Ce n’est, en apparence, qu’un épisode malheureux dans une guerre interminable. Celle qui oppose depuis six ans les forces françaises aux groupes armés dans l’immensité du désert malien.
Samedi vers 18 heures, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Tombouctou, au nord du Mali, une colonne des forces françaises Barkhane a détruit un pick-up jugé suspect, après plusieurs tirs de sommation. A l’intérieur du véhicule, les trois passagers n’ont pas survécu à l’explosion, «non intentionnelle», et due à «une importante quantité de carburant», selon le communiqué publié mercredi par l’Etat-major des armées à Paris.
«Notable bien connu»
Dès dimanche, le chef de la communauté touareg locale, Mohamed Ali ag Mattahel, a posté une vidéo dans laquelle il s’adresse directement «au président de la France et au secrétaire général de l’ONU, pour que lumière soit faite». Filmé à quelques mètres du véhicule calciné, le chef de la communauté Kel Razzaf, dénonce «un acte odieux», évoque même «un crime de guerre», avant de réclamer justice. Vêtu d’une gandoura bleu ciel, le visage dissimulé par un chèche et des lunettes, sa colère est palpable. «La communauté est très choquée, meurtrie», confirme Muthtah Ag Inorene, le directeur de l’école située à une vingtaine de kilomètres du site où s’est produit l‘accrochage. Joint par téléphone jeudi, il confirme que des tirs ont bien été entendus jusqu’au campement voisin.
Mais sur place, c’est une forme d’incompréhension qui semble dominer. Les trois passagers du véhicule appartenaient à la même famille, au même campement : Ahmad ag Assadek était éleveur et transporteur. L’un de ses neveux âgé de 18 ou 19 ans lui servait de chauffeur. Un jeune cousin de douze ans se trouvait également dans la voiture.
«C’était un gamin qui servait souvent d’apprenti au propriétaire du véhicule, il aimait bien l’emmener avec lui», précise le directeur de l’école. Lequel insiste : «Ce ne sont pas des jihadistes ! Le propriétaire était un notable bien connu, qui faisait vivre son campement. Il laisse une veuve et huit enfants.»
«Zone paisible»
On le voyait souvent dans les foires hebdomadaires de la région, comme celle qui a lieu tous les mardis à Diré. «Or, pour y accéder, le véhicule doit être enregistré, rappelle Muthtah. Pourquoi les forces françaises n’ont-elles pas cherché à l’identifier auprès des forces maliennes ? Pourquoi une réaction si rapide ?»
Reste que le véhicule ne s’est pas arrêté lors des tirs de sommation, même s’il reste encore à déterminer s’il se dirigeait sur la colonne de Barkhane, comme l’affirme le communiqué de l’Etat-major à Paris. «C’est archifaux, c’est un alibi», s’indigne le directeur de l’école. «Peut-être le jeune chauffeur a-t-il été surpris ? Peut-être a-t-il paniqué ? Ce sont des nomades. Ce jour-là ils étaient en train de déménager un campement», tente-t-il d’expliquer. Mais selon lui, «jamais un acte pareil ne s’était produit dans cette zone paisible». Reste à savoir où s’arrête et où commence le danger, sur ce vaste territoire.
A Paris, le ministère des Armées a promis une enquête. En espérant qu’elle soit rapide. Fin 2017, lors d’un accrochage qui avait coûté la vie à un jeune berger, soupçonné d’être un guetteur, il avait fallu attendre un an pour obtenir les résultats de l’enquête, menée en interne. Et dans l’intervalle, cette guerre qui semble sans fin dans le Sahel nourrit le ressentiment des populations locales.
«Les gens ont désormais peur des Français»
«Alors qu’une sorte de paix armée s’impose au nord, sans avoir éradiqué les groupes qui en profitent, c’est désormais le centre du Mali qui implose, avec la multiplication d’affrontements intercommunautaires», rappelle un ancien ministre, depuis Bamako, la capitale. Le week-end où s’est produit l’accrochage fatal dans la région de Tombouctou, une centaine de personnes ont également péri dans un village dogon assiégé par une milice peuhle, près de Mopti, au centre du pays. «Cette situation peut expliquer une certaine fébrilité de la part des forces françaises comme maliennes», justifie l’ancien ministre, qui note cependant «un sentiment antifrançais à son paroxysme au Mali».
Lui-même le déplore : «Des théories du complot fleurissent partout. Bientôt, on accusera la France d’être responsable des inondations. Alors que c’est l’inertie de nos propres dirigeants qui est d’abord en cause. Lesquels se contentent de réactions d’indignation sans que rien ne change.»
Face à cette impasse, nombreux sont les spécialistes de la région à avoir tiré la sonnette d’alarme : «Au Mali, l’armée française n’est déjà plus vue comme une force de libération, comme c’était le cas en 2013», avertissait il y a trois ans le chercheur Yvan Guichaoua, dans l’hebdomadaire Jeune Afrique. Le moindre incident ne peut alors que renforcer le sentiment d’aliénation. «Dans les campements de ma région, les gens ont désormais peur des Français», constate le directeur de l’école de Razelma.