Ironie de l’histoire, au moment où ATT continue à recevoir les honneurs près d’un an après sa disparition, ceux qui ont planifié sa chute dans l’ombre tombent en disgrâce les uns après les autres.
Le regretté général Amadou Toumani Touré dit ATT, né le 4 novembre 1948 à Mopti et décédé le 10 novembre 2020 à Istanbul en Turquie, sera encore célébré ce 2 juillet 2021 à l’Ecole militaire interarmes (Emia) à Koulikoro.
La 43e promotion de cette prestigieuse école militaire va porter le nom de ce valeureux soldat doublé d’un patriote jusqu’au bout des ongles. Ironie de l’histoire, au moment où ATT continue à recevoir les honneurs près d’un an après sa disparition, ceux qui ont planifié sa chute dans l’ombre tombent en disgrâce les uns après les autres. Le dernier en date est l’ancien chef de l’Etat mauritanien, le général Mohamed Ould Abdelaziz dont les ennuis judiciaires depuis son départ de la présidence ne cessent de s’amplifier avec son arrestation le mardi 22 juin 2021.
Avant lui, Blaise Compaoré a été chassé du Burkina par une insurrection populaire en octobre 2014. Et le Hongrois de l’Elysée, Nicolas Sarkozy, a presque perdu tout espoir d’un retour honorable sur la scène politique française à cause aussi de ces ennuis judiciaires.
Que dire du capitaine Amadou Haya Sanogo et récemment du colonel-major à la retraite Bah N’Daw qui se sont attaqué à lui d’une manière ou d’une autre ?
Le général Ould Abdelaziz a été l’un des plus grands détracteurs du défunt président malien. L’ex-président de la République islamique de la Mauritanie (2008-2019) a été arrêté le mardi 22 juin 2021 pour refus de se présenter dans un commissariat de police trois fois par semaine.
Mohamed Ould Abdelaziz a été inculpé en mars 2021 de 12 chefs d’accusations présumés de corruption, enrichissement illicite, blanchiment d’argent. Autrement dit, c’est le retour de la manivelle pour celui qui prenait un plaisir malsain à traiter le Mali de “ventre mou” de la lutte contre le terrorisme en Afrique subsaharienne. Dans le même temps, il n’avait pas le courage de reconnaître qu’il avait signé un “pacte de non agression” avec les nébuleuses terroristes. Ainsi, les terroristes renonçaient à toute attaque sur le territoire mauritanien. En retour, le pays leur servait de base de replis après leurs attaques, notamment sur le territoire malien.
Le prestige de 27 ans de règne balayé
Avant Mohamed Ould Abdelaziz, Blaise Compaoré a été chassé du Burkina par une insurrection en octobre 2014. Après 27 ans de règne, il a suffi de trois jours pour que le président du Faso soit poussé dehors par le peuple suite au soulèvement populaire du 30 octobre 2014. Et ce n’est un secret pour personne que le “Beau Blaise” était le parrain des rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) dont les leaders politiques se voyaient dérouler le tapis rouge à “Ouaga-2000”, un quartier huppé de la capitale du “Pays des Hommes intègres” (Burkina Faso) avec ses coquettes villas.
On sait aujourd’hui que Sarkozy, Abdelaziz et Blaise ont constitué à un moment de l’Histoire le “le trio diabolique” qui a planifié la déstabilisation du Mali en 2012, en salissant la réputation d’ATT. Le général était devenu très tôt une sérieuse menace aux intérêts de la France en Afrique subsaharienne. Déjà l’Elysée et le quai d’Orsay lui en voulaient pour son refus de signer l’accord de réadmission tant que les préoccupations de notre pays n’étaient pas prises en charge. En France, on est passé de la colère à la frustration, voire à la rancune lorsque, contrairement à la grande majorité des pays de la bande sahélo-saharienne, le Mali a refusé de s’aligner sur la politique française dans la chasse à Kadhafi.
Fidèle à Kadhafi jusqu’à son assassinat
Refusant de céder aux injonctions du “courtaud de Neuilly”, ATT a par exemple refusé de reconnaître le Conseil national de transition libyen (CNT, une autorité politique de transition créée en février 2011 à l’occasion de la guerre de la France et des ses alliés contre le Guide de la Jamahiriya pour coordonner les différentes villes de Libye tombées aux mains des insurgés). Contrairement à Blaise Compaoré et d’autres dirigeants de la CEN-Sad, ATT a soutenu Mouammar Kadhafi jusqu’à son assassinat qui a plongé la Libye dans l’imbroglio politico-sécuritaire dans lequel elle se cherche toujours.
Après avoir semé le chaos en Libye par l’assassinat de Kadhafi, la France se devait de se tenir sa promesse à l’égard des combattants touaregs de la légion étrangère de l’armée libyenne : l’indépendance ou l’autonomie de l’Azawad. Une promesse dont la tenue lui offrait une belle opportunité d’assouvir une autre vengeance : le refus d’ATT de signer un accord de défense avec la France !
A l’Elysée, on s’est sans doute dit : comme il ne veut pas signer un accord de défense de son plein gré, nous allons lui donner du grain à moudre jusqu’à ce qu’il vient nous supplier à Paris de le secourir. C’est ce qui s’est passé en janvier 2013 puisque Dioncounda Traoré, alors président de la Transition, aurait supplié François Hollande d’intervenir militairement au Mali pour que le pays ne tombe pas entièrement entre les mains d’une horde d’illuminés religieux venus d’horizons divers comme une meute de chiens affamés lancés dans la nature en quête de proies. Et dans la foulée de l’opération Serval, la France a obtenu son accord de défense. “Nous avons un accord de coopération militaire, qui porte sur la formation dans des écoles nationales à vocation régionale. Il n’est pas question d’avoir un accord de défense avec la France. Cette époque est révolue… Le rôle de la France doit rester dans l’accompagnement et l’appui au plan matériel. Les forces terroristes actuelles ne sont pas au-dessus de nos capacités. Il faut un plan sous-régional”, a plaidé Amadou Toumani Touré dans le quotidien français “Libération” en octobre 2011.
L’intox pour déstabiliser et renverser ATT
Blaise Compaoré et Mohamed Abdelaziz ont servi de relais de déstabilisation du régime d’ATT à la France de Sarkozy puis de Hollande. Une manœuvre accompagnée au plan national par la manipulation, voire l’intoxication de l’opinion nationale par de fausses informations savamment distillées. On a fait croire à l’opinion qu’ATT était de mèche avec les rebelles à qui il donnerait les positions de l’armée (une grave injure à ce grand patriote). Et c’est pourquoi il les aurait laissés entrer au Mali avec bagages et armes.
Mais, nous savons maintenant que les armes avec lesquelles les éléments du MNLA sont arrivés dans notre pays étaient des jouets d’enfants à côté de celles qui leur ont été livrées sur place et qui continuent d’être livrées à des groupes terroristes pour maintenir notre pays sous pression. Pis, la France s’est chargée de bloquer toutes les stratégies sous-régionales planifiées par feu ATT pour faire barrage à l’extrémisme religieux.
C’est ainsi que, pendant 4 ans, il a préconisé en vain un front régional qui comprendrait l’Algérie, pour lutter notamment contre Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi). Et pourtant, dans la foulée de sa chute, la France a porté le projet du G5-Sahel (en excluant l’Algérie plus influente qu’elle dans la zone). Un projet qui n’a toujours pas comblé les attentes à cause surtout de l’opposition des Américains à ce que l’ONU lui accorde un mandat lui conférant un financement soutenu.
“Le Mali est otage et victime du terrorisme. Ces gens ne sont pas Maliens. Ils sont venus du Maghreb avec des idées que nous ne connaissons pas. Notre islam, depuis le IXe siècle, est ouvert et tolérant. Il tient la personne humaine pour sacrée et inviolable”, s’était défendu ATT dans un entretien publié en octobre 2010 par le quotidien français “Libération”. Et de poursuivre en rappelant, “on nous fait un faux procès. En réalité, nous partageons avec nos voisins un territoire commun, le Sahel, qui couvre plus de 4 millions de km2 avec des menaces transfrontalières. Nous sommes, sur le plan géographique, au centre du dispositif : la partie désertique du Mali couvre 650 000 km2, un espace aussi vaste que la France. Nous devenons un pays de transit, confrontés à une histoire qui ne nous regarde pas. Le salafisme exacerbé n’est pas malien, il est maghrébin. C’est facile de dire que tout se passe au nord du Mali. Mais, le Nord du Mali, c’est aussi le Sud de l’Algérie, l’Est de la Mauritanie et l’Ouest du Niger”.
Comme on le constate, ATT a été très en avance sur son peuple qui a tardivement pris conscience que l’ancienne puissance colonisatrice était à la base de la crise sécuritaire imposée à notre pays dans son septentrion et qui s’est étendue à presque tout le pays depuis la chute d’ATT. “Nous avons déjà tenté la solution militaire, et nous l’avons estompée depuis 10 mois. Nous sommes face à de petits groupes disséminés. Vous pouvez passer des mois à leur courir derrière, avec un nombre très important de victimes. En 2 ans, nous avons perdu plus de 60 soldats, dont 10 officiers. Je ne vais pas engager l’armée malienne pour qu’en Occident on dise que je me bats contre le terrorisme alors que ça ne sert à rien”, avait répondu le défunt général dans la même interview accordée à “Libération” en octobre 2010.
Les limites de l’Opération Barkhane
Pour le valeureux homme que fut ATT, “le problème, c’est le déficit de coopération régionale. Chacun se plaint du voisin et les actions isolées sont vouées à rester ponctuelles. J’ai appelé, en septembre 2006, à une conférence sahélo-sahélienne pour la paix et le développement, en présence des chefs d’Etat. Les populations concernées vivent dans la précarité, dans des zones difficiles. Les jeunes n’y ont aucune perspective. Avant, ils volaient des chameaux. Maintenant, ils volent des véhicules. Face à une idéologie agressive, quelle est l’alternative ? Il faut élever la population vers nous. Or, personne ne m’a écouté depuis 4 ans, quatre années de perdu”. Le temps lui donne raison aujourd’hui sur tous ses détracteurs aux plans national et international.
En effet, le retrait annoncé de Barkhane pour la fin de ce mois de juin est une manière diplomatique, pour la France, de reconnaître que sa stratégie a échoué au Sahel. Un échec qu’Emmanuel Manuel veut maintenant partager avec des alliés européens en mettant la Force Takuba au cœur de la nouvelle stratégie pour pallier le retrait progressif de l’Opération Barkhane.
En bon stratège militaire, ATT a toujours défendu que la force militaire ne soit pas la riposte appropriée à la menace jihadiste. En effet, le terrorisme est la manifestation et non la racine d’un mal : le sous-développement, la mauvaise gouvernance, l’injustice sociale…
Mais, le signal était déjà brouillé par la France et ses alliés pour que le discours d’ATT soit inaudible. Mais, le Temps est toujours le meilleur juge pour les justes. Même s’il n’est pas là aujourd’hui parmi nous, la justice divine est en train de réhabiliter “Antoumane” alors que ses plus farouches détracteurs sont tous en disgrâce.
Comme le dit une sagesse bien connue, “la justice, pour mériter ce nom, veut être bien réglée : c’est une grâce divine que Dieu tient suspendue à un cheveu. Celui qui est mort est encore fort pour la vengeance, car la justice divine surveille tout et rendant à chacun suivant ses œuvres tient pour tous la balance égale”.
ATT peut donc dormir en paix parce que son combat est mené par celui qui n’en perd jamais : Dieu !
Dan Fodio
Source : Le Focus du 28 juin 2021
Source: Aujourd’hui Mali