Boubacar Gaoussou Diarra, ambassadeur malien, dirige le secrétariat permanent du cadre politique de gestion de la crise du Centre. Cette institution dépend directement du Premier ministre et assure la coordination des actions du gouvernement et de ses partenaires pour la stabilisation des régions de Ségou et de Mopti, menacées notamment par la présence jihadiste du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (lié à Aqmi). L’accord de Niono, conclu localement avec la Katiba Macina, autorise les jihadistes à prêcher en armes dans les villages ou à imposer le voile aux femmes dans les zones qu’ils contrôlent. Il est au micro de de David Baché.
RFI : Un cessez-le-feu temporaire a été conclu le mois dernier dans le cercle de Niono entre chasseurs traditionnels Dozo et jihadistes de la Katiba Macina liée à Aqmi. Cet accord a été conclu sous l’égide du Haut Conseil islamique mandaté par les autorités, c’est une première…
Boubacar Gaoussou Diarra : Oui c’est une première dont nous nous satisfaisons. Ça a été un vrai traumatisme dans l’opinion l’encerclement de Farabougou par des groupes terroristes, et donc si ce village martyre est libéré, il faut s’en réjouir.
Cet accord a été conclu directement avec les jihadistes de la Katiba Macina pas avec des intermédiaires locaux ou communautaires, ça c’est inédit. Ça peut être le début d’une nouvelle stratégie ?
Moi je ne pense pas qu’il faille relier l’accord de Farabougou à la dimension du dialogue avec les terroristes, ce n’est pas dans la même dimension. Nous avons affaire à un conflit intercommunautaire…
Avec la Katiba Macina liée à Aqmi…
Oui, mais en fait à l’origine c’est un conflit intercommunautaire. L’armée était gênée d’agir sur le terrain pour ne pas enflammer le conflit intercommunautaire.
Les jihadistes de la Katiba Macina exigent, pour que le cessez-le-feu soit maintenu, le départ de l’armée malienne du village de Farabougou, est-ce que c’est quelque chose d’acceptable ?
L’opinion s’interroge : comment peut-on accepter dans un État républicain de faire reculer l’armée ? Mais je pense qu’au niveau requis, la réponse adaptée à la situation sera prise.
Est-ce que cet accord de Niono peut servir de modèle pour d’autres discussions, dans d’autres endroits du centre du Mali ?
Il n’y a pas besoin de faire de Farabougou un modèle, déjà par le passé les populations elles-mêmes qui sont encerclées par les groupes ont, à travers les leaders communautaires, décidé de se parler.
Ça a été le cas à Douentza, à Koro…
Ça a été le cas à Douentza, à Koro, à Bankass, on a signé un nombre appréciable d’accord depuis peut-on dire juillet 2019, mais ce sont des accords humanitaires, en ce sens que ces accords n’empiètent pas sur le modèle d’État républicain du Mali. Ces accords ne nous interrogent pas sur la laïcité de notre État.
Mais justement, ces accords intercommunautaires ou humanitaires montrent aussi leurs limites lorsqu’ils ne sont pas conclus directement avec les groupes jihadistes, certains d’entre eux sont battus en brèche du jour au lendemain et n’empêchent pas les attaques.
Oui, quand on regarde ces accords, ils sont la preuve que les milices communautaires ont échoué dans la défense des communautés. C’est parce que les communautés ont le sentiment que, malgré la création de ces milices, leur sécurité n’est pas assurée, qu’elles vont voir les leaders communautaires, les chefs de villages, les chefs traditionnels, pour leur dire « nous souhaitons travailler ensemble, communauté et communauté. »
Et est-ce que vous seriez favorable à ce qu’on implique davantage directement les groupes jihadistes qui sévissent dans ces zones ?
Je vois que la question vous préoccupe beaucoup. Mais la question n’est pas taboue. Au cours du dialogue national inclusif, cette question est venue en force, maintenant il faut laisser l’État s’organiser pour entrevoir les meilleures manières de gérer cette question.
On a donc parlé de ces accords à échelle locale, vous l’avez rappelé, les autorités nationales de transition ont plusieurs fois affirmé leur volonté d’ouvrir un dialogue avec les groupes jihadistes, cette fois à l’échelle nationale. Est-ce que vous savez si des premières démarches ont déjà été entreprises ?
Je ne suis pas au courant, mais je pense que c’est une question extrêmement délicate, que l’on ne peut pas prendre à la légère sans, au niveau le plus élevé, prendre les dispositions nécessaires.
Est-ce que le niveau le plus élevé vous a déjà sollicité pour prendre attache ?
Non je n’ai pas été sollicité pour participer à quelque équipe que ce soit pour le moment, peut-être que les gens vont trop vite en besogne, les autorités ont rappelé la volonté de trouver une solution endogène à cette crise profonde, il faut leur laisser le temps de gérer cela.
Les chefs du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa, sont des personnes avec qui parler pour trouver justement une solution endogène comme vous le dites ?
Vous aurez remarqué qu’on n’a jamais au niveau le plus élevé donné les noms de ces deux personnages. Je pense que c’est une bonne chose. Le dialogue ne veut pas dire qu’il faut négocier directement avec ces personnages. De très nombreux jeunes ont adhéré à ces groupes pour des raisons fort éloignées de l’islam.
Mais ce n’est pas avec ces jeunes que l’État malien peut conclure un accord ou un pacte de non-agression à l’échelle nationale ?
Non je crois que c’est une erreur de penser qu’il faut commencer par les plus grands pour arriver à une solution. Si on parvient progressivement à faire comprendre aux lieutenants et aux autres qui se sont trompés de voie, peut-être qu’à leur tour, ceux dont vous parlez comprendront la nécessité d’inscrire leurs actions non dans l’action terroriste mais dans le dialogue.
Source : RFI