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Bill Gates : une autre tragédie de Cassandre

(Ecofin Hebdo) – Depuis quelques jours, alors que le monde fait de son mieux pour lutter contre le coronavirus, Bill Gates, qui fournit l’un des efforts financiers les plus importants de la résistance, est le sujet de nombreuses théories du complot liées au Covid-19. Accusé de travailler sur des vaccins qui géolocaliseraient toute la planète ou d’avoir tout simplement créé le virus, l’homme d’affaire est pourtant l’une des premières personnalités à avoir mis le monde en garde, ces 10 dernières années, contre les dégâts potentiels d’une pandémie.

Comme la plupart des personnalités médiatisées lors de cette crise sanitaire mondiale, Bill Gates est rapidement passé de personnalité bienveillante au statut de génie malveillant à l’origine de la crise. L’intéressé a pourtant investi des millions de dollars pendant plusieurs années pour lutter contre les problèmes sanitaires des pays les plus pauvres. Il est notamment passé très près d’éradiquer la poliomyélite.

Malgré tout, sa philanthropie et ses motivations sont plus que jamais remises en causes. La faute à l’immense fortune qui ne le quitte pas ou au fait que jamais personne d’autre lui ne semble avoir accès à ses pensées.

Accusé de faire « de la science-fiction sur le thème de la santé »

Avant les déferlements sur les réseaux sociaux et les théories actuelles, Bill Gates avait déjà suscité des réactions pour ses interventions sur le sujet des pandémies. « Qu’arrive-t-il à Bill Gates ? Voilà un homme qui, grâce à sa fondation, a largement financé la prévention. Il a payé jusque 50% des vaccins de première nécessité dans les pays pauvres ; il a investi dans les moustiquaires pour lutter contre le paludisme ; il a contribué au fonds mondial pour le traitement du SIDA, du paludisme et de la tuberculose ; il vient de mettre de l’argent dans la Global Burden of Disease Study, qui permet d’identifier dans le monde les vraies causes de décès et de les distinguer des peurs propagées par Internet, ce qui est une priorité. Bref, Bill Gates est un acteur de la santé publique mondiale et il joue un rôle bien plus important encore que l’OMS. A ce titre, il mériterait le prix Nobel de la Paix pour avoir sauvé plus de personnes au 21ème siècle que n’importe quelle institution. Mais sa déclaration sur l’imminence d’une pandémie vient de le faire basculer chez les prophètes – ce qui est inattendu ». Ces mots proviennent d’une tribune du docteur Didier Raoult, signée en 2017 et consécutive à une sortie de Bill Gates affirmant que la prochaine chose qui tuerait plus de 10 millions de personnes dans le monde serait un virus infectieux.

Didier Raoult : « Bill Gates joue un rôle bien plus important encore que l’OMS. A ce titre, il mériterait le prix Nobel de la Paix pour avoir sauvé plus de personnes au 21ème siècle que n’importe quelle institution »

« Il est certain que ce doit être frustrant de ne pas voir son action reconnue. Mais de là à se livrer à de la science-fiction sur le thème de la santé… Il est facile d’occuper le devant de la scène en se livrant à des prédictions catastrophistes. Cette tentation à prendre la lumière coûte que coûte, vient de faire une victime de plus, et c’est très regrettable », conclut l’infectiologue français visiblement choqué par les prédictions de Bill Gates.

Pour Didier Raoult, l’américain voulait juste attirer l’attention. Pourtant, ces dernières années, l’homme d’affaires ayant longtemps affiché la plus importante fortune de la planète ne semble pas vraiment à la recherche des projecteurs. Cela fait plusieurs années que la grande majorité des journées de Bill Gates est consacrée  à la philanthropie. Construire des toilettes en Afrique, éradiquer la poliomyélite, assurer la vaccination des enfants dans les pays pauvres…

Voici les principaux sujets vers lesquels se tourne l’esprit de Bill Gates depuis quelques années. La preuve, le milliardaire a récemment quitté le conseil d’administration de Microsoft, «  pour se consacrer à ses activités philanthropiques ». Mais, à cause de son immense fortune, une image d’hommes d’affaires vorace lui colle à la peau.

L’homme qui ne voulait pas arrêter de résoudre des problèmes complexes

Comme l’explique sa femme, Melinda Gates, dans la série documentaire de Netflix intitulée « Dans le cerveau de Bill Gates », l’argent ou la fortune est loin d’être la première chose qui définit le milliardaire. Pour son épouse, le principal trait de caractère définissant son mari est son amour pour les problèmes complexes.  « Il aime la complexité et il se nourrit de complexité », assure-t-elle.

D’ailleurs, le fondateur de Microsoft le confirme lorsqu’on l’interroge sur la chose qu’il craint le plus : «  que mon cerveau s’arrête de fonctionner ».

L’un des esprits les plus brillants de sa génération.

L’intellect de Bill Gates, plus que son argent, devrait être la première chose que l’on évoque. Parce qu’avant d’être l’homme le plus riche du monde sur de nombreuses périodes, l’intéressé est avant tout l’un des esprits les plus brillants de sa génération.

Né en 1955 à Seattle, aux États-Unis, dans une famille aisée, Bill Gates se distingue rapidement lors de ses premières années d’études. Passionné de mathématiques et d’informatique, il fait partie, avec son ami Kent Evans, des plus jeunes collégiens admis au club d’informatique du lycée de Lakeside School. Ils y sont invités par Paul Allen, de quelques années leur ainé, impressionné par leur précocité intellectuelle. A la fin de l’année, l’intelligence des deux jeunes garçons est si respectée que l’école décide de leur soumettre un véritable casse-tête.

En effet, le Lakeside School a fusionné avec une école locale qui n’accueillait que des filles et il fallait désormais mettre en place les horaires d’étude de plus de 400 élèves répartis sur 2 campus. Il fallait prendre en compte de nombreuses contraintes comme le fait qu’un prof ne pouvait donner plus de 4h de cours d’affilée ou que le cours de percussions ne pouvait se tenir à tel moment à cause de la mauvaise insonorisation d’une salle qui ferait que le cours voisin serait perturbé. Véritable casse-tête chinois, le problème occupe les deux garçons et est sur le point de les faire abandonner. Kent Evans, pas très sportif, décide d’élargir ses horizons en s’inscrivant à un cours d’alpinisme. Il fera une chute mortelle en plein entrainement. Triste et anéanti, Bill Gates décide alors d’aller au bout du problème débuté avec son ami défunt. Il demande alors l’aide de Paul Allen pour le seconder. Deux semaines plus tard, ils réussissent à concevoir un programme informatique qui génère les horaires. Il est si réussi que les écoles voisines demandent l’aide de Bill Gates et Paul Allen. Dans la foulée de ce succès, les deux adolescents conçoivent un programme analysant le trafic routier. Une société hydroélectrique décide de recruter Bill Gates et Paul Allen pour informatiser ses processus. Ils quittent alors l’école pour un semestre, pour fournir le programme demandé. C’est peut-être durant ce genre de pause qu’il commence à se sentir détaché de ses études.

Quoi qu’il en soit, Bill Gates entre à l’université d’Harvard, à l’âge de 18 ans. Deux ans plus tard, il abandonne ses études pour se consacrer uniquement à la programmation informatique avec Paul Allen, qui abandonne également son cursus.

Gloire, richesse et soupçons

Les deux compères programment un langage informatique compatible avec l’Altair 8800, un des tous premiers micro-ordinateurs. Le langage est un énorme succès. Bill Gates et Paul Allen fondent alors leur société Microcomputer Software, qui deviendra plus tard Microsoft. Seulement, avec des salariés et des charges, la société ne compte pas vraiment de clients, jusqu’en 1980. Cette année-là, grâce à sa mère, qui a une connaissance au sein du groupe informatique IMB, Bill Gates va signer le contrat qui va tout changer.

A cette époque, la multinationale de conception d’ordinateurs veut miniaturiser ses terminaux informatiques mais ses ingénieurs ne savent pas concevoir de systèmes d’exploitation. IBM demande à Bill Gates s’il est capable d’en concevoir. Il répond oui, ce qui à cette époque n’est pas vrai. Bill Gates et Paul Allen contactent une connaissance chez Seattle Computer Products et rachètent pour 50 000 dollars le système d’exploitation Q-DOS développé par la société. Ils le renomment MS-DOS et proposent à IBM de leur verser une commission sur chaque vente d’ordinateur, équipé du système.

A raison de 3 $ de royalties par ordinateur Microsoft affiche rapidement 100 millions de $ de chiffre d’affaires. En 1986, Microsoft entre en bourse et la confiance dans son activité va faire de Bill Gates un milliardaire. Seulement, à cette époque, Apple a des années d’avance sur IBM et son système Macintosh est plus abouti. Conscient de leur retard, Bill Gates et Paul Allen essaient d’améliorer leur système au fil des années et conçoivent également des logiciels de traitement de texte comme Microsoft Word. Finalement, en 1995, Windows va réussir à prendre le dessus dans les ventes sur Apple et son Macintosh. Cela, grâce à une meilleure version de Windows, mais également aux coûts des ordinateurs de IBM beaucoup moins élevés que ceux de Apple. En 1996, grâce au succès de Microsoft, Bill Gates devient l’homme le plus riche du monde. Les années suivantes, il acquiert des participations dans différentes entreprises avant de créer, en 2000, avec sa femme, la fondation Bill & Melinda Gates.

En 1998, Bill Gates et Microsoft sont accusés par le gouvernement américain de créer des monopoles créant des obstacles à l’innovation concurrente. La société menacerait de rompre ses accords commerciaux avec les fabricants d’ordinateurs s’ils ne privilégient pas Microsoft. Finalement, au terme du procès, un accord est trouvé avec les autorités et Microsoft accepte notamment la surveillance du gouvernement. A partir de ce moment, Bill Gates commence à s’éloigner de la gestion de Microsoft pour se consacrer à ses activités philanthropiques. A la tête de sa fondation, il devient un chantre du capitalisme éthique et essaie de convaincre les autres principales fortunes de la planète d’investir dans la résolution des problèmes sanitaires des pays pauvres. Il convaincra notamment Warren Buffet.

Malgré son objectif noble, il est critiqué par des gens qui lui reprochent de vouloir s’enrichir grâce à sa fondation. Pourtant, l’impact des actions de Bill Gates est reconnu.

Finalement, ce qu’on lui reproche, c’est peut-être le mécanisme de sa fondation. Elle investit dans les projets et entreprises dont l’action peut avoir un impact positif sur la santé dans les pays pauvres. Là où le milliardaire voit un moyen rodé par son expérience de contrôler la corruption et l’action des entreprises bénéficiaires des financements de la fondation, beaucoup dénoncent une recherche de profit sous prétextes philanthropiques. Pour les détracteurs du milliardaire, il y a des méthodes bien plus inspirantes. Cela, le milliardaire n’en a cure. « Je ne cherche pas à inspirer les gens, ce que je recherche, c’est l’optimisation », assure Bill Gates. En attendant, en Afrique, vers laquelle le gros de ses efforts philanthropiques est dirigé, le milliardaire commence à être grimé en génie du mal. Qu’à cela ne tienne. Ce ne sera qu’un problème complexe de plus à résoudre.

Servan Ahougnon

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