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Bamako, Abidjan, Paris : Salif Keita, les combats d’une vie

Pour Salif Keita, la décennie 80-90 marque les débuts d’une ascension qui va le mener de Bamako à Paris en passant par l’étape très instructive de d’Abidjan.  Sorti de son pays, le Mali, par une porte dérobée, l’enfant de Badougou va y revenir à la veille de l’année 2000, en vrai héros. Un vrai parcours du combattant. L’auteur et le compositeur ont bien progressé entre-temps. Après les étapes du Buffet de la gare et du Motel de Bamako, le destin pousse Salif vers Paris. Comme nombre de ses acolytes artistes du monde francophone de l’époque, il veut être aussi du voyage. Sorte de terre promise pour les artistes, Paris est devenue au fil des ans, comme une capitale culturelle pour les musiques africaines. Ce sera la bonne porte qu’il lui restait à franchir pour faire le tour du monde, imposer sa voix et mener les combats à venir qui lui tiennent à cœur ; à commencer par la défense des albinos.

Le contexte politique du Mali qui  le pousse vers Abidjan, la capitale ivoirienne est digne d’un roman. Abidjan, c’était comme une autre étape dans la maturité de l’artiste. Ainsi, avec les Ambassadeurs du Motel,  Salif va encore gravir de nouveaux échelons. Pour l’histoire, l’orchestre a vu le jour en 1969, grâce à la volonté d’un lieutenant de l’armée malienne, Thiécoro Bagayoko. Le Motel auquel le nom du Groupe est collé est dirigé par un certain Ousmane Makoulou et appartient à l’Etat malien et était devenu le repaire nocturne de l’officier malien. « Et celui-ci de ce qu’on en raconte n’hésitait pas à faire vider la piste afin de pouvoir, selon Florent Mazzoleni, danser avec les filles de son choix qu’il invite à danser en tirant des coups de feu en l’air. » Cà aussi ce sera aussi une des rencontres du jeune chanteur. Baptisé « Les Ambassadeurs » en raison des différentes nationalités qui le composent, il a pris forme dès la fin des années 1960 autour de deux formations de Bouaké en Côte d’Ivoire : Les Eléphants noirs et l’Ophi. Pilier des Eléphants noirs, Moussa « Vieux » Sissokho dirige les musiciens du groupe avec son ami le trompettiste guinéen, Kabiné « Tagus » Traoré.  Ils seront rejoints par le chanteur sénégalais, Ousmane Dia, transfuge du Star band de Dakar, grand pourvoyeur de talent dans toute l’Afrique de l’ouest.

« Instituteur refoulé, argumente Florent Mazzoleni, Salif chante l’alphabétisation de son pays sur « Kibaru ». Il prouve qu’il peut s’investir d’une autre manière, grâce à son chant œcuménique, afin d’aider le pays à relever les défis qui sont les siens en route vers une modernité africaine et un certain progrès, aussi élusif soit-il.» Et avec lui, comme chanteur principal, « Les Ambassadeurs » sont invités en France en 1974 ; ce qui constitue une première pour un orchestre malien. Les Ambassadeurs logent Rue Mirha dans le 18 ème et donnent une poignée de concerts à l’invitation de la communauté des travailleurs maliens. Pendant qu’au Mali, la situation politique et sociale se dégrade, trois membres du groupe sont exclus, suite à leur séjour parisien au retour de Bamako. Le problème est qu’un commissaire politique chargé de rendre compte au gouvernement les accompagnait pendant le séjour. Le premier 45 tours du groupe paraît ainsi en 1975 sous le titre « Kanté Manfila/Les ambassadeurs » avec le même Kanté Manfila qui chante le morceau, « Les Ambassadeurs » alors que Salif interprète « Mana mana ».

En 1976, Les Ambassadeurs, le Rail Band et le National Badema ou officie encore le chanteur Kassé Mady Diabaté, sont invités en Guinée par le Président Sékou Touré. A cette occasion, peut-on lire, « Salif rencontre le chef de l’Etat guinéen. » Et, outre des concerts dans l’ex. Haute Volta, et à Abidjan, « Les Ambassadeurs » représentent le Mali au Festac, grand évènement culturel panafricain organisé à Lagos. C’est au cours de l’année 1977, que le Groupe fait le choix de se poser du côté d’Abidjan ; ville où le climat politique et culturel leur paraissait plus favorable. Au Mali, le président Moussa Traoré durcit son régime, et en 1978, le colonel Bagayoko est arrêté et emprisonné ; ce qui voit le prestige et la réputation du Motel se ternir. La suite est donc ponctuée par un départ du Groupe en direction de la capitale ivoirienne. Les débuts dans le pays du président Houphouët-Boigny, sont plus que difficiles. Tout part des turpitudes autour du départ du groupe de Bamako pour Abidjan. En effet, le 4 août 1978, date à laquelle, ils partent de Bamako, il a fallu toute la ruse d’un officier de police, (sans doute un grand admirateur) pour qu’ils échappent de la police malienne. La plupart des musiciens qui composent alors Les Ambassadeurs sauf l’organiste, Idrissa Soumaoro et le second bassiste Chaca Dama, décident de partir.
Derrière Manfila Kané et Salif, tout le reste suivra. A commencer par le saxophoniste  Moussa Cissokho, le guitariste Ousmane Kouyaté, le trompettiste Tagus, le batteur Nouhou Keita, le bassiste Sékou Diabaté, le balafoniste Kaba Kanté, tout comme les chanteurs comme Ousmane Dia et Sambou Diakité, ancien chanteur du Super Biton. Ainsi, raconte Florent Mazzoleni, « Le soir, ils sont accueillis à la frontière ivoirienne par le chef de brigade malien qui sacrifie un mouton et partage le méchoui  avec les musiciens, négligeant de répondre au téléphone. Après leur départ, tard dans la nuit, il finit par répondre : le ministre de l’Intérieur voulait les faire arrêter…» Fin du premier épisode de cette longue croisade pour les hommes plus engagés que sont devenus Salif et ses amis du groupe.

ABIDJAN : Les effets du miracle ivoirien

A leur arrivée, cependant, ils ne trouvent guère de débouchés, jusqu’à ce qu’un technicien, un ingénieur du son de la Radio télévision  ivoirienne, ne leur ouvre les voies d’un studio de manière clandestine, au mois d’aout de la même année. Les musiciens doivent ainsi entrer par une fenêtre dérobée, dans le studio, pour se faire enregistrer. « Exécuter en moins de deux heures, révèle la source, sur une console deux pistes grâce à la complaisance de leur ami Moussa Komara, les cinq morceaux enregistrés à cette occasion, comptent parmi les plus beaux albums réalisés en Afrique de l’Ouest au cours des années 1970. »

C’est dans ce contexte difficile que sort le morceau fétiche du groupe, « Mandjou ». Mais, conçu à Bamako, Mandjou est réduit à Abidjan à sa seule introduction et à quelques mesures aux accents de rumba qui laissent se déployer la voix de Salif Keita.

Ses envolées vocales s’inspirent de Wajan, un morceau de la musique malienne, Amy Koïta, enregistré à l’Ortm quelques années auparavant. « Guinéen exilé depuis une vingtaine d’années, raconte l’auteur de cette enquête, Manfila Kanté, est à priori réfractaire à cause de son départ, chanter la gloire du Président guinéen Sékou Touré, mais Salif réussit à imposer à Kanté, de garder le nom du morceau. « Mandjou » est d’ailleurs un des surnoms pour l’époque de la famille Touré, célèbre dans tout le pays mandingue surtout depuis les exploits de l’Almamy Touré et des coups d’éclat de Sékou Touré ? Il désigne l’illustre famille à laquelle appartient le Président guinéen. »  C’est encore dans ce même contexte que Manfila Kanté part presser les matrices de cette trouvaille à Cotonou, au Bénin et l’écoute du morceau par les distributeurs à Abidjan et Cotonou, est un grand succès.

Tout le monde sur la scène musicale ouest-africaine veut publier le monumental « Mandjou ». L’album paraîtra finalement sous le petit label « Amons Productions » à la fin de l’année 1978. Avec une pochette présentant le groupe en ces termes : « Les sept membres de l’ancien groupe « Les Ambassadeurs international du Motel de Bamako », réunis sous le nom des « Ambassadeurs Internationaux » vous présentent leur premier volume, qui, à tout point de vue, bercera les mélomanes.»

L’album sera réédité immédiatement en 1979 sous le label  ivoirien Badmos en échange d’instruments pour tout le groupe mais sans contrat de droits d’auteur. Le succès de ce morceau est instantané, que ce soit à Abidjan, Conakry, Bamako, Cotonou, Ouagadougou ou à Dakar. « Mandjou » triomphe et avec lui, un nom désormais connu : celui de Salif Keita. Une vraie revanche sur son histoire personnelle et sur la vie. Au dos de la pochette, il est surnommé, le «  Domingo » de la chanson malienne, en référence à son homonyme Salif Keita, joueur de football à Saint-Etienne puis à l’Olympique de Marseille et dans le club espagnol de Valence, finaliste de la Can 1972 au Cameroun devant le Congo, futur vainqueur.

Pour les connaisseurs, l’album est un véritable tour de force avec les congas qui jouent le motif du son montuno et des cuivres qui esquissent quelques arabesques latines tout en étant solidement ancrés dans la roche rouge du pays mandingue. L’orgue emprunte aussi par moment, quelques contretemps reggae et donne à ce titre, une universalité immédiate au groupe.

SALIF ET SEKOU TOURE : Tel un père… Un ami

Une vie faite de rencontres qui l’ont forgé, c’est ainsi cela Salif Keita.  Et parmi elles, une qui ne laissera pas indifférents ses fans : celle avec le premier Président de la République de Guinée, Ahmed Sékou Touré. Comme l’ancien ambassadeur Falilou Kane, qui raconte dans son livre, « Vue d’aigle sur la diplomatie sénégalaise », sa rencontre avec le député de la Guinée (le même Sékou Touré), dans les années 1950 lors d’une grève des élèves du lycée Van Vollennhoven, dont il était le porte parole, ( rencontre qu’il n’a jamais oublié), l’amitié de Salif Keita avec l’ homme de culture qu’a été Sékou Touré,  se réalise à la suite de l’interprétation du chanson qui est encore appréciée par les connaisseurs, « Mandjou ». Tout jeune, le garçon est bercé par les mélopées de l’orchestre guinéen le plus connu, le Bembeya Jazz avec son chanteur, Aboubacar Demba Camara.

Le morceau comble ainsi le président guinéen, en pleine difficulté dans sa diplomatie et avec certains de ses voisins dont le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Et, à l’issue de la tournée « Des Ambassadeurs internationaux », dans son pays, le président guinéen, invite le jeune chanteur à rester quelques jours en Guinée. Les deux hommes se connaissent et s’apprécient. Et, le voila qui est décoré de la médaille d’officier de l’Ordre national guinéen et il reçoit un passeport diplomatique. « Mandjou », deviendra par ailleurs, l’hymne officieux du président Sékou Touré. A la manière de l’autre grand chanteur pour l’époque, Sory Kandia Kouyaté, Salif vient de toucher l’âme sensible de cet homme qui aime la culture mandingue et sera resté toute sa vie, un de ses plus grands défenseurs et promoteurs.

Mandjou dégage une incroyable confiance avec le sentiment que « Les Ambassadeurs » ont enfin trouvé une cohésion et une expression musicale enfin ressoudées autour du génie Salif Keita et de son ami Manfila Kanté. Le président Sékou Touré apprécie à un tel point « Mandjou » qu’il s’inscrit à merveille dans son idée de folklore modernisé avec en plus un caractère laudateur qui n’est pas pour lui déplaire. Il demande à Salif de lui écrire d’ailleurs un autre morceau ce que ce dernier refusera gentillement. En argumentant que sa liberté d’artiste ne s’attache pas ; même pour celui qu’il qualifie de « grand homme ».

A sa mort le 26 mars 1984, Salif Keita n’hésite pas cependant à déclarer : «  Jamais un Chef d’Etat n’a fait autant pour la musique »…

UN DERNIER DEFI, LE COMBAT POUR LES ALBINOS

C’est fort de cette reconnaissance qui le rattrape, qu’il décide de s’engager dans le combat pour la défense des albinos dans le monde à travers l’association qu’il va créer et qui va s’appeler « Sos Albinos » basé à Montreuil. La boucle semble bouclée. Entretemps, un Mango revisite sous la forme d’un remake, le morceau fétiche «  Mandjou » avec un Cheikh Tidiane Seck inspiré et égal à lui-même aux claviers. Suivra « Folon », enregistré par Mango entre Paris et Londres. Un album fou. Un hommage à Mandela y est composé tout comme un morceau qui va marquer les esprits «  Nyanyama » ; mais encore un autre hommage à son ami Seydou Bathily, grand couturier disparu brutalement. Chose émouvante, sur la pochette, se trouve une nièce du chanteur, Nantenin Keita, photographiée par Matthew Donalson. Sa fille albinos comme lui, portera le même nom.

Le portrait a le mérite de montrer une image paisible des albinos au Mali  et ailleurs en Afrique. L’album « La Différence » produit par Universal Jazz et sorti en 2009, s’inscrit dans cette mouvance. C’est un autre des chefs d’œuvre du maître.

PARIS, DEBUT DES ANNEES 1980 : Une victoire sur lui-même et la reconnaissance

Le début des années 1980 marque ainsi l’ascension du groupe. Mais, la présence à Abidjan est aussi un moment où d’autres groupes mandingues ne cessent de monter. Mory Kanté qui a quitté le Rail Band est aussi à Abidjan. Ville où il y a aussi un certain Alpha Blondy qui chante également en malinké et en Dioula la langue du nord de la Côte d’Ivoire, une autre forme de musique, le reggae. Si on y ajoute d’autres groupes comme Rail band qui résiste et survit au Buffet de la Gare, mais encore comme les Sofa de Camayenne et encore, il faut songer à aller de l’avant.

Les Ambassadeurs devenus internationaux depuis leur escale à Abidjan, n’en démordent pas. Les voilà autour du guitariste Ousmane Kouyaté, et le chanteur Sambou Diakité, qui sortent en 1982, un nouvel album enregistré dans le studio JBZ dans la capitale ivoirienne. « C’est alors, dit l’auteur Florent Mazzoleni, le nec le plus ultra en matière de studio d’enregistrement africain.» Djougouya, «la méchanceté» en bambara est un titre assez étrange aux accents de jazz, avec des nappes de synthétiseurs et le solo de saxophone. Mandjoulon et le reggae mandingue synthétique de Bara Willié sont dans le même esprit.

Sommet absolu de l’album selon Mazzoleni, chanté par Sambou Diakité, Wassolon foli s’ouvre sur des percussions cubaines avant de laisser la place à une section de cuivres dont les rifs supportent la mélodie.» «Les influences de Fela de l’Afrobeat sont évidentes. Salif renaît ici comme le phénix et survole magnifiquement la pop africaine du début des années 1980. Il est temps pour lui, désormais, de passer  à la vitesse supérieure, conclut Mazzoleni, et de chercher la consécration au-delà des frontières d’Afrique de l’Ouest. Comme d’ailleurs la majorité des artistes d’Afrique francophone, son salut passe inévitablement par Paris. »

Salif à Paris, c’est comme qui dirait comme l’écrivain ivoirien Bernard Dadié, « Un nègre à Paris ». Mais, le contexte est différent de celui de l’auteur du livre de poche « Le pagne noir ». Le chanteur voit son horizon professionnel se remanier et changer en finesse et en profondeur. Le climat est favorable. Et, le Paris du milieu des années 1980, voit arriver beaucoup d’artistes maliens comme Zani Diabaté, Kassé Mady, Abdoulaye Diabaté et d’autres restés au pays comme Ali Farka Touré qui prennent leur essor international grâce à des labels comme Hannibal, Mango ou World Circuit. Eux aussi sont sur Paris.
Mais, ce Paris là, ce sont aussi  des producteurs audacieux et de talents comme Ibrahima Sylla (Syllart productions), Mamadou Konté, ou Nick Gold. C’est le pallier suivant qu’il fallait à des gens comme Salif Keita ou Mory Kanté, pour franchir un autre cap dans leur vie de musicien. Pour le premier, l’album « Soro » va marquer comme « Mandjou » à Abidjan, une étape refondatrice. Au même moment, des albums sous forme de disques et de cassettes des Ambassadeurs du Motel et des Ambassadeurs Internationaux, édifiés par Sonafric, six années plus tôt, sont disponibles en France.  Au mois de mai 1984, le même Salif Keita est invité au Festival pionnier Jazz en France.

Ce festival deviendra par la suite, les« Musiques métisses d’Angoulême ». Le chanteur est demandé sur scène un peu partout en Europe. Il commence à donner des concerts sous le nom des « Super Ambassadeurs » avant d’être rejoint sur scène par son inséparable arrangeur et ami, Manfila Kanté. En 1985, il est invité à chanter lors d’un grand évènement pour la libération de Nelson Mandela. Il va retrouver une fois encore sur scène Manfila Kanté. Un an plus tard, Salif Keita signe la bande originale du Yeleen, du réalisateur malien Souleymane Cissé, premier film africain primé au Festival de Cannes.

A Paris, l’ancien leader des Ambassadeurs, retrouve aussi un homme qui va changer son destin, le Sénégalais Ibrahima Sylla. Ce dernier s’occupe du Magasin de  disque Kubaney à Paris en ce moment et c’est avec lui qu’il va signer un premier contrat de production. Nous sommes en 1983. A l’automne 1986, l’envie de voler désormais de ses propres ailes, le tente et le voilà qui par l’intermédiaire de Mamadou Konté (Africa fêtes), prêt à devenir quoi qu’il arrive, un pionnier des musiques du monde.

L’Europe est en demande de sons exotiques et l’ère est au Marché africain des arts et du spectacle (Masa). Avec Beatrice Soulé qui s’occupe de la coordination et des éditions musicales, il rencontre François Bréant qui se décide à produire « Soro » né de ce fait et qui va devenir un album culte. « Soro » est enregistré au studio Harry Son sur une console de 48 pistes. Salif compose les six morceaux de l’album qui sort finalement chez EMI/Pathé Marconi et chez Island en 1987.

Exilé lui aussi à Paris, un musicien de talent au clavier se joint à ce disque. Il s’appelle Cheikh Tidiane Seck et il est malien comme Salif. Il participe à quelques parties de claviers avec aux arrangements François Bréant, mais encore Jean Phillipe Rykiel qui arrange trois titres « Wamba », « Cono », et « Sanni », morceau dédié à son père. Sommet de ce disque, « Cono » ( Oiseau en langue mandingue ou for intérieur, au figuré). Avec cet album, le musicien surfe parfaitement sur la vague émergente  dopée par la révolution numérique, le CD.

LA DECENNIE 1990-2000 : L’APOTHEOSE : «Amen», «Folon», «Mofou» , une voix et des  chants d’éternité

Les années 1990 et le début des années 2000 sont abordés dans une totale confiance en l’avenir pour l’homme du monde qu’est devenu au fil du temps, Salif Keita. Oublié son passé d’enfant albinos. Oublié son rêve d’instituteur barré de la liste des élèves admis au poste d’enseignant pour cause d’albinisme. Oublié, la période de misère des débuts. L’homme minimise et savoure la vie à pleine voix.

En 1990, c’est la forme d’un documentaire titré « Salif Keita, Destiny of a Noble Outcast » qui va encore accroître son audience dans le monde et dans les pays anglo-saxons. C’est dans cette foulée qu’il rencontrera le guitariste Carlos Santana qui dira de lui, « C’est la plus belle voix que j’aie jamais entendue ». Et, en 1991, il part enregistrer à Los Angeles un album formidable « Amen » sous la houlette du producteur Joe Zawinul, légendaire clavier jazz d’origine autrichienne et fondateur de Weather Report. Pionnier  du jazz rock fusion, Zawinul  est aussi un grand utilisateur des synthétiseurs qu’il a très tôt intégrés au Jazz en mouvement  des années 1970 alors qu’il accompagnait la révolution électrique initié par Miles Davis.

Le résultat sera une vraie réussite pour les musiques mandingues. Avec Salif, le personnel de l’album « Amen » est un des plus complets qu’on pourrait avoir sur une scène mondiale. Joe Zawinul produit Santana qui joue de sa guitare. Wayne Shorter signera les arrangements des cuivres alors que Paco Séry  tient la batterie. Manfila est aussi au cœur de l’album. Sur les huit titres, des morceaux plus savoureux les uns que les autres,  « Nyanafin », « Waraya », « Mali Denou » sont des titres qu’on écoute partout. Mais nul doute que l’un des sommets reste, le morceau fétiche « Lony », « bastonné » dans toutes les radios, platines, discothèques ici comme ailleurs dans le monde comme dirait Alain Amobé Mévégué « Plein sud » à l’époque sur Rfi et aujourd’hui au cœur de l’émission « Africanités » sur la Chaine francophone TV5.

Et, c’est le plus naturellement du monde que Salif Keita est décoré par Jack Lang de la Médaille de Chevalier des Arts et des Lettres en janvier 1992, lors d’une cérémonie qui lieu au Midem à Cannes. Depuis le Camerounais Francis Bébey, c’est le premier artiste africain qui reçoit un tel honneur en France. Le mois suivant, il est nommé au Grammy Awards aux Etats Unis  dans la catégorie meilleur album de musique du monde. Une année auparavant, le voilà déjà qui compose la musique du film « L’enfant lion » de Patrick Grandperret en compagnie de Steve Hillage. En 1994, c’est Mango qui va encore ajouter au parcours de l’homme à la voix, avec la publication d’une anthologie des quatre albums produits pendant les sept années de collaboration entre le label et l’artiste. Et ce ne sera pas tout.

Un autre grand album suivra titré «  Papa » en hommage à son père décédé quatre ans plus tôt. 1999, et l’an 2000 pointe à l’horizon. Produit par Vernon Reid, c’est aussi un très bel album qu’il faut savoir écouter et apprécier. Il va d’ailleurs dédier un autre titre de ce disque à un de ses amis, Sada Diallo qui vient de mourir. «Papa » pour Salif Keita, est un album bilan qui le met en face de lui-même. Il a 50 ans  et comme sur un ouf d’émotion et de nostalgie, il dira, « Ce disque est comme le livre de ma vie car des évènements importants m’ont profondément marqué au cours des années écoulées. » Cet album sera, une fois encore, sélectionné aux Grammy Awards.

Mais cette année 1999, sera aussi celle du retour aux sources et au pays de l’enfant de Badougou, après plus d’un quinzaine d’années passées à Paris. En 2001, le voila qui signe chez Universal Jazz sous la direction de Daniel Richard et de Patrick Votan. C’est dans cette ambiance que sort  au mois de mars 2002, un de ses albums qu’on écoute tout le temps et partout, vous avez dit « Mofou ». Le terme désigne une petite flûte traditionnelle mandingue fabriquée  à partir d’une tige  de mil dont se servent les cultivateurs  pour chasser les oiseaux de leurs champs. Salif renoue comme disent les spécialistes, avec ses racines acoustiques.

Florent Mazzoléni de souligner, «Complètement organique, avec des lignes de basse graçieuses jouées par Guy N’sangue, Moffou, est l’un des grands disques africains de la décennie 2000 aux cotés de ceux de ses collègues maliens Ali Farka Touré, Toumani Diabaté, Bassékou Kouyaté. Produit par Jean Lamoot qui collaborera notamment avec Alain Bashung, la Mano Negra, ou Noir Désir, cet album est le témoin d’un retour au pays natal et aux influences traditionnelles. » Au sommet de son art, les connaisseurs disent que le plus bel instrument de l’album reste sans doute Salif et sa voix ; «  tour à tour caressante, impérieuse ou méditative, mais toujours porteuse d’un chant de l’âme inouï. »

« Le céleste « Moussolou » (les femmes), est un autre chef-d’œuvre d’introspection », écrit encore l’auteur. Tout comme le duo avec la dame aux pieds nus, la Cap-Verdienne,  dans le morceau « Yamore ».  Salif dira d’ailleurs à Francis Dordor, journaliste au Magazine « Les Inrockuptibles, «  Je n’avais jamais parlé de ma vie sentimentale dans mes chansons. Si je le fais aujourd’hui, c’est qu’avec l’âge, j’ai pris du recul, je me rends compte aussi que j’ai parfois mal interprété les comportements. Je pense que des femmes m’ont sincèrement aimé et dans ces chansons, à ma manière, je leur demande pardon de n’y avoir pas cru… »

 

Mame Aly KONTE

Sud Quotidien

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