Sans doute, l’énigmatique Soumeylou Boubeye Maïga est un homme de l’ombre. Une vraie taupe, qui creuse son trou avec beaucoup d’industrie. Il a la patience d’un fauve, qui attend sa proie. Il vous accueille toujours d’un air aimable, sourire aux lèvres, mais sans qu’on sache, réellement, ce qui se cache derrière sa tête, ce qui donne l’impression qu’on a à faire à un homme opaque, mais doué d’une grande intelligence.
Secret jusqu’au fond de l’âme, il nourrit ses idées, patiemment, tout comme un jardinier soignerait ses plants de chou.
Peu disert, et très peu porté sur les démonstrations publiques, il tisse, patiemment, sa toile alentour, enfermant tout le monde dans un piège infernal. Et c’est là où apparaît l’artificier (à ne pas confondre avec les poseurs de bombe) et le stratège politique, qui mine le sol sous le pied de l’adversaire pour le prendre au dépourvu.
On aura tout dit de Soumeylou Boubeye Maïga, sauf que c’est un homme d’action à l’allure, presque, nonchalante, mais aux méthodes, redoutablement, efficaces.
Boubeye n’est pas un homme-spectacle ; mais il a des agissements raffinés qui aboutissent toujours aux résultats escomptés.
A défaut d’être l’éminence grise du régime IBK, c’est un faiseur de roi. Il est au président IBK ce que la caque est au hareng. On dirait qu’il a réveillé IBK un jour de 1994 pour lui confier la direction de l’Adema-Pasj, boutant hors de la « Ruche » le pauvre Mamadou Lamine Traoré.
IBK-Boubeye, même combat, même destin. Ex-chef de la redoutable Sécurité d’Etat, il a la maîtrise des grands dossiers de la nation. Ce qui, entre ses mains, constitue un épouvantail horrible. N’attendez, surtout pas, qu’il trahisse un secret d’Etat, car c’est là sa force et qui le fait craindre.
N’empêche que le « maître-espion », à présent, Premier ministre, a aussi les défauts de ses qualités.
A défaut d’être populiste, il lui faut être populaire pour prétendre à la magistrature suprême. A part quoi, il détient la légitimité historique sur l’échiquier politique national pour briguer le suffrage des électeurs.
Emile Durkheim disait que pour gouverner, il faut soit être aimé, soit être craint.
Craint par dessus le marché, Boubeye a la lourde tâche de se faire aimer. Une crainte, au demeurant, fondée sur de simples présomptions tant l’homme est affable et courtois. C’est même l’ange qui se cache derrière la bête. C’est le top model de La Bruyère, qui se situe plus près du riche Giton que du pauvre Phédon.
Il a, certes, le teint frais mais pas les joues pendantes.
Modeste, l’homme ne porte aucun signe extérieur de richesse. Ce qui ne veut pas dire qu’il est taillable et corvéable à merci.
Deux actes parmi les plus suicidaires pour l’époque vont le porter à l’attention de l’opinion publique. En 1987, au cours des débats populaires au sein de l’UDPM, l’ancien parti unique du Général Moussa Traoré, il toisa l’ex-dictateur comme étant le seul responsable de la misère du peuple malien, dénonça la tyrannie du dictateur déchu et en appela à une plus grande ouverture démocratique.
Le clando des maquis estudiantins, poseur de dazibaos (journaux muraux chinois) sortait ainsi d’une longue nuit de contestations tous azimuts pour s’associer au combat des démocrates maliens en quête de liberté. A ses risques et périls. Car, il fût, aussi, signataire de la lettre ouverte du 7 août 1987 adressée au Général Moussa Traoré et réclamant le pluralisme politique.
Il fût démis de ses fonctions de rédacteur en chef du mensuel Sunjata, tout comme son ami et compagnon de lutte, Cheick Mouctary Diarra, alors directeur général de l’AMAP.
Boubeye est-il, aussi, prétentieux comme d’aucuns le disent, à vouloir monter au sommet de la pyramide ?
Pourtant, il connaît la classe politique malienne comme sa poche. C’est un fin manœuvrier qui a prouvé, à maintes occasions, qu’il peut être le rassembleur des voix discordantes au sein d’une classe politique déchirée. Toute solution de compromis, en 2023, passe nécessairement par cet homme aux tentacules de pieuvre.
Tenu, le 29 décembre dernier, au Palais de la Culture, le 2e congrès de son parti, l’ASMA-CFP, a regroupé, autour de lui, la quasi-totalité des leaders politiques maliens ouvrant, du coup, une nouvelle page dans la réconciliation entre IBK et Soumaïla Cissé, chef de file de l’opposition. Lequel ne reconnaît, toujours pas, la victoire du premier à la présidentielle du 29 juillet 2018.
Soumeylou Boubeye Maïga est devenu, par la force des choses, le dernier des Mohicans ; c’est à dire une espèce en voie de disparition.
Mieux vaut l’avoir avec soi, que contre soi.
Oumar Babi
Source: Canard Déchaîné