Le changement climatique se fait sentir partout dans le monde, mais au Mali, où sévit un conflit dévastateur depuis près de dix ans, il impose à d’innombrables personnes des conditions de vie à la limite du supportable.
Hawa Dicko est l’une d’entre elles. Réfugiée dans un camp de déplacés surpeuplé et envahi par la poussière, elle m’a raconté comment elle avait dû quitter son foyer par deux fois – la première à cause des conditions climatiques, et la seconde en raison de la violence née des tensions entre communautés pour l’accès à l’eau et aux terres de pâturage. Un fermier m’a expliqué en quoi l’imprévisibilité croissante du climat rendait la vie de plus en plus difficile, déjà avant que son village ne soit attaqué et qu’une blessure par balle à la tête ne le laisse paralysé des quatre membres. J’ai aussi rencontré un jeune éleveur, de 17 ans à peine, qui a failli perdre la vie à cause d’un engin explosif improvisé alors qu’il était parti chercher de l’eau pour son bétail. Cinq mois plus tard, il est toujours en convalescence à l’hôpital régional de Mopti.
Alors que les dirigeants du monde entier s’apprêtent à se réunir à Glasgow pour le sommet de la COP26, les communautés touchées par les effets conjugués des conflits armés et des crises climatiques doivent être au cœur des préoccupations. Bien qu’elles soient les plus vulnérables face au changement climatique, elles sont trop souvent les grandes oubliées de l’action pour le climat.
Au Mali, les effets du changement climatique viennent aggraver une situation déjà dramatique. Le conflit armé qui sévit dans le pays depuis 2012 perturbe considérablement la vie des Maliens. D’abord concentré dans le nord du pays, il a gagné les régions centrales, semant la mort, jetant sur les routes des communautés entières et détruisant le tissu économique local. Parallèlement, le climat au Mali est de plus en plus chaud et sec. Le désert du Sahara, qui occupe déjà les deux tiers du pays, continue de gagner du terrain. Les précipitations annuelles sont de plus en plus difficiles à prévoir. Et les phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les inondations et les sécheresses, sont de plus en plus fréquents.
Ces changements affectent les routes traditionnelles de transhumance et poussent les éleveurs – comme la famille de Hawa – à se rabattre vers des zones où les ressources naturelles disponibles sont limitées, ce qui accentue les risques de tensions entre éleveurs et agriculteurs. Dans le même temps, le conflit et l’instabilité qu’il engendre font qu’il est encore plus difficile pour les populations de s’adapter au changement climatique, par exemple de modifier leurs pratiques agricoles ou de changer d’activité de subsistance.
Mais le Mali n’est pas le seul pays touché. Ses voisins ne sont pas non plus épargnés. Dans la région du Sahel, qui englobe aussi le Burkina Faso, le Niger, le Tchad et la Mauritanie, plusieurs crises profondément ancrées se conjuguent et s’exacerbent : la violence s’intensifie, l’insécurité alimentaire augmente et le changement climatique s’accélère.
D’après les Nations Unies, les crises climatiques qui affectent le Sahel ont déjà endommagé près de 80% des terres agricoles de la région, réduisant drastiquement les ressources locales de nourriture. Quelque 29 millions de personnes auraient besoin d’une assistance et d’une protection humanitaires – un record. Quand on sait que la population locale est appelée à plus que doubler d’ici 2050 – pour passer à plus de 190 millions –, le risque de voir d’innombrables familles prisonnières de crises à répétition pendant des années est bien réel.
Le CICR constate que la combinaison « changement climatique + conflit » produit les mêmes effets dévastateurs dans de nombreux autres contextes – de l’Afghanistan à la Somalie, en passant par le Yémen.
Il ne fait aucun doute que les populations qui vivent dans des pays touchés par un conflit sont parmi les plus vulnérables face aux crises climatiques – partout dans le monde. Ce sont aussi celles qui sont les plus négligées en termes de financements et de soutien.
Au Mali, j’ai été témoin de terribles souffrances. J’ai également vu de la dignité et de la détermination chez des personnes qui n’aspirent qu’à être autonomes, à pouvoir reconstruire leur maison et retrouver leurs moyens de subsistance, et à vivre en paix.
Au niveau local, la volonté de trouver des manières de s’adapter au changement climatique ne manque pas. Mais sans un soutien résolu de la part de la communauté internationale, la situation au Mali ne fera qu’empirer. Et des crises similaires se produiront dans de nombreux autres pays de la planète.
Pour éviter ce scénario, il est nécessaire de combler le déficit de financements dont souffrent ces pays par rapport à ceux à revenu intermédiaire. Il est également essentiel de mobiliser davantage de fonds pour les efforts d’adaptation, des fonds encore largement en deçà de ceux consacrés aux actions visant à atténuer l’impact du changement climatique.
Ces deux aspects sont tout aussi importants : il est indispensable de mettre en place des mesures d’atténuation ambitieuses pour enrayer la crise et éviter une catastrophe humanitaire. Mais la crise a déjà de graves conséquences et les populations ont besoin d’un soutien pour pouvoir s’adapter.
Il n’y a plus de temps à perdre, nous devons agir collectivement – à la COP26 et au-delà.
Source : reliefweb