La ville, abandonnée totalement la nuit, s’apprête à entrer dans la cinquième semaine de cette décision
Bamako, samedi 18 avril 2020 sur l’avenue de l’OUA. 22 heures, pas un vent qui souffle. Pas un usager sur la route. Seulement, un silence quasi tombal. Les réverbères éteints, peut-être à cause d’un délestage, plongent la large et longue voie dans une obscurité sépulcrale. Même si sans succès, les lumières du feu tricolore à chaque carrefour tentent de marcher sur les brisées de cette obscurité aussi effrayante que le silence qui l’accompagne. Autre rival infime du noir sépulcral : les faisceaux de torches, dont les policiers se servent pour signaler quelques rares usagers. C’est le nouveau visage nocturne de Bamako. Une ville en guerre contre un ennemi très futé, qui a fait des hécatombes hier en Chine, aujourd’hui en Occident.
Le Mali comme le reste de l’Afrique, pris à la gorge par la pandémie, a également essuyé quelques coups : 224 cas confirmés, 14 décès, 42 guéris. Pour contenir la propagation du coronavirus, le gouvernement a édicté une palette de mesures, dont le couvre-feu (de 21 heures à 5 heures du matin) décrété depuis le 26 mars dernier. Cette injonction de rester chez-soi à partir de 21 heures a changé Bamako en « ville fantôme ». Si vous êtes nostalgique de Bamako « by night », un conseil rester chez vous ! Car, avec un peu de chance, c’est une ville fantôme qui vous attendra dehors, et si vous n’êtes vraiment pas chanceux, c’est une nuit derrière les barreaux. Vous n’échapperez pas à la police, presqu’omniprésente. Après 5 minutes de conduite sur la voie à l’opposé de la Tour d’Afrique qui surplombe le quartier, déjà un premier check-point. Un véhicule technique de la police barre partiellement la route. « C’est vous la presse ? », nous demande l’un des policiers après avoir suspicieusement maté notre « laissez-passer ». « Puis-je voir votre carte de presse aussi, monsieur ? ». Enfin, après examen de la pièce, d’une voix rauque : « laissez passer ! », crie-t-il à deux de ses collègues qui font écran, comblant le vide que le véhicule technique n’arrive pas à remplir. Sur les autres tronçons de l’avenue, même ambiance : rien que les ténèbres et le silence. Mais un spectacle étrange, vient pour ainsi dire casser la monotonie des trajets sur l’autoroute. Un couple qui semble avoir marché longtemps se montre près de l’ambassade d’Algérie. « Nous avons été contraints d’abandonner notre véhicule en panne», explique l’homme que nous nommerons Seydou. « Il est 22 heures passées de 45 minutes, trouver un mécano à cette heure de couvre-feu, c’est attraper la lune avec les dents ! », s’efforce-t-il de rigoler. Sa femme, elle, fatiguée par 45 minutes de marche, est contrainte à un laconisme certainement inhabituel. « Heureusement que nous sommes arrivés chez nous, c’est juste à une pâtée de maisons derrière l’ambassade, et puis il a dû porter son enfant lui-même, en tout cas, il va bien dormir ce soir », se moque-t-elle de l’homme qui semble être son mari. Qui avait entre les mains un bébé de quelques mois.
Des squatters imprudents- Retour sur la voie après cette brève conversation dans une ville rendue méconnaissable la nuit tant par le silence que par l’abandon le plus total. Quelques minutes à peine, le carrefour de Magnambougou nous surprend. Pourtant, on ne roule pas vite. Le trafic n’a jamais été aussi fluide ! Ici aussi, un énième check-point. Un personnel féminin armé se tient près du pick-up qui barre partiellement la route. Le reste de l’équipe est attroupé sur le bas-côté de la voie, dans une partie mal éclairée. Peut-être prennent-ils du thé ? « S’ils ne viennent pas vous contrôler, c’est que vous pouvez passer », nous dit sèchement la policière qui n’avait pas quitté sa position. Nous passons sans soumettre quelque document que ce soit, et c’est la deuxième fois de la soirée. Ce qui est sûr, on est loin du zèle, dont faisaient montre ces braves hommes et femmes en uniforme, les premiers jours du couvre-feu. « Ça se passe sans incident majeur pour l’instant », nous raconte un sergent-chef de la police à « l’entame » du pont des Martyrs. Sur l’avenue Mohamed VI qui scinde Djicoroni en deux, un tout autre décor : le calme est relatif. En plus, les lampadaires éclairent la voie, qui n’est pas aussi déserte que le sont l’avenue de l’OUA et celle de l’Yser. Sur les derniers tronçons avant le pont « Woyowayankô », curieuse foucade des ados ! Qui se livrent à un jeu dangereux, ils squattent la voie publique, abandonnée par les voitures. Les drôles n’ont jamais vu la voie très passante dans cet état d’abandon. « Le jour c’est le bouchon ici, à tout moment, le soir c’est un ballet de gros porteurs », résume Moussa Traoré, veilleur de nuit dans une station d’essence qui longe la voie. « Les enfants, explique-t-il, profitent donc, mais à leur dépens ». Il y en a qui se sont faits chopper hier par des policiers en civil, nous explique-t-il. Parmi la horde d’ados, les plus téméraires, comptant sur leur agilité apportent même des chaises. Mais ils détalent toujours comme des lapins emportant tout, à chaque fois qu’un faisceau de phare scintille de loin. Ils ont du mal, quand nous tentons de les approcher, à nous faire confiance, après le coup de filet de la police, la veille, qui n’était finalement qu’un coup de semonce. Puisqu’ils ont tous été relâchés après une séance de sensibilisation par la police. Ils savent que celle-ci ne blague pas, le respect du couvre-feu est obligatoire.
Khalifa DIAKITÉ
Source : L’ESSOR