Depuis neuf mois, 496 agents de la ligne Dakar – Bamako Ferroviaire maliens sont dans l’attente de leurs salaires. Parmi eux, Bolidiandian Keita, chef de famille et père de six enfants. En grève de la faim depuis quatre semaines, il compte mener le combat jusqu’au bout.
« C’est le 28ème jour de notre grève de la faim. Si nous en sommes arrivés là, c’est que c’est notre option ultime de revendication », explique le gréviste, président de la Corporation des conducteurs de trains du Mali. Assis sur une chaise éprouvée, vêtu d’une chemise manches courtes aux couleurs bigarrées, ce père de famille n’avait jamais pensé que sa vie prendrait un tel tournant. Âgé aujourd’hui de 58 ans, c’est au lycée, en 1983, qu’il passe le concours d’entrée aux Chemins de fer. Depuis, même s’il n’habitait pas un palais, il vivait dignement. Avec l’arrêt des locomotives reliant Bamako et Kayes, en 2018, sa situation financière a périclité. « Dans nos maisons, la situation est dramatique, car, après neuf mois sans salaire, tu n’as plus les moyens ni de donner le prix des condiments, ni de soigner tes enfants ». À ses côtés, une vingtaine de ses collègues, femmes comprises, assis à l’ombre d’un arbre, comme à l’accoutumée depuis le début de la grève. Au milieu des rails, une tente, sous laquelle se trouvent les couchettes. Des bouilloires, des moustiquaires et, tout proche, un wagon immobile.
Lutter jusqu’au bout
La situation de ces cheminots interpelle. « Nous sommes venus camper ici pour éviter de voir les souffrances de nos familles. Aujourd’hui, c’est ma femme qui se débrouille, c’est elle qui va au marché pour acheter de petites choses et les revendre. Mais cela ne peut pas faire vivre tout un foyer », témoigne avec tristesse Bolidiandian Keita. Pour ses enfants, à l’école la directrice assure la prise en charge jusqu’à la fin de ses déboires. En dépit de ces épreuves, son moral est bon, ce qui n’est pas le cas pour certains de ses camarades. « Nous avons des collègues dont les enfants ne vont plus à l’école, dont les femmes sont parties parce qu’ils ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins élémentaires », déplore-t-il, dénonçant le silence des autorités. « Et, pire encore, certains ont été obligés de ramener leurs épouses dans leur belle-famille. Nous savons ce que cela veut dire dans notre tradition », dit-il. Un silence puis il lance « ça nous coûtera ce que ça nous coûtera! ».
Malgré l’élan de solidarité des parents et des proches, chaque jour qui passe est un supplice de plus. Sur les visages des présents ce jour-là se lit l’impuissance. « Il y a des parents qui nous assistent toujours mais d’autres en ont marre. Pour un mois, deux mois, ça peut aller, mais au-delà c’est trop. Et ils ont raison », reconnait un cheminot domicilié à Konatébougou, dans le grand quartier de Boulkassoumbougou. La précarité les contraint souvent à des sollicitations inhabituelles. « Nous demandons des sacs de riz à des gens à qui nous ne devrions même pas demander cinq francs », se tourmente le gréviste.
Les différentes démarches entreprises pour plaider leur cause n’y ont rien changé. Du Président de l’Assemblée nationale, l’Honorable Issiaka Sidibé, au Conseil économique, social et culturel (CESC), en passant par les autorités religieuses, comme Cherif Madani Haidara, Mahmoud Dicko et Monseigneur Jean Zerbo, aucun de leurs défenseurs n’a obtenu de réponse satisfaisante.
Étrangement, l’actuelle grève rappelle celle menée par les cheminots de la ligne Dakar – Bamako en 1947 et qui a inspiré à Sembene Ousmane son roman « Les bouts de bois de Dieu ». Dans cette œuvre, tout comme sur les rails aujourd’hui, les cheminots résistent aux difficultés, convaincus qu’ils gagneront tôt ou tard leur combat pour la dignité.