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Arts plastiques au Mali : difficile construction d’un marché national

«Au Mali, à part deux où trois artistes plasticiens cotés à l’international, la grande majorité des artistes vivent difficilement de leur art». Comme un refrain, cette phrase revient pratiquement sur les lèvres de la plupart des artistes plasticiens maliens. Du coup, sans trop s’y aventurer, l’on a une idée du marché d’art au Mali. Dans le cadre de la 2ème édition de Ségou’Art que la capitale du Royaume bambara abrite du 2 au 9 février 2019, nous vous invitons à lire notre article.

«Les artistes plasticiens vivent difficilement au Mali», nous a indiqué Mamadou Amadou Keita, membre du Centre Soleil d’Afrique, dédié à la promotion des arts plastiques au Mali. Artiste peintre depuis bientôt 35 ans, Mamadou Amadou Keita sait de quoi il parle. «Rares sont les artistes maliens qui arrivent à vivre de leur art, sans faire autre chose», a-t-il  ajouté.

Face aux difficultés, consécutives à la mévente de leurs œuvres, nombreux sont les artistes maliens qui ont développé des stratégies de survie. «Les artistes font aujourd’hui la sérigraphie, l’artisanat, les supports publicitaires, les banderoles… pour joindre les deux bouts», nous a précisé Mamadou Amadou Keita. Selon lui, le fait que les artistes maliens n’arrivent pas à vendre, est essentiellement dû à l’absence d’un véritable  marché. «Il y a très peu d’acheteurs, et souvent tous sont des occidentaux, ou des personnes assimilables aux occidentaux», a-t-il précisé.

Cet avis est partagé par Modibo Van Sissoko, artiste peintre. «Au Mali, il n’y a pas un marché d’art digne de nom», a-t-il indiqué. Avant d’ajouter que la plupart des artistes maliens qui arrivent à vendre une œuvre, le font à l’étranger. Cet artiste qui n’est plus jeune, ne se souvient pas d’avoir vendu une œuvre au Mali, à part le Musée national du Mali qui a acheté deux de ses œuvres, en 2008, dans le cadre du Marché national d’art qu’organisait le Ministère de la Culture chaque année et qui n’a pas dépassé quatre éditions. «Le manque de galeristes dignes de nom et de plusieurs collectionneurs sur la place de Bamako, peut expliquer nos difficultés», a-t-il estimé.

En sa qualité de président de l’Association Aw-Ko’Art, Souleymane Ouologuem, artiste-peintre, est convaincu que le marché autour des arts plastiques n’existe pas au Mali. Selon lui, quand on parle de marché, il faut des galeristes, des collectionneurs, des critiques d’art et aujourd’hui, cela manque énormément au Mali. Dans un tel environnement, selon Souleymane Ouologuem, il n’y a que seulement quelques artistes qui arrivent à vendre, à quelques rares acheteurs. «La grande majorité des artistes n’arrivent pas à vendre leurs œuvres. Et pire, certains n’arrivent  même pas à avoir accès à des espaces d’exposition», a-t-il regretté.

Des initiatives salvatrices pour combler le manque de galeries

En réalité, c’est pour prendre à bras le corps la résolution de telles difficultés que la nouvelle génération d’artistes plasticiens a tendance à se regrouper dans des espaces d’art : Atelier Badialan I, Tim’Art, Aw-Ko’Art…

Et cette approche semble porter ses fruits. «Face au manque de galeries dignes de nom et face au peu d’entrain de nos aînés à nous porter sur leurs épaules pour percer le marché international, le marché national étant très étroit, nous avons pris des initiatives de regroupements dans des collectifs d’artistes», nous a indiqué Ibrahima Konaté, artiste-peintre et chef de l’atelier Badialan I.

De deux artistes en 2012, l’atelier Badialan I est passé à douze artistes en 2014. Cette idée novatrice à se regrouper en un lieu, pour mutualiser les moyens de production, a donné une forte visibilité à cet espace. «L’atelier Badialan I a été une grande innovation dans le paysage des arts plastiques au Mali. De telle sorte que le lieu est rapidement devenu une attraction à Bamako», a ajouté Ibrahima Konaté.

Selon lui, les espaces de travail des artistes, à l’image de l’atelier Badialan I, en l’absence de galeries, ont tendance à devenir des lieux de vente. «Pour encourager les jeunes dans leurs travaux de création, de nombreux visiteurs ne quittent pas les ateliers sans acheter un tableau en souvenir», a-t-il indiqué. Et, pour mettre un accent sur le grand changement que cette idée de regroupement des artistes en un seul lieu de ravail, a apporté, il dira que de 2016 à 2017, l’atelier Badialan I ne pouvait pas faire deux semaines, sans vendre deux à trois œuvres.

C’est ce qui a fait dire à Hama Goro, artiste-peintre et Directeur du Centre Soleil  d’Afrique, que «ces deux dernières années, le marché de l’art au Mali a tendance à reprendre du poil de la bête, avec la nouvelle génération et suscite l’intérêt de certains collectionneurs, même nationaux. Cela malgré la crise qui secoue le pays depuis 2012 et qui a fortement impacté sur le tourisme».

Effectivement, depuis quelques années, des jeunes artistes peintres maliens (Amadou Sanogo, Souleymane Ouologuem, Toussaint Klémagan Dembélé, Losso MarieAnge DAKOUO, Mohamed Diabagaté,……) arrivent à écouler leurs créations, sur le marché international, à côté des monuments comme Abdoulaye Konaté, Ismaël Diabaté, Mamadou Diané, Amahiguiré Dolo, Amsyl, le disigner Cheick Diallo, etc.

Stratégie pour la redynamisation du marché d’art malien

Mais, comme une seule hirondelle ne fait pas le printemps, Hama Goro a sa petite idée sur la stratégie à mettre en place pour la redynamisation du secteur des arts plastiques, en termes de ventes au Mali.

«Au Mali, il n’y a pas de véritables critiques d’art sur les œuvres. Or, cela est nécessaire pour que les amoureux des arts plastiques sachent ce qui se fait au Mali», a-t-il déclaré d’entrée de jeu. Avant d’ajouter qu’il y a très peu d’écrits sur la création contemporaine au Mali. «Même les journalistes culturels au Mali ont besoin de formation. Il faut donner les moyens aux journalistes culturels de sortir de simples reportages pour aller vers l’analyse des œuvres», a-t-il estimé. Avant de proposer dans l’urgence une formation des journalistes culturels et des commissaires d’art. «Au Mali, on n’a pas de commissaires d’art. Et les Commissaires viennent de l’extérieur avec leurs repères. Cela n’aide pas toujours la promotion des jeunes talents», a-t-il ajouté.

Pour sa part, Cheick Oumar Sissoko, cinéaste, secrétaire général de la Fédération panafricaine des cinéastes et ancien ministre de la culture et de l’éducation du Mali, pense que le problème est plus global et dépasse le seul secteur des arts plastiques. «Le problème est commun à la production et à la circulation des biens culturels», a-t-il estimé.

Cheick Oumar Sissoko pense qu’il tire sa source de l’étroitesse du marché africain de l’art, liée à l’absence de ‘’milieux sociologiques porteurs’’ dans un contexte où l’urbanisation n’a pas toujours été synonyme d’élévation du niveau de vie des populations. À cela, il a ajouté l’insuffisance de la structuration de l’économie de la culture sous le rapport de circuits commerciaux de distribution et de diffusion des produits.

L’ancien ministre malien de la culture et de l’éducation pense qu’il faille vite travailler à la structuration de l’économie  de la culture. Selon lui, cela va emmener une professionnalisation et la production des œuvres de qualité, toutes choses qui vont autoriser l’élargissement du marché.

Mais, en attendant la structuration de l’économie de la culture sous le rapport de circuits commerciaux de distribution, et de diffusion des produits, des initiatives, certes encore timides, commencent à pointer le nez.

Du côté de Ségou, la Fondation du Festival sur le Niger, sous la houlette de Mamou Daffé, tente de combler un vide laissé par la disparition du Marché national des Arts, que le Ministère de la culture organisait chaque année à travers la Direction nationale des Arts et de la Culture. Du 2 au 9 février 2019, la cité des 4444 Balazans va abriter la 2ème édition de Ségou ‘Art, qui se veut un «Salon d’Art contemporain du Mali».

Parallèlement à cette initiative de Mamou Daffé, d’autres bonnes volontés, ayant fleuré le potentiel d’affaires dans le secteur du marché des Arts au Mali, tentent de mettre en place des galeries. Espérons que ces initiatives privées, mises bout à bout, contribueront à l’installation d’un véritable marché de l’Art au Mali, pour le bonheur des nombreux artistes plasticiens talentueux.

Assane Koné

Le Wagadu

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