Dans le cadre de la célébration de la femme à travers la Journée du 8 mars, la rédaction de votre hebdomadaire a décidé de poser ses projecteurs sur Mahi Traoré, une Franco-Malienne qui suscite admiration et respect. Celle qui s’est révélée la première femme noire proviseure dans un lycée de l’hexagone, se distingue par plusieurs autres particularités : l’optimisme, le courage, la bravoure, l’abnégation etc.
Mahi Traoré, 50 ans, est avant tout une femme libre. Entrée à la Sorbonne en 1994, après une enfance passée à Clichy-la-Garenne puis à Bamako où elle est née, elle est aujourd’hui proviseure dans un lycée parisien.
“J’adore ce métier, je kiffe”, confie Mahi Traoré au média français Journal du dimanche. Pourtant, pour en arriver là, cette Française d’origine malienne a dû passer par des chemins parfois ardus. C’est au lycée polyvalent Lucas-de-Nehou qu’exerce Mahi Traoré, dans le 5e arrondissement de Paris. Arrivée à 18 ans dans la capitale française, après avoir grandi entre la France et Bamako, elle se souvient de ses années à la Sorbonne comme d’une prise de conscience, celle de sa “négritude”, comme elle la définit en à L’Obs, “pour reprendre le mot forgé par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor”. Elle témoigne de sa stupeur lors de sa première rentrée, devant les centaines de visages blancs : “Pour la première fois, je me suis vue noire”.
Elle se souvient également des “mises à l’écart tacites” dont elle est victime à cette époque-là. Poliment, pudiquement, on lui refuse les entrées des syndicats et associations étudiantes, on l’exclut des cercles de conversation et lui fait comprendre que, si elle a réussi à en arriver là, elle n’a pourtant pas vraiment sa place parmi les étudiants et les étudiantes du Quartier Latin. Mais Mahi Traoré n’en démord pas. Celle qui voulait devenir la “Anne Sinclair du Mali, bousculer [ses] interlocuteurs en direct (…), les pousser dans leurs retranchements” abandonnera finalement le journalisme et la radio pour l’Education nationale, un système qu’elle définit comme “l’un des meilleurs au monde” au JDD. D’abord surveillante en zone prioritaire, professeure contractuelle, conseillère principale d’éducation puis proviseure, ce sont aujourd’hui ses élèves qu’elle pousse dans leurs retranchements avec un objectif en tête : les pousser à se dépasser.
Quand elle débute en tant que CPE, elle est accueillie par une proviseure incrédule lui demandant ses papiers. “Faites-moi 50 photocopies”, lui assène une professeure de classe préparatoire, la prenant pour la secrétaire du lycée où elle arrive en tant que proviseure adjointe. Des “micro-agressions” comme celles-ci, Mahi Traoré en a vécu des dizaines, peut-être même des centaines. Elle les pointe du doigt comme le ciment d’un racisme décomplexé, face auquel elle exprime “colère et lassitude”.
Pourtant, la quinquagénaire garde un ton léger. Chaque fois qu’on lui assène la fameuse question sur son origine, celle-ci répond dans un sourire : “Je suis Suédoise”. De quoi désarmer la curiosité mal placée de certains et certaines. Je suis noire mais je ne me plains pas, j’aurais pu être une femme, le titre de son livre, regorge lui-même d’ironie face à sa situation que pourtant, elle décrit par la métaphore de l’historien et désormais ministre français de l’Education Pap Ndiaye, le “supplice de la goutte d’eau”. “Une fois ça va, mille fois c’est insupportable”.
Aujourd’hui, si elle n’a plus toujours la force de déloger les malveillants qui remettent en cause son parcours, Mahi Traoré défend envers et contre tous ses élèves : “Les haineux, tant pis pour eux, ils n’empêcheront pas mon enthousiasme : je n’ai pas le temps pour ce qui est nocif. Mais des enfants beaucoup moins ancrés qui entendent ça ! Comment se le prennent-ils en pleine face, qu’est-ce qu’ils en font ? Parfois, ça donne envie de hurler”. Mais pour l’ambitieuse, le plus beau reste à venir. Elle rêve de revenir un jour à Bamako pour y fonder une école, “libérée du double boulet de l’identité et du genre”. Forcément un modèle de grandeur d’esprit à suivre pour les générations futures.
Edjona Segbedji
Source: Aujourd’hui-Mali