L’opposition malienne en est convaincue que les modifications apportées au Code des collectivités territoriales amorçent la partition du Mali.
Mais pour le gouvernement et les groupes signataires de l’accord de paix, il s’agit d’une avancée dans la mise en œuvre de celui-ci. Malgré le battage médiatique autour de la question, peu de Maliens reconnaissent avoir compris les enjeux de cette nouvelle mesure.
« Je ne comprend rien à cette histoire. Il y a tellement d’informations que l’on s’y perd ! » Fousseyni Sidibé, employé de bureau, résume le point de vue de nombre de Maliens sur la question des autorités intérimaires. « Pourtant c’est très simple », rétorque le secrétaire général du ministère de la Décentralisation et de la Réforme de l’État (MDRE), département principalement en charge du dossier.
« L’Accord de paix prévoit d’améliorer la gouvernance des collectivités et de permettre, en attendant que des autorités légales ne soient installées, la mise en place d’autorités intérimaires, en charge, avec le représentant de l’État dans la zone concernée, de relancer le fonctionnement administratif, la fourniture des services sociaux aux populations, mais aussi de préparer de nouvelles élections », explique Adama Sissouma.
La controverse provient, selon lui, d’un déficit d’information et de communication afin que l’opinion publique comprennne mieux la chose. « Auparavant, il y avait des délégations spéciales. Mais elles étaient limitées, tant par leur composition que par leur mandat. La modification du texte permet de corriger cela », poursuit-il.
Arguments contre arguments
L’opposition, unanime dans son refus d’accepter le nouveau texte, a tenu avant son passage à l’Assemblé nationale, à alerter l’opinion sur les risques qu’il fait courir, selon elle, à l’intégrité territoriale du Mali. Djiguiba Kéïta, dit PPR, secrétaire général du PARENA, s’insurgeait au lendemain du vote de la loi le 31 mars, contre « le manque de lucidité de la majorité suiviste qui veut nous amener à la partition du pays ».
En gros, comme le résume le chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, « on va enlever les élus de certaines localités pour les remplacer par les gens désignés par la CMA », situation qui pourrait amener des tensions, voire une reprise des hostilités dans les localités concernées où l’État est absent depuis plus de quatre ans.
C’est justement ce dernier argument que le ministre de la Décentralisation, Mohamed Ag Erlaf, a utilisé lors d’une interview accordée à l’Essor, pour expliquer le bien-fondé de cette mesure. « L’autorité intérimaire aura les attributions du conseil dans tous les domaines, sauf celui de contracter des emprunts, de recruter de nouveaux personnels et de prendre des engagements financiers qui ne sont pas inscrits dans le budget de la commune », explique le ministre pour qui, en plus d’entrer dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord d’Alger, les nouvelles dispositions confortent le processus de décentralisation dans lequel le Mali s’est lancé depuis 20 ans et qui fait actuellement l’objet de réformes.
Il assure que les préoccupations de l’opposition ont bel et bien été prises en compte puisque contrairement à sa première mouture, le texte adopté a élargi la possibilité d’installation d’autorités intérimaires à toutes les collectivités du Mali, et non plus uniquement à celles des régions du Nord. Les groupes armés ont affirmé leur adhésion et les tractations sont en cours pour l’effectivité de cette mesure, qui a été saluée ce 5 avril par Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint de l’ONU en charge des opérations de maintien de la paix, lors de la présentation à l’Assemblée générale des Nations unies du rapport de Ban Ki-Moon sur la situation au Mali.
Lire entre les lignes ?
On est donc tenté de se demander pourquoi cette polémique, qui traduit une certaine inquiétude, ne s’estompe pas malgré toutes les explications. Pour le sociologue et spécialiste du nord du Mali, Naffet Kéïta, « l’annexe 1 de l’Accord de paix, qui porte sur les réformes institutionnelles et politiques, n’indique pas que ces autorités intérimaires doivent jouer le rôle des conseils communaux », ajoutant qu’il est plutôt question d’associer les différentes composantes des communautés à la gestion, en les incluant par exemple dans un conseil existant. « Leur donner prérogatives de Conseil, c’est sortir de l’accord », conclut-il.
« Au sein de la CMA comme de la Plateforme, la guerre de positionnement a déjà commencé. Des noms circulent et chaque mouvement entend bien s’assurer une présence confortable au sein de ces instances qui devront diriger les collectivités de Kidal », explique un habitant de la ville. « Même les chefs traditionnels, les religieux, tout le monde est en ébullition ici » poursuit-il. Le Forum, qui s’y est déroulé du 28 au 31 mars devait d’ailleurs sceller les ententes autour du partage du pouvoir de l’accord d’Anéfis.
Mais le fait que la CMA s’y soit finalement retrouvée seule, et qu’elle discute désormais avec Bamako pour la mise en place des autorités, n’est pas un bon présage, selon l’analyse de Naffet Kéïta, qui estime que « s’ils ne se sentent plus liés par l’accord d’Anéfis, ce n’est pas une bonne chose pour le processus de paix ». La CMA a en effet posé comme condition à la tenue d’un nouveau forum avec la Plateforme et le gouvernement, l’installation des autorités intérimaires. On se demande donc comment va se faire la désignation des membres de ces instances, et surtout comment va se passer la cohabitation entre les différentes composantes…
Existe-t-il un risque de voir les groupes armés, finalement mettre en œuvre l’accord d’Anéfis et exercer un pouvoir exclusif sur les collectivités concernées, mettant en minorité les représentants de l’État ? Cette inquiétude est elle aussi balayée par le ministère de la Décentralisation, où on estime que « l’accord de paix et le code modifié encadrent bien les prérogatives et que l’objectif de la mise en place de ces collèges transitoires est justement de réinstaller, de manière durable et participative, l’État dans les zones où il est absent ».
La durée extensible du mandat de ces autorités est également sujet à questions, le texte stipulant que le collège intérimaire « restera en place tant que les circonstances l’exigent, jusqu’à l’installation des nouveaux conseillers »… Dès lors qu’ils se partageront le pouvoir local, les groupes armés auront-ils intérêt à favoriser l’organisation d’élections ?
L’opposition n’entend pas en rester là et demande que le gouvernement ouvre les discussions sur ces mesures, voire retourne à l’Assemblée pour un réexamen du texte. À défaut, « si les conditions de saisine de la Cour constitutionnelle sont réunies, nous allons la saisir. […] La résistance à cette loi devient un devoir pour tout patriote, tant l’injustice qu’elle crée, la place exorbitante qu’elle donne à la CMA et à la Plateforme est inacceptable ». « L’opposition est dans son rôle de critique de l’action gouvernementale.
Mais nous devons avancer. Nous avons proposé une formule qui nous permet de le faire et l’Assemblée nous a suivi, c’est cela l’essentiel », répond encore le secrétaire général du MDRE, qui assure que la détermination des collectivités concernées est en cours. Il s’agira de dresser le constat de la présence effective ou non d’un Conseil de collectivité, et de définir s’il y a lieu de le remplacer par une autorité intérimaire ou pas. « Tout est mis en œuvre pour que cette étape soit franchie dans les plus bref délais », conclut-il.
Célia d’ALMEIDA
Source: Journal du Mali