boutiques fermées et les portes de maisons cadenassées. Les nuits sont silencieuses dans les faubourgs. « On ne sort plus. Le soir, on rentre à 18 heures au plus tard. Le danger peut venir de partout. Il suffit d’être jeune pour être un ennemi », déplore un habitant du quartier de Musaga.

Cette peur est comme le vent : invisible mais entêtante – le fait d’être hutu ou tutsi n’y change rien. Et ce sentiment ne s’arrête pas aux portes de Bujumbura. L’enfer n’est pas entouré du paradis, même si les campagnes sont plus calmes. À une heure de la capitale, dans les montagnes qui, au fil des ans, ont servi de repaire aux différentes rébellions, on a acquis les mêmes réflexes qu’à la ville. On rentre avant la tombée de la nuit. Au bistrot, la peur des oreilles indiscrètes interdit tout débat politique. « Notre espérance de vie est de vingt-quatre heures renouvelables », résume un habitant d’une des collines.


L’ONU EN FORCE

Preuve de l’intérêt que l’on porte à New York au conflit burundais et de la grande inquiétude qu’il suscite (l’ONU a dénoncé, le 15 janvier, des massacres ethniques, des charniers et des viols collectifs commis par les forces de sécurité), une mission du Conseil de sécurité se rendra à Bujumbura du 20 au 22. Chacun des quinze pays membres y enverra un représentant. Objectif : rencontrer les personnalités les plus influentes du gouvernement, les partis politiques, la société civile et – espère-t-on au siège de l’ONU -, le président Pierre Nkurunziza, afin de les pousser à renouer le dialogue.

Cette mission fera escale à l’aller et au retour à Addis-Abeba, afin de s’entretenir avec les responsables de l’Union africaine. « Il est urgent d’agir, estime un diplomate onusien. Le pouvoir n’envisage pas de négocier et l’opposition n’envisage plus que la force pour faire tomber le régime. » Si la perspective d’envoyer des Casques bleus n’est encore qu’hypothétique, on y songe de plus en plus sérieusement à New York. Mais même une force de 4 000 hommes aurait « des capacités très limitées », peut-on lire dans le mémo onusien signé par Hervé Ladsous.

 

Rémi Carayol

Source: Jeune AFrique

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