Le 29 juin, quelques jours après l’échec de la rébellion du chef des mercenaires Wagner, Evgueni Prigojine, le président russe, Vladimir Poutine, a réuni les commandants du groupe pour leur demander s’ils seraient prêts à travailler sous la direction d’un autre chef. Bien que plusieurs aient répondu par l’affirmative, Prigojine a énergiquement bloqué cette proposition, faisant ainsi de son rendez-vous avec la mort une quasi-certitude.
D’autres groupes paramilitaires russes, liés aux fidèles de Poutine, comme Convoy et Redut, se sont alors lancés dans une campagne de recrutement pour des opérations en Afrique, mettant en relief la détermination du Kremlin à mettre Prigojine sur la touche. Dans un ultime effort pour prévenir de telles manœuvres, Prigojine a passé ces derniers jours au Mali et en République centrafricaine pour tenter de rallier des soutiens. Il aurait également reçu une livraison d’or de la part des Forces de soutien rapide (FSR) paramilitaires du Soudan, soutenues par Wagner. L’accident d’avion qui décimé Prigojine et toute la haute direction de Wagner a mis un terme définitif à ces activités.
Parallèlement au chant du cygne de l’odyssée africaine de Prigojine, les responsables russes effectuaient des voyages parallèles avec un message très différent. Un jour avant l’accident, le vice-ministre russe de la Défense s’est rendu à Benghazi, pour rassurer ses alliés sur le fait que les combattants de Wagner resteraient en Libye – mais sous le contrôle du Kremlin.
Ces luttes pour la suprématie mettent en évidence la concentration de Moscou sur sa conquête du pouvoir en Afrique, alors même que la Russie est supposée être accaparée par l’Ukraine. Le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, souhaite intégrer pleinement Wagner dans les forces armées régulières, tandis que l’agence de renseignement militaire étrangère GRU pourrait superviser les opérations lucratives de Wagner en Afrique.
L’enjeu est de taille dans cette lutte pour le contrôle des actifs de Wagner: la monopolisation des mines d’or et de diamants, des puits de pétrole et des ressources minérales et agricoles. Des milliers d’employés de Wagner et un réseau dense de sociétés-écrans étaient impliqués dans des secteurs économiques tels que le bois, la bière, la vodka, la logistique et le divertissement.
«Ces luttes pour la suprématie mettent en évidence la concentration de Moscou sur sa conquête du pouvoir en Afrique, alors même que la Russie est supposée être accaparée par l’Ukraine»
Baria Alamuddin
Les bénéficiaires étrangers des largesses de Moscou s’inquiètent probablement moins de savoir qui est leur interlocuteur russe que de savoir si le robinet du soutien militaire restera ouvert. Sans l’intervention sanglante de Prigojine en Syrie vers 2016, Bachar al-Assad ne serait pas encore au pouvoir. Après que Wagner a retiré une grande partie de ses forces de Syrie, puis perdu l’appui de Poutine, les forces anti-Assad ont la perception d’un moment de vulnérabilité du régime qui pourrait être pleinement exploité. Les manifestants sont descendus dans les rues au sud de la Syrie, scandant des slogans antirégime et dénonçant la réduction des subventions et l’hyperinflation.
Trois régimes ouest-africains, après des coups d’État – le Mali, le Burkina Faso et plus récemment le Niger – semblent avoir été à différents stades d’hypothéquer leur sécurité au profit de Wagner, tout en exigeant le retrait des forces occidentales. Cela s’avère être déjà un désastre qui a permis l’expansion rapide des djihadistes en plein essor. Après le récent coup d’État au Niger, bruyamment défendu par Prigojine, les troupes ont été retirées pour protéger la capitale d’une éventuelle invasion contre-putschiste. Comme on pouvait s’y attendre, Daech, tant à l’ouest qu’à l’est, a saisi l’occasion pour passer à l’offensive.
L’ambassadrice des États-Unis, Linda Thomas-Greenfield, a mis en garde l’ONU la semaine dernière sur le fait que les activités des paramilitaires russes en Afrique étaient «déstabilisatrices». «Nous avons poussé les pays d’Afrique à dénoncer leur présence», a-t-elle déclaré. Les experts présents à la même réunion du Conseil de sécurité ont averti que Daech exploitait l’instabilité résultant des coups d’État successifs et de l’ingérence russe pour étendre ses opérations en Afrique de l’Ouest.
Dans la pratique, le nombre de mercenaires russes déployés dans ces États est souvent très faible. Ils sont souvent incapables de faire grand-chose au-delà de protéger les dirigeants du régime et de sécuriser des actifs économiques clés pour leur propre profit. Wagner compensait fréquemment sa faiblesse numérique en commettant des atrocités généralisées contre des civils non armés, dans des démonstrations affichées de force non contenues. Au Darfour, la fourniture systématique de munitions par Wagner a déclenché un génocide généralisé.
Les puissances occidentales, dans leur arrogance, ont toujours échoué à percevoir et à agir face aux symptômes évidents des crises qui émergeaient, avec des ramifications à l’échelle planétaire dans l’ensemble du monde en développement. Le comportement prédateur et déstabilisateur de structures comme Wagner est en grande partie imputable à la communauté internationale, qui n’a pas soutenu activement la stabilité et la bonne gouvernance à l’échelle de la région, provoquant ainsi un effet domino d’effondrement contagieux des États à travers l’Afrique subsaharienne.
Les mercenaires russes à l’étranger peuvent-ils rester une force réellement puissante après la mort de Prigojine? Ce dernier avait littéralement dû faire la guerre au ministère de la Défense pour acquérir suffisamment de munitions et d’armes, même pour des opérations stratégiquement vitales à Bakhmout. Le décès de Prigojine devrait en outre avoir un énorme impact sur le moral des paramilitaires, leurs combattants étant obligés de prêter un serment de loyauté envers Poutine personnellement. À quel point sera-t-il plus difficile pour ces troupes – sans un leader charismatique, au franc-parler empreint de démagogie – de recevoir suffisamment d’armes pour mener des guerres dans les coins reculés de l’Afrique?
Les périodes de deuil pour Prigojine, en particulier parmi les ultranationalistes et les milices, devraient également donner à Poutine des nuits blanches, se demandant d’où émergeront les futures manifestations de contestation et de sédition.
«Ces milices, agents catalyseurs du chaos, finissent par devenir des chevaux de Troie pour une domination étrangère hostile, et ouvrent la boîte de Pandore à une anarchie et une violence interminables»
Baria Alamuddin
Les fabricants de rumeurs et les organes de propagande de Prigojine ont présenté Wagner comme une force de libération et de stabilisation, d’où l’enthousiasme pour le drapeau russe et son soutien dans toutes les capitales d’Afrique de l’Ouest. Des canaux soutenus par la Russie ont déclenché un flot de propagande intéressée à la suite du coup d’État au Niger. Le conseiller présidentiel de la République centrafricaine, Fidèle Gouandjika, a défilé devant les caméras dans un T-shirt Wagner et a fait l’éloge de Prigojine en le décrivant comme un héros national qui avait sauvé le pays. «Il y aura un autre Prigojine», a-t-il affirmé avec enthousiasme. «Nous attendons le prochain.»
Alors que la décapitation de Wagner a été qualifiée par certains de démonstration de force spectaculaire de la part de Poutine, la mise en avant par les médias d’un président qui aurait fait exploser un avion en plein ciel afin de tuer l’un de ses anciens seigneurs de guerre comptant parmi ses plus puissants alliés n’est guère susceptible d’inspirer confiance en la stabilité du régime.
Ces derniers remous en Russie devraient susciter l’inquiétude des citoyens africains qui se demandent si Wagner et ses successeurs cleptocrates sont de véritables champions des droits, des libertés et de la souveraineté nationale de l’Afrique – ou si leur arrivée inaugure une nouvelle phase d’oppression impérialiste avec tout ce qui l’accompagne en termes d’atrocités, de pillage des ressources à l’échelle industrielle, et d’asservissement colonialiste.
Cela offre également une leçon aux États dysfonctionnels comme l’Irak, le Liban, la Syrie, le Soudan et la Libye, à savoir qu’on ne peut jamais compter sur les milices parrainées par l’étranger pour assurer la survie du régime ou la stabilité sociale.
Ces milices, agents catalyseurs du chaos, finissent par devenir des chevaux de Troie pour une domination étrangère hostile, et ouvrent la boîte de Pandore à une anarchie et une violence sans fin.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com