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Barkhane, la force française, entre le marteau et l’enclume

« Libératrice » pour les populations, en 2013 avec la force Serval, aujourd’hui l’armée française est plus que jamais contestée au Mali où elle est régulièrement accusée de « contribuer à la déstabilisation du Sahel ».
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Des sit-in à Bamako pour dénoncer « son rôle flou dans le conflit malien ». Des manifestations à Kidal, dans le nord où elle mène des opérations antiterroristes, pour réclamer son départ. La force Barkhane est entre le marteau et l’enclume.

Dans la ville de Kidal, des slogans hostiles à la force française longe des murs : « C’est la France les terroristes…Barkhane voleur…La France bafoue les droits de l’homme…Trop c’est trop, Macron ton armée nous terrorise… ». Et ses véhicules de patrouille sont désormais la cible de jets de pierre à l’intérieur de la ville. Tout a commencé, il y a deux semaines, quand les militaires français ont mené une perquisition musclée chez Mahamadou Ag Rhissa, un riche homme d’affaires de la ville très impliqué, selon des sources locales, dans le transport des migrants et la contrebande du carburant. Il a été arrêté avec six autres personnes, et trois véhicules ont été brûlés au cours de l’assaut.

Des manifestations s’en sont suivies et le camp qui abrite Barkhane a même fait l’objet « d’intenses jets de pierre », selon des sources locales. La force française aurait utilisé du gaz lacrymogène pour disperser la foule. « Ce qui rend les gens mécontents, ce n’est pas l’arrestation de Mohamed, mais la façon dont les choses se sont passées. On préfère être tués que d’être humiliés publiquement », affirme une source locale. « Les opérations et raids antiterroristes sont rarement sans violence. Les populations de Kidal sont légitimement en colère », glisse Kamissa Camara, chercheuse à l’Université de Harvard et Fondatrice du forum stratégique sur le Sahel.

« Les manifestations à Kidal ne sont pas spontanées »
Dans la région de Kidal, si l’armée française s’est appuyée sur les ex-rebelles du Mouvement national de Libération de l’Azawad (MNLA) pour traquer les terroristes, elle n’a jamais vraiment réussi à recueillir l’adhésion des populations. Surtout après la mort, fin novembre 2016, d’un enfant de douze ans suite à des frappes aériennes dans l’Adrar des Ifoghas.

En février 2017, la France a promis de rendre de rendre publics les résultats de l’enquête sur cet incident. Mais elle n’a jamais vraiment reconnu officiellement sa responsabilité. « Nous en avons marre. Leurs avions font fuir nos animaux sans lesquels nous ne pouvons pas vivre. Et quand vous partez les chercher loin de la ville, vous êtes exposé à des risques qu’on vous prenne pour des terroristes », a affirmé à Sahelien.com un habitant du cercle d’Abeibara en 2016.

Plusieurs observateurs s’accordent à dire que les récentes hostilités à l’égard de la force française, dans l’Adrar, seraient « manipulées » et ne seraient pas « spontanées ». C’est le cas de Moussa Mara, l’ancien Premier ministre malien : « Les manifestations des populations, notamment à Kidal, ne sont pas forcément spontanées. Des forces obscures au nord ont intérêt à ce que Barkhane ne soit pas là ».

Des propos qui rappellent la manifestation « contre les forces étrangères », en avril 2016, toujours dans la ville de Kidal après l’arrestation, par Barkhane, de présumés terroristes. À l’époque, des véhicules du HCUA, mouvement proche d’Iyad Ag Ghaly, ont été aperçus en train de transporter des manifestants près de l’aéroport de Kidal, alors saccagé par la foule.

Les récentes manifestations, elles, seraient aussi, selon une source qui a requis l’anonymat, l’œuvre de la veuve de Cheick Ag Awissa, Zeina Wallet Illady. Ce chef militaire de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) fut tué dans l’explosion de sa voiture, le samedi 8 octobre, au sortir d’une réunion avec la mission de l’ONU, à Kidal.

Présence post-coloniale

Cependant, dans le pays, le ressentiment contre la force française est général. Et cela, depuis le lendemain de l’opération Serval, où la France a été accusée d’avoir bloqué l’accès de Kidal aux forces armées maliennes, après la guerre de conquête des autres régions du nord du Mali, et d’y installer le MNLA, que l’opinion dominante considère comme étant l’artisan de tous les maux du pays et qui a aussi semé la terreur à Gao et Tombouctou pendant les premières heures de l’occupation djihadiste.

« Pour ce qui concerne Bamako, un sentiment majoritaire d’ambiguïté de la France sur certains sujets est présent chez les Maliens, mais ils savent également que les forces françaises sont incontournables », ajoute Moussa Mara.

Andrew Lebovich, chercheur américain et spécialiste du Sahel, situe le problème ailleurs. « Il y a toujours énormément de confusion par rapport au statut et aux opérations de Barkhane, en partie parce qu’elle est faite parfois sans explication, ce qui est assez normal pour les opérations militaires, affirme-t-il. Mais je pense que c’est surtout à cause de la méfiance par rapport à la France, qui provient de sa présence post coloniale au Sahel ».

À la fin du mandat de l’ancien président français, François Hollande, 4 000 militaires français étaient encore présents au Sahel. Officiellement, ce chiffre n’a pas diminué. Cette forte présence, sous le motif officiel de la lutte contre le terrorisme, est pourtant mal perçue par le citoyen lambda.

Ainsi, en août et septembre, des sit-in ont eu lieu devant l’Ambassade de France, à l’initiative du mouvement « On a tout compris, Wati Sera », pour « défendre le Mali contre toutes les formes de velléités sécessionnistes fomentées et soutenues par des forces étrangères avec comme chef de file la France », peut-on lire dans le communiqué daté du 13 septembre. La force Barkhane est-elle entre l’enclume des populations du nord et le marteau de celles du sud, notamment de Bamako ?

« C’est le Mali qui se trouve entre le marteau et l’enclume, entre Barkhane, donc la France, et le danger rampant d’être avalé par les pseudo djihadistes et narco trafiquants si les forces internationales quittaient la zone sahélo-saharienne », estime une source sécuritaire française. La question, qui consiste à savoir si l’on peut s’attendre à un départ de Barkhane, appelle, selon elle, d’autres questions : le Mali est-il assez fort pour résister aux barbus et aux autres bandits ? Pourquoi la force du G5 Sahel, qui court après le financement et donc mettra du temps à être opérationnelle sur le terrain, serait-elle plus apte à défendre le territoire sahélo-saharien ?

« Je crois que si la force du G5 sahel pouvait remplacer Barkhane, Macron retirerait ses troupes car toute intervention à l’étranger coûte très chère au budget français. Si le but des opérations « extérieures » est de mettre la main sur le sous-sol, il y a d’autres moyens économiques de le faire, qui serait « tout bénéfice » pour les multinationales françaises sans creuser le budget national. », explique cette autre source, qui se demande aussi si Idriss Déby verrait d’un bon œil un départ de Barkhane alors que le QG se trouve à N’Djamena et qu’il en tire profit politiquement et financièrement. « Et la dernière chose, mais qui est un argument de poids : comment peut-on prétendre venir à bout du djihadisme dans la bande sahélo-saharienne, alors qu’en Occident les gouvernements sont incapables d’en venir à bout sur leurs propres territoires », conclut-elle.

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