Dans le village peul d’Ogossagou, 150 personnes ont été tuées samedi. Retour sur un conflit entre deux ethnies exacerbé par les mouvements jihadistes.
«Il y a deux ans, j’aurais affirmé qu’un tel massacre était impensable dans le contexte malien», avoue Aurélien Tobie, chercheur au Stockholm International Peace Research Institute (Sipri). Samedi, en quelques heures, plus de 150 civils maliens ont été tués dans le village d’Ogossagou, près de la frontière avec le Burkina Faso. Hommes, femmes et enfants ont été assassinés, parfois égorgés, brûlés, jetés dans des puits ou ensevelis dans des fosses communes. Tous appartenaient à l’ethnie peule. Jamais depuis la fin des combats de l’opération Serval, déclenchée par François Hollande en 2013 pour déloger les jihadistes des villes du Nord-Mali, le pays n’avait connu une attaque aussi meurtrière. Le Président, Ibrahim Boubacar Keïta, s’est rendu lundi dans le village dévasté.
Qui est à l’origine de l’attaque ?
Ogossagou est situé dans une zone où cohabitent Peuls et Dogons. Depuis un an et demi, les deux communautés sont engagées dans un cycle de violences et de représailles de plus en plus radicales. Les associations peules ont accusé la milice dogon Dan Na Ambassagou d’être à l’origine de la tuerie. Celle-ci a démenti toute implication.
A l’issue d’un Conseil des ministres extraordinaire convoqué dimanche, le gouvernement a prononcé la dissolution de cette milice, composée de «chasseurs» traditionnels dozos. «Les dozos existent depuis toujours au Mali, ils jouent un peu le rôle d’une gendarmerie rurale, rappelle l’historien Francis Simonis, maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille. Mais l’an dernier, Dan Na Ambassagou a changé de registre en en faisant un groupe armé explicitement dirigé contre les Peuls. Bamako s’est appuyé sur eux […] pour effectuer le sale boulot.» A plusieurs reprises, les leaders du groupe dogon se sont affichés en public avec des responsables de l’Etat malien. Sa dissolution pourrait marquer «la fin de l’impunité», selon Aurélien Tobie.
Pourquoi ce conflit entre Peuls et Dogons ?
L’origine de la rivalité entre les deux ethnies remonte à plusieurs siècles et chaque communauté revendique aujourd’hui un accès privilégié au territoire. «L’islamisation des Dogons est récente, elle date des années 50, détaille Francis Simonis. Pour une partie des Peuls, les Dogons ne sont pas des vrais musulmans. Les Dogons, de leur côté, mettent en avant leur ancienneté dans la région et décrivent les Peuls comme des envahisseurs.»
Le réchauffement climatique et la pression démographique ont aiguisé la compétition pour la terre entre les éleveurs peuls, semi-nomades, et les cultivateurs dogons. Mais c’est la crise du Nord-Mali, en 2012, qui a transformé cette vieille adversité en conflit ouvert. A l’époque, des centaines de Peuls ont rejoint le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), installé dans la ville de Gao afin de faire contrepoids aux groupes touaregs. Au lendemain de l’opération française Serval, certains combattants ont continué la lutte auprès du Front de libération du Macina, dirigé par le prédicateur peul Amadou Kouffa.
«Peu à peu, les Peuls ont été assimilés, à tort bien entendu, aux jihadistes, poursuit l’historien. Kouffa a joué sur cette corde en se présentant comme le défenseur de la communauté.» L’explosion du marché noir des armes automatiques a contribué à l’aggravation des violences. En 2018, plus de 500 civils ont été tués dans des règlements de compte et des attaques de villages selon l’ONU. Des dizaines de localités peules sont désormais abandonnées. Beaucoup de déplacés s’étaient réfugiés à Ogossagou, où vivait un marabout peul respecté. Il aurait été assassiné samedi.
Qui peut stopper les massacres ?
Par le passé, les querelles étaient «régulées par les autorités coutumières», explique Aurélien Tobie. Elles semblent aujourd’hui dépassées.
L’Etat, qui devrait naturellement se poser en arbitre, en est incapable. Une grande partie des fonctionnaires locaux ont fui la menace jihadiste. L’armée malienne est considérée comme un acteur partial : même prévenue, elle échoue régulièrement à empêcher les tueries, et ses troupes ont elles-mêmes commis nombre d’exactions contre les Peuls de la région.
Dimanche, Ibrahim Boubacar Keïta a limogé les principaux chefs de l’état-major. «Après l’attaque jihadiste de Dioura [le 17 mars, au cours de laquelle 26 soldats ont été tués, ndlr], le Président avait averti qu’il ne tolérerait plus de négligence, indique une source sécuritaire. Mais, dans le Centre, il s’agit d’un conflit entre Maliens, l’ennemi n’est pas aisément identifiable, la profusion des milices d’autodéfense complique la tâche de l’armée.»
Les milliers de militaires français de l’opération Barkhane déployés sur le sol malien n’ont pas vocation à s’interposer, leur mandat étant circonscrit à la lutte antiterroriste. Ils interviennent d’ailleurs rarement dans la région Centre. Les Casques bleus de la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Mali (Minusma, 13 000 personnes) pourraient davantage jouer ce rôle de force de dissuasion. «La Minusma a renforcé sa capacité d’action dans la zone et vient juste de boucler une grande campagne de prévention civilo-militaire, soupire un observateur installé dans le Centre. Mais le cycle de violences a déjà largement dépassé ses capacités.»
Source: liberation