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ANR : la fiabilité de la parole politique à l’épreuve !

Sans aller jusqu’à soupçonner les ANR (Assises Nationales de Refondation) de manœuvre de blanchiment de la prorogation de la Transition, force est d’émettre quelques doutes sur la pertinence de l’objectif de refondation de l’Etat du Mali que se donne ce forum.

Nous voulons bien nous laisser emporter par la vague des ANR. Il n’empêche qu’en dépit de la générosité patriotique du projet, ces Assises demeurent problématiques au regard de l’objectif trop ambitieux de refondation de l’Etat du Mali qui paraît hypothétique.

Comment, à partir de réformes politiques et institutionnelles à l’ampleur et la portée hypothétiques, l’on pourrait déboucher comme par magie sur la refondation de tout un État ?

Comment, refonder, c’est à dire reconstruire notamment des valeurs et éthiques nouvelles dans la gestion administrative et politique de l’Etat à travers ces assisses ?

Comment venir à bout des maux qui rongent le mali malade, quand ce dernier refuse d’avaler ses potions tout en réclamant du toubib le même bilan de santé et la même ordonnance préalablement prescrite ?

Au-delà de ces interrogations, les ANR mettent à l’épreuve, la fiabilité rarement attestée de la parole politique au Mali. Cela pourrait bien être le cas si jamais au bout du compte on se contentait de nous présenter de poussiéreux projets de réformes institutionnelles réchauffés datant pour certains de l’ère KONARE.

 LES ARGUMENTS DOUTEUX DE LA REFONDATION

Le mot refondation n’est certes pas une terminologique nouvelle dans le lexique politique maliens. Néanmoins, depuis Alpha Oumar KONARE avec son Forum politique et IBK avec sa Conférence d’Entente nationale et son DNI, c’est la toute première fois sous la 3ème République, qu’un espace national de concertation et de dialogue politique, se met au fronton le label de consonnance prétentieuse de refondation de l’Etat.

Dans le discours sur son PAG, voici ce que l’on apprend du Premier ministre Choguel sur la refondation : « La deuxième thérapie dont notre pays a besoin, est une profonde REFONDATION…Les crises cycliques, l’instabilité politique constatée tout au long des trois décennies de pratiques démocratique, l’insatisfaction générale face à l’Etat qui ne rassure pas et qui n’inspire pas confiance pour beaucoup de nos concitoyens, démontrent l’ampleur du mal et la nécessité de réformer en profondeur. L’impérieuse nécessité des réformes pour rénover non seulement le cadre politique, adapter les textes fondamentaux de la République, mais aussi doter notre pays d’institutions fortes et légitimes, permettront une stabilité politique et une paix sociale durable dans notre pays”.

Ainsi, simplement parce qu’on aurait procédé à des réformes institutionnelles accouchant « d’institutions fortes et légitimes”, le pays retrouvera aussitôt « une stabilité politique et une paix sociale durable dans » !

Au-delà de ce discours, la refondation s’alimente d’autres argumentaires abondamment développés comme fonds de commerce à ce qui présente toutes les apparences d’un simple slogan politique, voire politicien.

C’est ainsi qu’il est également question entre autres d’adapter l’Etat à nos réalités socioculturelles en nous inspirant de nos traditions, us et coutumes ; d’impliquer toutes les couches sociales y compris les autorités coutumières et religieuses dans la gestion de l’Etat…Comme si rien de tout cela n’avait été entrepris dans ce pays !

Le rêve d’une refondation imaginaire ?

En vérité, ces arguments dissimulent mal le côté quelque peu idyllique de l’élan rénovateur du sursaut à la source de la chute du régime de IBK. L’erreur serait toutefois de croire à un remake de la Conférence nationale de 91. Les Assises nationales dites de refondation paraissent à cet égard, des sortes d’Assises plutôt « couchées », plongées dans une sorte de rêve fou de refondation imaginaire.

Comme l’a si bien rappelé le Premier ministre lui-même tout en se refusant d’en tirer les conséquences, les Assises « s’appuieront sur les résolutions et recommandations des différents fora tenus ces dernières années (Dialogue national inclusif, Conférence d’entente nationale, Etats généraux de la décentralisation, Assises des différents secteurs, Comité d’appui aux réformes institutionnelles) ».

Il en découle naturellement que, tout comme ces béquilles sur qui tiennent debout les Assisses, l’on reste droit dans ses bottes dans la posture classique des grand-messes folkloriques auxquelles ont généralement recours les pouvoirs en panne de légitimité.

Le peuple en quête permanente de participation politique institutionnellement impossible, adore ce genre de théâtre d’illusion qui lui miroite un semblant de reconnaissance. Sans doute que vraisemblablement, le temps d’un défoulement collectif chronométré, les ANR leur permettront au moins d’exister politiquement. Et c’est tant mieux !

Il serait naïf cependant d’en espérer que les différents cris émis seront assez stridents pour inventer une quelconque refondation de l’Etat du Mali.

Le terme galvaudé de refondation de l’Etat qui maquille les Assises projetées, ressemble à cet arbre géant qui cache la forêt de la gouvernance malienne dont on se refuse à mettre les vrais mots sur les maux.

On continue d’en parler et de s’en référer, tant que le contenu réel et les modalités précises restent noyés dans les feuillages.

La Transition suffoque aujourd’hui de son brouhaha terminologique qui pollue l’environnement d’une gouvernance politique vertueuse pourtant bien possible dans ce pays, pourvu qu’on s’en donne les moyens adéquats.

Ce qui paraît d’ores et déjà, c’est qu’en tout état de cause :

– L’Etat ne va pas se refonder dans la violation impunie des textes de la République parfois de la part de ceux-là mêmes qui prônent la refondation ;

– L’Etat ne va pas se refonder dans le mépris de l’Etat de droit ;

– L’Etat ne va pas se refonder par l’apologie nostalgique d’un passé révolu enjolivé ;

– L’Etat ne va pas se refonder par incantation à coups de baguette magique.

REFONDER LES HOMMES OU REFONDER LES INSTITUTIONS ?

Les dysfonctionnements institutionnels à l’origine de la gouvernance sans les valeurs éthiques de la démocratie et de l’Etat de droit, restent le meilleur baromètre du porte à faux avec nos propres valeurs traditionnelles qui ne s’en distinguent pas au fond.

Autant que l’éthique de la démocratie et de l’Etat de droit, ces règlent prônent entre autres le respect des règles qui nous gouvernent, le respect de la chose publique, le respect de la parole donnée, le refus du mensonge, etc…

Contrairement à ce qui est généralement servi à l’opinion, nos valeurs traditionnelles se marient parfaitement avec les règles éthiques du fonctionnement démocratique des institutions qui nous gouvernent.

Mais le constat est que la mal gouvernance qui a caractérisé les régimes successifs depuis 92 notamment, n’a été possible qu’au prix du piétinement à la fois de nos valeurs éthiques et morales ancestrales censées être en nous et des règles éthiques d’Etat de droit inhérentes à la démocratie.

C’est justement dans l’espace de décalage entre la pratique institutionnelle d’une part et les valeurs éthiques ancestrales ainsi que les règles éthiques d’Etat de droit d’autre part que se cachent les clés d’une vraie refondation.

Il faudrait dans ce sens, privilégier aux réformes institutionnelles, la réforme éthique des hommes et des femmes.

La refondation doit principalement viser davantage, non pas la quincaillerie institutionnelle de l’Etat, mais plutôt le software chez les hommes  et femmes dans le sens du respect et de la promotion des vertus et valeurs républicaines qui se ressourcent dans nos traditions millénaires.

Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)

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