Lundi 16 septembre, Fatou Bensouda, procureure de la Cour pénale internationale (CPI), a fait appel de l’acquittement prononcé en janvier en faveur de l’ancien Président ivoirien Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé. Cette décision, en plus de relancer la procédure, pourrait avoir un impact significatif sur la politique ivoirienne. Analyse.
La procureure de la CPI Fatou Bensouda aura attendu les ultimes minutes du délai qui lui était imparti pour notifier sa décision de faire appel contre l’acquittement, le 15 janvier 2019, de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé.
Elle estime que «l’appel démontrera que la chambre de première instance de la CPI a commis des erreurs de droit et de procédure qui ont abouti à l’acquittement de M. Gbagbo et de M. Blé Goudé pour tous les chefs d’accusation.»
Comme prévu, Bensouda demande à la Chambre d’appel de revenir sur l’acquittement du président Gbagbo & Blé Goudé et de faire inscrire une déclaration de nullité.
— FABRICE LAGO (@STEVYBEKO) SEPTEMBER 16, 2019
Avec cette décision qui, de l’avis de certains observateurs, était «prévisible», tout le procès –qui a débuté le 28 janvier 2016– pourrait être relancé.
Bensouda se comporte comme un élève qui a échoué au BAC et qui pense qu’en faisant réclamation, ça va changer ses notes.
— LAURENT GBAGBO ✌️ (@GBAGBOCPI) JANUARY 18, 2019
«La chambre d’appel a le pouvoir de maintenir la décision d’acquittement. Dans ce cas, l’appel est irrecevable et les accusés sont remis en liberté. Elle peut aussi annuler la décision d’acquittement, l’appel est alors recevable et le procès reprendra son cours avec la présentation des témoins de la défense», a expliqué à Sputnik Eric-Aimé Sémien, président de l’Observatoire ivoirien des droits de l’Homme (OIDH).
Si l’acquittement de Laurent Gbagbo (74 ans, Président de la Côte d’Ivoire entre 2000 et 2011), encore très populaire dans son pays, avait rebattu les cartes sur la scène politique ivoirienne, la décision d’appel de la procureure pourrait en faire autant.
Une possible ambition présidentielle contrariée
Ce nouveau rebondissement vient compromettre, sinon retarder le retour de l’ancien Président Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, un an avant la présidentielle de 2020, à laquelle ses partisans l’espèrent encore candidat.
Du côté du Front Populaire Ivoirien (FPI), le parti fondé par Laurent Gbagbo, on dénonce l’«acharnement» de Fatou Bensouda, tout en se disant toutefois «serein et confiant» pour la suite.
«Cette décision d’appel participe d’un jeu d’intérêts entre un bureau du procureur de la CPI qui ne veut pas perdre la face et ceux qui jugent à Abidjan qu’il est bon de tenir Laurent Gbagbo loin de sa terre natale», a réagi dans une publication sur Facebook Laurent Akoun, vice-président du courant du FPI restée fidèle à Laurent Gbagbo et qui le reconnaît comme président du parti.
Actuellement en liberté conditionnelle à Bruxelles, Laurent Gbagbo, qui fait profil bas, n’a pas fait part d’un quelconque désir de se présenter à la présidentielle de 2020. Toutefois, en Côte d’Ivoire, certains lui prêtent cette ambition.
Samedi 14 septembre, le FPI de Laurent Gbagbo et le PDCI de Henri Konan Bédié ont organisé à Abidjan un meeting commun, qui s’apparentait à une véritable démonstration de force, laquelle aura rassemblé plusieurs milliers de militants.
MEETING du Pdci et du Fpi pic.twitter.com/d5PIC0d1wh
— TREIZE MAGAZINE 🇨🇮 💛❤️ (@TREIZEMAGAZINE) SEPTEMBER 14, 2019
Avec le nouveau feuilleton judiciaire qui pointe son nez à la CPI, certains observateurs, pour qui Laurent Gbagbo serait le candidat de cette alliance FPI-PDCI, la voient à terme voler en éclats. D’autres estiment qu’une éviction définitive de Laurent Gbagbo de la course à la présidentielle de 2020 pourrait ouvrir un boulevard à Henri Konan Bédié ou encore à l’ex-président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, proche de la coalition.
Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé à la CPI, «un procès pour rien»
La décision d’acquittement le 15 janvier 2019 de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé était survenue après huit ans de procédure, l’audition de 82 témoins (tous de l’accusation), 231 journées d’audience et des milliers de pièces versées au dossier, dont des documentaires et vidéos.
«Actuellement, après huit ans de procédure, on n’a rien. C’est un procès pour rien», s’était indignée Stéphanie Maupas, correspondante RFI et France 24 à La Haye, panelliste à l’occasion d’un débat organisé en juillet à Abidjan par l’Observatoire ivoirien des droits de l’Homme (OIDH) et la fondation allemande Rosa Luxembourg, pour faire un bilan du procès.
[THREAD] Un jour, il faudra que la #CPI publie le coût de l’affaire #Gbagbo/Blé Goudé. Elle a financé leur détention et les honoraires de leurs avocats pendant 8 ans pour l’un et 5 ans pour l’autre.
— FANNY PIGEAUD (@FPIGEAUD) SEPTEMBER 17, 2019
Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé étaient poursuivis par la CPI pour des charges de crimes contre l’humanité (meurtres, viols, autres actes inhumains ou tentatives de meurtre et d’acte de persécution) qui auraient été commis lors des violences postélectorales en Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011.
La crise postélectorale en Côte d’Ivoire s’est déclenchée après que le Président sortant, Laurent Gbagbo, reconnu vainqueur par le Conseil constitutionnel, et Alassane Ouattara, également reconnu comme tel par la Commission électorale indépendante, ont chacun revendiqué la victoire à l’élection présidentielle de novembre 2010. Selon le rapport de la Commission d’enquête nationale rendu en août 2012, les violences armées ont fait plus de 3.000 morts.
Pour le PR de l’@oidh_ong ,« si elle(#Bensouda) décide de faire appel, il faut que la procureure ait suffisamment d’arguments pour que justice soit faite. Elle ne peut pas se permettre de poursuivre une procédure qui aboutirait à une même décision d’acquittement ». c @lemondefr
— OIDH TRIAL MONITOR (@OIDHM) SEPTEMBER 17, 2019
Le 6 août 2018, dans son adresse à la nation à l’occasion de la fête d’indépendance, le Président Alassane Ouattara a proclamé l’amnistie pour les crimes commis lors de la crise. Cette amnistie a bénéficié à près de 800 personnes poursuivies ou condamnées pour des infractions en lien avec la crise postélectorale de 2010. Sur les 800 personnes concernées, 300, dont l’ex-première Dame Simone Gbagbo, étaient détenues.