Avec un pays classé pour moitié en « zone rouge » par le Quai d’Orsay, la plupart des 3 000 Français ont modifié leurs habitudes face au risque d’enlèvement et la crainte de nouveaux attentats.
Murs en béton renforcés, vitres et portes blindées, vigiles armés aux aguets. Bienvenue à l’Institut français de Ouagadougou, fraîchement rénové. A l’entrée, fouille des sacs et passage au détecteur de métaux sont obligatoires. « Ça rassure oui, mais en même temps ça nous rappelle que ce lieu est une cible potentielle », glisse une Française de 52 ans enseignante, qui vit depuis quinze ans au Burkina Faso.
Le 2 mars 2018, le centre culturel a échappé de peu à la double attaque visant l’ambassade de France et l’état-major des armées burkinabé, situé à quelques dizaines de mètres de là. Cet attentat d’envergure, revendiqué par l’organisation djihadiste Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), avait coûté la vie à 8 militaires burkinabés et fait au moins 85 blessés. Ce jour-là, les vitres et un faux plafond de l’Institut français avaient été soufflés par l’explosion de la voiture piégée. « On est resté sidérés et il a fallu revoir tout le dispositif de sécurité », indique un employé du centre, qui vient tout juste de rouvrir après un peu plus d’un an de lourds travaux.
Depuis, la situation sécuritaire s’est encore aggravée au Burkina Faso, pourtant longtemps épargné par la menace terroriste. En un peu plus d’un an, le Centre de crise et de soutien du ministère des affaires étrangères français a même dû réactualiser sa carte d’évaluation des risques à quatre reprises, classant en « zone rouge » près de la moitié du territoire. Le risque d’enlèvement d’Occidentaux et la crainte de nouveaux attentats inquiètent sérieusement le Quai d’Orsay. Alors, à Ouagadougou, capitale trois fois meurtrie par des attaques ces trois dernières années, l’inquiétude monte au sein des 3 000 membres de la communauté française.
« Il faut être prêt au cas où »
Dans un quartier proche du centre-ville, Jean-Bernard Bugnazet gère un petit restaurant. « Vous voyez cette fontaine ? Regardez bien ! »,dit-il, avant d’appuyer sur un interrupteur dissimulé. Quand l’eau cesse de couler, il grimpe les marches antidérapantes du décor végétal et enjambe un mur de près de trois mètres de haut : « C’est une sortie de secours. » S’ajoutent une « pièce de confinement » et un mirador voisin, « en cas d’attaque ». « Après l’attentat de l’Hôtel Radisson Blu [le 20 novembre 2015, à Bamako, au Mali], j’ai senti que cela allait arriver ici au Burkina. Il ne faut pas plonger dans la psychose, mais il faut être prêt au cas où », explique-t-il.
Ce soir-là pourtant, il semble nerveux. L’alerte vient d’être donnée : « Un véhicule Toyota suspect se balade en ville », chuchote-t-il. Des messages de ce genre, il en reçoit de plus en plus. « Pas toujours facile de démêler le vrai du faux », mais leur récurrence en dit long sur le sentiment d’insécurité grandissant. « Des familles commencent à partir, et je commence moi-même à me poser des questions. D’ailleurs, je préfère ne plus sortir de la capitale désormais », résume un ressortissant installé depuis 1998.
En quatre ans, les groupes armés ont peu à peu gagné du terrain au nord, à l’est et désormais au centre-nord du pays. Cela a contraint Jean-Paul Roure, un passionné de chasse arrivé il y a trente ans, à fermer plusieurs de ses campements touristiques à Markoye et Tin-Akoff, dans la région du Sahel burkinabé, puis à Thialy, dans l’est du pays. « Le tourisme est mort maintenant », se désole ce Franco-Burkinabé de 67 ans, reconverti dans la production de confitures locales.
« Ma vie est ici »
A 350 kilomètres plus à l’ouest, Bobo-Dioulasso et sa légendaire douceur de vivre. Ici, « Ouaga » et ses attentats semblent loin. « On psychote trop là-bas, il faut garder son sang-froid parce que plus on en parle, plus on cherche des infos et plus on s’inquiète », regrette une jeune femme depuis trois ans à « Bobo », comme on appelle ici la capitale économique du pays et deuxième ville d’accueil de la communauté française.
Chaque semaine, cette ressortissante organise des « réunions entre filles ». Ce jeudi 9 mai, l’enlèvement des deux touristes français dans le parc de la Pendjari au Bénin – libérés par l’armée française le 10 mai au Burkina Faso –, ou encore la disparition d’une Canadienne et d’un Italien, aperçus pour la dernière fois à Bobo-Dioulasso il y a plus de six mois, délient les langues.
« Ce genre d’événements nous inquiète forcément. On sait qu’en tant que “peaux blanches”, nous sommes devenus des cibles. Alors on a un peu changé nos habitudes, on essaie de se faire plus discrets lors de nos déplacements par exemple », explique une quadragénaire mariée à un Burkinabé. Et d’ajouter : « Ma famille, mon travail, ma vie sont ici. Et puis en France aussi il y a des risques d’attentats, alors bon… »Partir lui semble aussi inenvisageable qu’à son amie, mère d’un enfant de 9 ans, qui martèle : « J’aime ce pays, j’ai choisi d’habiter ici. Alors il faut continuer à vivre et résister ! » Un discours partagé par beaucoup d’autres, au « pays des hommes intègres » si longtemps réputé pour son vivre-ensemble.