Après deux ans de tergiversations, la fédération internationale de basket (FIBA) a rendu son verdict dans l’affaire d’abus sexuels qui empoisonne depuis des décennies la fédération malienne de basket (FMBB), dont cinq officiels avaient été provisoirement suspendus.
Si l’ancien entraîneur des U18 féminines Amadou Bamba est banni à vie, plusieurs autres responsables de premier plan sont épargnés. Une décision dénoncée par les victimes, lanceurs d’alerte et les ONG, qui relance le débat sur les complaisances contre les crimes sexuels dans le basket.
« Décision de la FIBA pour protéger la jeunesse malienne »… A travers son long communiqué publié le 22 juin sous ce titre, la fédération internationale de basket voulait faire valoir son engagement pour le bien-être des jeunes basketteurs maliens. Mais le texte enfile les poncifs, des actions rassurantes menées avec une ONG « indépendante » (Terre des Hommes) au rôle des « experts en protection ». En annonçant des sanctions définitives contre cinq officiels de la fédération malienne, la FIBA espérait clore ce lourd dossier d’abus sexuels sur mineurs, étalés sur deux décennies. C’est raté.
Comme l’écrivait Blast l’hiver dernier, la majorité des personnes concernées n’est pas satisfaite. « Ils ont laissé des lanceurs d’alerte et des adolescentes victimes d’abus sexuels sans protection pendant tout ce temps, rappelle l’américaine Minky Worden, directrice des initiatives globales à Human Rights Watch. Une joueuse qui avait reporté le chantage sexuel a carrément été éjectée de l’équipe nationale, puis a subi des représailles au point que sa prometteuse carrière a été détruite, et son courage puni. »
Des sanctions très longues à tomber
Initialement révélé par le New York Times en juin 2021, le système d’exploitation et d’abus sexuel dans le basket malien, dont les victimes étaient notamment mineures, a été confirmé par les recherches de l’ONG Human Rights Watch et le rapport McLaren, commissionné par la FIBA. Si la plupart des prévenus avaient été suspendus à titre provisoire, beaucoup s’interrogeaient sur la durée d’un processus interminable. « Human Rights Watch a écrit à la FIBA dès juin 2021, avec une longue documentation d’abus et d’harcèlements sexuels commis par le coach de l’équipe nationale des moins de 18 ans, poursuit Worden. Les sanctions prises par la FIBA contre les abuseurs d’enfants sont un pas en avant important mais cela n’aurait jamais dû prendre plus de deux ans pour bannir ces agresseurs. »
Le coach Amadou Bamba avait été placé en juillet 2021 sous mandat de dépôt par la justice pour « pédophilie, tentative de viol et atteinte à la pudeur ». Exclu à vie des affaires du basket, il devra payer 80 000 francs suisses. Il est désormais sorti de prison, en attente de son procès (1). Derrière Bamba, la FIBA a sanctionné quatre autres dirigeants ayant couvert les abus et/ou intimidé les victimes.
Harouna Maiga, l’ancien président de la FMBB, écope d’une interdiction d’exercer ou de participer à toute activité liée à la FIBA pendant huit ans. Il devra aussi verser 20 000 francs suisses. L’ancien secrétaire général de la fédération Seydou Maiga est frappé de la même interdiction pendant six ans. Il devra aussi payer 10 000 francs suisses. Amadou Traoré, ex-premier vice-président de la FMBB, hérite d’une interdiction de quatre ans et d’une amende de 5 000 francs suisses. Enfin, Fatoumata Diallo, ancienne coach-adjointe de Bamba, est exclue du monde du basket pendant deux ans.
L’actuel président crie au complot
Dès qu’elle a été rendue publique, la décision du gouvernement mondial du basket a été beaucoup commentée au Mali. L’actuel patron de la FMBB crie au complot : « C’est regrettable que des Maliens essayent de détruire des Maliens », a réagi Jean-Claude Sidibé, dans Aujourd’hui. Un complot intra-malien ? Le titre à la une de l’hebdomadaire ne laisse aucune place au doute : « Une décision ‘flagrante’ taillée sur mesure. Le TAS (2) bientôt saisi ! Pourquoi le silence de Hamane Niang ? »
Actuel président de la FIBA, Hamane Niang était visé par les enquêtes du New York Times et de Human Rights Watch, pointé comme l’un des dirigeants n’ayant pas agi contre les abus dans le basket malien lorsqu’il présidait lui-même la fédération malienne. Or le rapport McLaren commandé par la FIBA n’a pas été capable de confirmer ou d’infirmer ces allégations, et le choix de conserver ou non son poste… a été laissé à l’ancien ministre des Sports du Mali. Considérant avoir été « blanchi », l’homme fort du basket mondial n’a pourtant jamais pris la parole sur ce dossier. Une attitude qui a suscité des critiques au sein même de la FMBB, qui (se) vit sous un air de rivalité entre Niang et Sidibé.
Sidibé, lui-même ancien ministre, est cité dans le rapport McLaren, comme le rappelle Minky Worden : « Selon le rapport, il aurait mis la pression à des jeunes joueuses pour rester dans son hôtel (Jean-Claude Sidibé est propriétaire de plusieurs hôtels, ndlr) et intimidé des témoins. Or, il est maintenant le président de la fédération ! » Mais pas seulement. Sidibé est aussi l’avocat d’Amadou Bamba, l’entraîneur banni à vie par la FIBA. Il a publiquement mis en doute les sanctions. « Au lieu de promouvoir des abuseurs, la FIBA et le CIO (le Comité international olympique, ndlr) doivent adopter des vérifications des antécédents en matière de droits humains pour protéger les témoins et survivants, et ainsi établir une véritable protection de l’enfance », juge Minky Worden.
Contacté au sujet d’éventuelles poursuites contre Jean-Claude Sidibé, la FIBA n’a pas répondu. Elle n’a pas non plus voulu confirmer si une procédure a été ouverte contre Alpha Bagayoko, dit Jackson, instructeur FIBA et membre éminent du basket malien depuis des décennies, suspecté d’abus sexuels sur mineurs selon plusieurs victimes, qui s’étaient confiées à Blast.
« Nous sommes contents des décisions qui valident notre combat mais il reste encore du travail », commente sobrement Cheick Camara. L’ancien joueur a dénoncé publiquement les abus et aidé de nombreuses familles. « Mais nous n’abandonnerons pas. We don’t give up Inshallah ! »
(1) Contacté par Blast, le procureur Touré n’a pas répondu à nos questions sur l’avancement de ce dossier.
(2) Installé à Lausanne, en Suisse, le Tribunal arbitral du sport est l’organe d’arbitrage et de médiation du sport.
Source : blast-info.fr