“Tous les jours, on nous remonte un incident d’une extrême gravité. Et chacun arrive avec un déplacement de populations”. Mamadou Lamine Diop, un responsable de l’ONU dans le centre du Mali, est amer.
Le centre du Mali est pris dans un tourbillon de violences depuis cinq ans et Mamadou Lamine Diop, qui dirige le bureau du Haut commissariat pour les réfugiés (HCR) dans la région, est bien placé pour observer que la situation “ne cesse de se dégrader”.
Le centre du Mali est longtemps resté relativement à l’écart des révoltes séparatistes menées très loin de là, dans le Nord. Mais quand la crise actuelle a éclaté en 2012, avec les offensives des rebelles touareg alliés aux jihadistes, elle n’est pas restée confinée aux vastes étendues désertiques septentrionales.
Des groupes armés, se proclamant jihadistes pour certains, ont pris pied dans le centre, autour de Mopti, vers les frontières avec le Burkina Faso ou la Mauritanie. Ils ont prospéré sur les anciens antagonismes liés à la terre, fertile mais disputée, entre éleveurs et agriculteurs, entre ethnies et au sein même de ces communautés.
Ils ont utilisé à leur avantage le sentiment solidement ancré d’abandon par l’Etat, proposant un discours religieux, mais aussi social et économique, à des populations souvent pauvres. Ils ont offert protection à certains groupes contre d’autres et embrigadé des hommes guidés par la conviction religieuse ou l’opportunisme.
Depuis 2015, la région est le théâtre d’exactions en tous genres: attaques contre le peu qu’il reste de l’Etat, massacres de villageois, règlements de comptes et actes crapuleux. Les violences ont pris un caractère communautaire accru, notamment entre Peuls et Dogons. Des milices d’autodéfense se sont formées.
Un groupe affilié à Al-Qaïda et emmené par l’imam peul Amadou Koufa sème la terreur. La milice Dan Nan Ambassagou, qui s’est érigée en défenseure des Dogons, est accusée d’exactions.
– Impuissance –
Peu de jours passent sans attaque. Les violences intercommunautaires ont vidé des dizaines de villages peuls, notamment près de la frontère burkinabè. “Ce sont les villages fantômes: il ne reste que les huttes et rien d’autre. Tout le monde est parti”, explique à l’AFP un humanitaire, sous le couvert de l’anonymat parce qu’il travaille dans la zone.
On s’agglutine dans les villes de la région, Mopti et Sévaré. Sur les 200.000 personnes déplacées par le conflit au Mali, la moitié le sont dans son centre.
“Avant même que tu n’éteignes un incendie, le feu se déclare ailleurs”, dit M. Diop, du HCR.
Boureima Barry, 56 ans, compte au nombre des déplacés. Il a fui son village à quelques kilomètres de Bandiagara. Il en tait le nom car il souhaite y revenir un jour sans craindre de représailles.
“Dans notre village, nous avons été les premiers à nous échapper en avril 2019, mais en peu de temps, tout le monde a dû fuir. Depuis un an, la situation ne s’est jamais améliorée”, raconte-t-il, assis sous une tente dans un camp dressé pour les déplacés dans un stade de foot de Sévaré.
“C’est un constat” : ni l’armée malienne, ni la Mission de l’ONU (Minusma) “ne sont capables de protéger de façon appropriée les personnes civiles”, dit Alioune Tine, expert indépendant envoyé par les Nations unies en février.
Il en veut pour preuve le sort d’Ogossagou. Une trentaine de civils y ont été assassinés en février, moins d’un an après le massacre de quelque 160 villageois peuls, alors que l’armée malienne et l’ONU avaient conscience de la menace.
“Si on a une nouvelle attaque à Ogossagou un an après, cela veut dire que la protection des civils n’est pas là”, martèle-t-il.
– Négocier avec l’ennemi ?-
Les civils qui n’ont pas fui affrontent l’insécurité alimentaire. Elle touche deux personnes sur cinq dans le centre, dit l’ONU.
Le gouverneur régional, Abdoulaye Cissé, admet que la situation est “préoccupante”. “Mais elle n’est pas insurmontable”. Il relève que des accords de cessation des hostilités ont été trouvés au niveau de villages.
“Quoi qu’on fasse, un jour ou l’autre, on va s’asseoir. Pourquoi attendre qu’il y ait des milliers de morts pour revenir à la négociation ? Le problème n’est pas que militaire”, analyse-t-il.
Ce débat vient d’être rouvert par le président Ibrahim Boubacar Keïta. Il a reconnu en février que le gouvernement avait tenté d’approcher certains jihadistes maliens, dont Amadou Koufa.
“Il est possible de négocier quelque chose avec Amadou Koufa”, dit une source proche du gouvernorat en invoquant “l’ancrage local” du groupe.
L’alliance jihadiste liée à Al-Qaïda dont fait partie le groupe d’Amadou Koufa s’est dite la semaine dernière ouverte à la négociation, mais à condition que la France et l’ONU retirent leurs forces du Mali.
Violences jihadistes et conflits intercommunautaires, souvent entremêlés, ont fait des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés au Mali depuis 2012. Ils se sont propagés du centre du pays au Burkina et au Niger voisins.
Source: laminute