Aux audiences de la Cour d’assises du lundi 7 septembre 2020, il y avait trois affaires à juger. Mais deux ont été renvoyées pour absence d’avocats défenseurs. Seule l’affaire Souleymane Camara (poursuivi faux et usage de faux) a été tranchée. Absent à l’audience, l’accusé a été condamné par contumace à 10 ans de réclusion, au remboursement de 2 585 000 Fcfa et au paiement du franc symbolique.
L’affaire opposant Baba Moulaye Haïdara à Souleymane Camara est une chronique judiciaire rocambolesque.
Le film de cette affaire !
Dans l’arrêt de mise en accusation et de renvoi devant la Cour d’assises, il est expliqué que courant 2010, lors d’une réunion politique chez Ben Fana Traoré, Baba Moulaye Haïdara et Souleymane Camara (deux hommes d’affaires) ont fait connaissance et vite sympathisé avant de s’établir une grande confiance mutuelle. C’est ainsi que Souleymane Camara a exposé ses divers projets en cours à Baba Moulaye Haïdara, notamment, un projet de transport, un projet industriel et un projet de logements sociaux sur le site de Banancoro.
Vu que pour le dernier projet, Souleymane Camara avait besoin de financement, les deux associés ont essayé plusieurs banques et partenaires dans ce but.
Par la suite, vu que Souleymane Camara est un promoteur immobilier, Baba Moulaye Haïdara a partagé avec lui un projet agricole qu’il comptait mener à Makono, dans la commune rurale de Bancoumana où il avait 60 hectares de terre.
Les deux hommes ont donc commencé à travailler sur le projet en créant la société Saproza-sa dans ce but. Souleymane Camara n’a pas participé au capital de la société, mais s’est vu allouer 20 % du capital. Il devait s’occuper de la conception, la recherche de financement et la mise en œuvre du projet. Vu que les spécialistes auxquels ils avaient fait recours avaient demandé une somme de 100 millions Fcfa, trop élevée pour eux et pour faciliter les choses à Souleymane Camara le temps que son projet de logements sociaux démarre, Baba Moulaye Haïdara lui avait fourni un bureau temporaire dans les locaux de son entreprise BMA-sa international et lui faisait des facilités financières, sous forme de prêt, même si Souleymane Camara soutient plutôt qu’il s’agissait de dépenses faites dans le cadre du projet agricole.
Leur capacité à mobiliser les fonds pour faire démarrer leur projet a fini par faire dégénérer les rapports entre les deux hommes, qui ont commencé à se méfier l’un de l’autre. Souleymane Camara a pensé que Baba Moulaye Haïdara voulait piloter son projet de logements sociaux et ses ressources et que le projet agricole n’était qu’une manière de le garder sous la main. Haïdara a pensé que Camara ne lui a présenté que des projets chimériques, pour l’appâter et profiter de lui financièrement. Chacun a perçu tout acte de l’autre comme une provocation au point où, finalement, l’atmosphère est devenue très tendue entre eux, au sein des bureaux de BMA-sa international. Ainsi donc, en janvier 2018, face à l’agressivité de plus en plus poussée de Souleymane Camara au bureau qui appartenait à BMA-sa pour qui il ne travaille pas, Haïdara, avant le départ de Camara le 12 février 2018, a réclamé à ce dernier les diverses avances mensuelles qu’il percevait à BMA-sa dont le total s’élevait à 2 585 000 Fcfa.
Vexé, Camara a libéré les lieux le vendredi 16 février 2018 au matin et l’après-midi il a envoyé un mail à Haïdara avec une copie d’une reconnaissance de dette de 25 millions Fcfa sur papier en tête de la société BMA-sa, censée émaner de Haïdara dont il demande le remboursement dans un délai maximum d’un mois.
A l’analyse du document, Haïdara a réalisé que c’est un faux sur lequel sa signature et son cachet sont scannés et imités. Il porte donc plainte contre Souleymane Camara à la Brigade d’investigation judiciaire de la Police où une enquête fut ouverte et le Procureur de céans a par la suite été saisi. Celui-ci a engagé des poursuites contre Camara pour faux et usage de faux puis escroquerie sur la base des articles 102, 103, 104 et 275 du Code pénal. Avant de saisir le Juge d’instruction où une information a été ouverte contre lui, du chef de ces infractions, Souleymane Camara a été poursuivi pour escroquerie au visa de l’article 275 du Code pénal, pour avoir fait usage de projets et plans d’affaires fictifs et de mensonges caractérisés pour appâter Baba Moulaye Haïdara et lui faire croire à un crédit imaginaire pour lui soutirer une partie de sa fortune.
Selon l’article 275 du Code pénal, l’escroquerie suppose l’usage d’un faux nom, d’une fausse qualité ou l’usage de manœuvres frauduleuses ou de mensonges caractérisés ou autres pour se faire remettre des fonds, des titres, objet, entre autres, ou encore faire naître une espérance ou une crainte chez autrui dans le même but. Le même article réprime également la tentative de cette infraction.
Les dénégations de Souleymane Camara
Tout le long de l’instruction, Souleymane Camara a nié les faits reprochés à lui. Il a soutenu qu’il a des projets bien ficelés qu’il pilote lui-même et qu’il n’a parlé de ses projets à Haïdara que comme ami. Sinon, a-t-il avancé, Haïdara n’a jamais été impliqué dans ses projets personnels et qu’il ne l’a nullement aidé à avoir des partenaires financiers. Il a fait savoir que son projet de 300 logements sociaux que Haïdara traite de fictif a été définitivement signé avec l’Omh et est même en phase d’exécution. En réalité, a-t-il dit, Haïdara visait ce projet et ses fonds. Et c’est quand il a compris qu’il n’aura pas le contrôle dessus qu’il a changé de comportement vis-à-vis de Haïdara qui comptait sur les ressources de son projet de logements sociaux pour financer la mise en œuvre du projet agricole de Saproza. Il a déclaré que Haïdara ne lui a jamais donné d’argent ou fait des prêts à titre personnel et la somme de 2 035 000 Fcfa (2 585 000 Fcfa selon Haïdara) est le cumul des sommes allouées pour le déplacement des techniciens sur le site de Makono. Et la signature apposée sur la reconnaissance de dettes faites dans ce sens n’est pas la sienne.
Haïdara a soutenu que les projets de Camara sont fictifs et qu’il lui a fait croire à son expertise avérée dans la conception et la mise en œuvre de projets pour l’amener à ouvrir avec lui la société Saproza-sa pour laquelle tout était sur son dos finalement. Et il a compris que Souleymane Camara les a utilisés pour l’appâter et se faire entretenir par lui. Pour lui, Souleymane Camara n’est qu’un usurpateur qui sait assoir sa confiance auprès des gens pour mieux en profiter. Des déclarations concordantes des deux parties, il ressort que plusieurs projets ont été présentés par Souleymane Camara à Baba Moulaye Haïdara, les deux hommes n’ont collaboré que sur deux projets, à savoir le projet des 300 logements sociaux et leur projet commun agricole à Makono. Et Haïdara lui-même a confirmé avoir participé à la recherche de partenaires financiers pour Camara pour son projet de logements sociaux et avoir vu la convention définitive signée par l’Omh. Les pièces du dossier prouvent sans équivoque l’existence de ce projet.
Dans ces conditions, ce projet ne saurait être qualifié de fictif et cet argument a été écarté. Le projet agricole de Makono est le projet personnel de Haïdara qui, plus tard, a été rejoint par Camara à la demande de Haïdara pour créer une société dans ce but, de sorte que cet argument également ne saurait prospérer.
Enfin, les remises d’argent, 2 585 000 Fcfa selon Haïdara et 2 035 000 Fcfa selon Camara relèvent des dires mêmes de Haïdara de prêts de 200 000 Fcfa mensuels, consentis volontairement par lui à Camara pour lui permettre de subvenir aux besoins de sa famille, en attendant le démarrage de son projet personnel. Cela démontre que la remise de ces sommes ne participait pas d’un aspect malicieux ou de l’usage de tout autre mensonge ou manœuvre de Camara pour l’avoir. Cela ôte donc tout caractère pénal à ces remises de fonds.
L’attribution d’un bureau temporaire à Camara dans les locaux de BMA-sa international, l’entreprise de Haïdara, procédait de la volonté de ce dernier de le mettre en condition pour travailler sur leur projet agricole commun. Et de tout ce qui précède, il ne résulte point de charges suffisantes contre Souleymane Camara, par rapport à la prévention d’escroquerie retenue contre lui. Et les conditions d’application de l’article 275 du Code pénal n’étant pas réunies à son encontre, il sied de déclarer n’y avoir lieu à suivre à son encontre de ce chef d’inculpation d’escroquerie, en vertu de l’article 182 du Code de procédure pénal.
Les preuves contre Souleymane Camara
Souleymane Camara était également poursuivi des chefs d’inculpation de faux et usage de faux. Selon l’article 102 du Code pénal, le faux suppose l’altération de la vérité dans un écrit avec intention coupable. Il est reproché à Souleymane Camara d’avoir établi une fausse attestation de reconnaissance de dette imitant par scanner la signature et le cachet de Baba Moulaye Haïdara pour constater à son profit une créance de 25 millions Fcfa due par celui-ci. Puis d’avoir fait usage de ce document pour réclamer ladite créance. Haïdara a produit en la cause ledit document ainsi que le mail par lequel Camara lui réclame son paiement et les actes d’huissiers tendant au recouvrement de la somme.
Souleymane Camara a contesté tout caractère de faux à ce document. Il a expliqué que c’est après sa démission et avoir mis fin à toute collaboration avec Haïdara que ce dernier a établi le document pour le lui donner après une médiation, pensant ainsi le ramener. Le document constate effectivement le montant de 25 millions Fcfa convenu entre Haïdara et Camara pour la conception, la recherche de financement et la mise en œuvre du projet agricole de Saproza-sa. Les explications de Camara mettent à nu certaines incohérences et contradictions. Il a soutenu que c’est après son départ que Haïdara a établi le document pour lui donner. Ce qui est invraisemblable car il n’avait aucune preuve de cette créance et ce n’est donc pas au moment où tout va mal entre eux et il est parti que Haïdara va de sa propre initiative faire une reconnaissance de dette pour la lui remettre. Ensuite, il n’a point pu produire les témoins qu’il soutenait avoir et qui pouvaient attester de l’établissement du document par Haïdara pour lui remettre, malgré les 3 mois qui lui ont été laissés pour cela. Par ailleurs, Souleymane Camara n’a point justifié l’obtention du financement et la mise en œuvre du projet Saproza-sa qui a même été suspendu faute d’investisseurs. Or, il prétendait que la somme de 25 millions Fcfa était sa rémunération pour ses prestations. En droit, les obligations contractuelles sont synallagmatiques dans ce cas d’espèce. Camara n’a nullement pu produire l’original de la reconnaissance de dette de 25 millions Fcfa qu’il affirme détenir et n’a non plus pu produire la copie du mail par lequel il a soutenu que Haïdara lui a envoyé le document. Par ces motifs, Souleymane Camara a été retenu coupable de faux et usage de faux et renvoyé devant la Cour d’assises pour y être jugé. Absent à l’audience, il a été condamné par contumace à 10 ans de réclusion, au remboursement de 2 585 000 Fcfa et au paiement du franc symbolique.
Siaka DOUMBIA
Source: Aujourd’hui-Mali