Après moult alertes, inquiétudes et craintes quant à la tenue de ce scrutin, les maliens se sont mobilisés pour exprimer leur choix dans les urnes le dimanche 29 juillet 2018. Une mobilisation record, s’agissant de la diaspora malienne en France.
Le chaos tant redouté, n’a, finalement, et fort heureusement pas été au rendez-vous. Le citoyen malien a su raison garder, peut-on constater partout où le vote a pu se tenir.
La classe politique devrait d’ailleurs s’en inspirer. Après quatre jours d’interminables attentes, avec son lot de déclarations et de revendications de part et d’autre, la commission nationale de centralisation a fini par rendre son verdict.
Le TAKOKELEN (un coup KO) clamé par le camp présidentiel, et le tout sauf Boua (tous contre le papa ou le vieux, parlant du Président sortant) clamé par l’opposition, ont tous, lamentablement, échoué. Même si ces résultats ressemblent à du déjà vu (un second tour IBK vs Soumaïla CISSÉ), un certain nombre de constats s’impose.
De la question de la fraude électorale et de la responsabilité des acteurs politiques :
Je souhaite m’acquitter au prime abord d’un devoir d’honnêteté, qui me semble indispensable avant tout propos. Il me parait encore illusoire voire utopique, de penser qu’on peut, à ce stade de notre processus démocratique, organiser des élections au Mali, exempt de fraude. Tant la fraude électorale s’est incrustée dans les gènes des acteurs politiques. Pour reprendre l’expression de feu Salif KANOUTE, ancien président de la cour constitutionnelle lors de la proclamation des résultats de l’élection législative de 2007, « tous les acteurs politiques et candidats de quelque bord politique qu’ils soient se sont installés à demeure dans la fraude généralisée ». Le juge constitutionnel, s’estimant impuissant, enfonce le clou en ces termes : « J’ai la profonde conviction que tous les candidats se sont confortablement installés dans la fraude […] Les délégués de la CENI sont muets, les délégués de la Cour sont muets, les présidents des bureaux de vote sont muets ». Cet aveu d’impuissance du garant de la légalité constitutionnelle aurait pu interpeller les acteurs politiques maliens. Pourtant, aucun des acteurs n’a songé à assainir le cadre des élections. Ils ont continué à en abuser.
Cette déclaration publique, radiodiffusée et disponible sur les réseaux sociaux, de Cherif Ousmane Madani HAÏDARA, guide spirituel du mouvement Ançar dine (à ne pas confondre avec le groupe dirigé par Iyad Ag Agaly), je cite : « Soumaïla CISSÉ, m’a envoyé, le député Mamadou Hawa GASSAMA, avec 100 millions de FCFA (un peu plus de 150000€), pour que je soutienne sa candidature », nous renseigne sur l’autre dimension du fléau. Donc la fraude, l’achat de conscience, c’est triste de le reconnaitre, semble, faire partie intégrante, du processus électoral malien en l’état, même s’il faut l’admettre, comme l’a dit Salif KANOUTE, cité plus haut, il est très difficile voire impossible pour un camp d’apporter la preuve contre l’autre camp.
Cela dit, les résultats du premier tour, doivent être analysés sous plusieurs angles, en dépit des irrégularités décriées çà et là.
La participation :
Malgré l’effervescence qu’on pouvait constater sur les réseaux sociaux et dans les états major de campagne, le taux de participation reste une grande déception 3 445 178votantssur 8 millions de potentiels électeurs
contre3 345253 en 2013 soit un peu moins de 100 000 votants de plus qu’au scrutin de 2013.Ce résultat bien que compréhensible, eu égard au contexte sécuritaire, traduit un désintérêt du malien de la chose politique entre autres raisons.
Après la grande mobilisation contre le projet de réforme constitutionnelle, on s’attendait à un peu mieux que çà.
L’ordre d’arrivée :
Ibrahim Boubacar Keïta et Soumaïla CISSE, sans grande surprise, sont premier et second. Ils sont suivis par Aliou Boubacar Diallo et Cheick
Modibo Diarra. Cet ordre d’arrivée, reflète le pouvoir de l’argent. En effet les trois premiers sont ceux qui ont le plus investi financièrement dans la campagne. Et l’ordre d’arrivée reflète pour les trois premiers, à juste proportion le poids financier du candidat, sans négliger le bénéfice de l’appareil d’Etat, pour Ibrahim Boubacar KEÏTA. Le cas CMD, s’explique autrement. Nous l’évoquerons plus loin.
Les scores et mon interprétation :
Au regard des chiffres, après les cinq ans d’un mandat jugé chaotique par l’opposition, soutenue par une grande partie des médias occidentaux et nationaux, mais positif pour son camp, Ibrahim Boubacar KEÏTA, contre tout attente s’en tire avec 1 333 813 voix au premier tour contre
1 175769 en 2013. Il obtient 158 044 votants de plus qu’en 2013. Soumaïla CISSÉ, malgré « l’espoir qu’il suscite » au sein de la population, parce que porte étendard d’une coalition de partis et de potentiels candidats, régresse de 9 016 voix totalisant 573
111 voix contre 582 127 en 2013. Par ailleurs, malgré la volonté de changement largement exprimée et le dégoût de l’ancien establishment politique, on constate que les deux plus anciens candidats mobilisent près de 60% de l’électorat malien, tandis que les deux seconds du peloton de tête qui, incarnent un certain renouveau, peinent à totaliser 20% de l’électorat malien (pour être précis 15.41%).Cela pourrait s’expliquer par le fait que le
Malien ne soit pas encore déterminé à faire le ménage. Les maliens se complaisent, pour 59% voire plus, dans le système qui est en cours depuis 1991.
Évidemment, chacun tire la couverture à soi et accuse l’autre camp de tous les tords. A ce propos, j’ai entendu le candidat Soumaïla CISSÉ et certains analystes dire que pour la première fois un président sortant est contraint au second tour au Mali. Pour l’instant les résultats ne sont pas commentés par le candidat IBK. Si je m’en tiens donc, à la déclaration de CISSÉ, quelque part je suis tenté dis, heureusement pour la démocratie malienne ! Ce serait là une preuve que la démocratie malienne avance dans le bon sens, suis-je tenté d’admettre ! Et si, cela devrait être mis dans le bilan « négatif » de l’actuel Président, je suis tenté de lui dire bravo ! Parce que ceux qui avancent ces propos, devraient avoir l’humilité de reconnaitre qu’en 1997, s’est tenue au Mali, une élection présidentielle qui ne répondait pas aux standards d’une consultation démocratique inclusive. Et pour cause, l’opposition, qui, au regard du fiasco des législatives, du reste, annulées par la cour constitutionnelle, avait de réels motifs de contestation, n’a pas été entendue. Elle a boycotté le scrutin présidentiel. Le pouvoir en place s’est entêté à organiser ce qui pourrait être considéré, comme l’une des pires mascarades électorales de l’histoire de la démocratie en Afrique de l’Ouest, avec à la clé un « demi candidat » acheté à coup de milliards pour sauver les meubles.
L’ancien Président ivoirien, Laurent GBAGBO, s’en servait, d’ailleurs à chaque fois qu’il en avait l’occasion, pour ironiser sur ses adversaires ou répondre aux critiques formulées sur les conditions de son élection. Parmi les responsables de cette mascarade, il y avait Ibrahim Boubacar
KEÏTA, Premier Ministre, et Soumaïla CISSÉ, puissant Ministre des Finances, entre autres. En 2007, même si j’étais convaincu qu’ATT allait sortir vainqueur du scrutin, s’il y avait eu un deuxième tour, ses alliés, parmi lesquels, d’ailleurs, l’actuel chef de file de l’opposition, ont usé de tous les moyens illégaux pour le faire réélire dès le premier tour, au mépris de la démocratie. C’est le scrutin, lors duquel, l’actuel Premier Ministre, aurait obtenu, si j’ai bonne mémoire, zéro voix, dans le bureau de vote où avait voté son frère et de surcroit son mandataire en France. Contre ATT, nous avions entre autres : Ibrahim Boubacar KEÏTA, Président de l’assemblée nationale, Tiébilé DRAMÉ et Soumeylou Boubeye MAÏGA, qui sera d’ailleurs exclu de sa formation politique (ADEMA) pour s’être opposé au choix de la direction du parti de soutenir la candidature d’ATT. Rappelons que le taux de participation en 2007 était de 36,24%. Donc pour tout démocrate qui se respecte, 1997 et 2007 ne doivent pas servir d’exemple ou de modèle de réussite.
Ce sont plutôt deux pages sombres de notre jeune démocratie qu’il faut
vite oublier. Après ce petit rappel d’un contexte historique, revenons à l’objet de cette analyse, c’est-à-dire les résultats du premier tour.
De l’interprétation tendancieuse des résultats à la réalité des chiffres
Dans une déclaration faite à la presse, le chef de file de l’opposition dit «Le 29 juillet, il y a eu un vote-sanction contre le président sortant : la sanction d’un homme, d’un bilan, d’une gouvernance, la sanction de l’arrogance d’ETAT, la sanction de la gouvernance du mépris – Le camp du changement, le camp du Mali est désormais majoritaire.» IBK a obtenu 41.42% et Soumaïla CISSÉ 17.80.
Faisons un petit calcul élémentaire.
En retranchant le score d’IBK du total de votant on obtient 58.58%. En faisant de même pour Soumaïla CISSÉ, 100% – 17.80% ont obtient 82.80%.
S’il est vrai comme l’a dit, le chef de file de l’opposition, qui du reste est le porte étendard d’une coalition dont l’objectif est l’alternance ou du moins remplacer IBK par CISSE, que 58.58% des maliens ont voté contre le Président IBK, il serait tout aussi vrai, et cela, l’opposition devrait en tenir compte, que 82.20%, des maliens auraient voté contre Soumaïla CISSE ou contre la coalition dont il est le porte-drapeau. Pour rappel, en 2002 et en 2013, respectivement 65.01% et 77.61 % avaient voté contre Soumaïla CISSÉ. IBK n’ayant jamais été au second tour, cette comparaison n’est pas disponible dans son cas. Je rappelle au passage qu’il y avait quatre regroupements politiques : Ensemble pour le Mali (EPM), représenté par IBK ; le Nouveau Pôle Politique (NPP), représenté par Modibo SIDIBE ; « Ensemble restaurons l’espoir » représenté par Soumaïla CISSE, et enfin la coalition CMD2018, représentée par Dr Cheick Modibo DIARRA.
S’agissant de l’aspiration au changement exprimée, en désaccord total avec les suffrages sortis des urnes, qui contredisent cette volonté de changement, on constate que 67.67% des suffrages ont été accordés à ceux qui sont sur la scène politique depuis plus de 25 ans. IBK, Soumaïla CISSÉ, Oumar MARIKO, Choguel Kokala MAÏGA, MountagaTALL, Kalfa SANOGO, Modibo SIDIBE, Daba DIAWARA, Dramane DEMBÉLÉ.
Même si dans ce lot, il peut y avoir matière également à polémique.
L’intégrité morale n’entraine pas nécessairement un vote de confiance au Mali.
Pour ceux des candidats qui participent à la gestion des affaires publiques depuis l’avènement de la démocratie, il apparait, que ceux qui semblent être un peu mieux perçus en termes d’intégrité et probité morale, en faisant allusion à leur rapport aux deniers publics, sont ceux qui ont obtenu, les scores les plus faibles. Modibo SIDIBE, qui fait presque l’unanimité sur sa rigueur dans cette gestion des deniers publics, récolte 1.43% des voix contre 4.97% en 2013.Pourtant en 2013, il portait sur ses épaules les allégations de la gestion de « l’Initiative Riz» (un programme de subvention de la production nationale de riz). Oumar Mariko, l’éternel opposant à tous les régimes, récolte 2.32 % contre 2.57% cinq ans plutôt. Mountaga TALL, qui, à part son entrée au gouvernement en 2013, ne trainait aucune casserole, récolte 0.63% contre 1.54% en 2013. Cela démontre combien l’électeur malien a sa vision des vertueux. Et comment il récompense la vertu.
Loin de moi, une quelconque volonté d’émettre un jugement sur l’intégrité ou la moralité des autres. Je fais juste un constat au regard de ce que j’entends en longueur de journée sur les hommes politiques.
Pour terminer, l’exploit visible de Cheick Modibo DIARRA, suscite de l’espoir. Venu de très loin sans argent, il récolte 240 290 voix soit 7.49% des suffrages exprimés. Ce score qui peut s’expliquer par le ralliement de Moussa MARA qui avait fait une campagne de proximité dans le pays profond et à Bamako, démontre qu’il existe tout de même une catégorie de maliens qui croit fermement au changement et qui est prête à se mouiller pour cela. Le total du score des candidats qui suscitent moins de critiques sur leur participation à l’action publique et qui sont plus ou moins considérés comme « propres », au vrai sens du terme – qui ne se sont pas enrichis sur les deniers publics- est d’à peine 30% des votes.
Je cite volontairement ceux qui ont occupé soit une fonction élective ou une fonction ministérielle, ou une responsabilité publique : entre autres Cheick Modibo DIARRA, Oumar MARIKO, Mountaga TALL, Modibo SIDIBE, Mamadou Igor DIARRA, Kalfa SANOGO, Yeah SAMAKE, Modibo KADJOGUÉ, Moussa Sinko, Housseyni Amion GUINDO, Modibo KONE.
Conclusion :
Pour conclure, ces résultats révèlent à mes yeux les constats suivants :
L’écart énorme entre la volonté de changement exprimée sur les « lèvres » à travers diverses récriminations adressées au régime actuel et la réalité qui sort des urnes. Cela confirme, ce que nous savons déjà au Mali, qui semble être une évidence dans beaucoup de pays africains, c’est que tout le monde réclame le changement, mais très peu de personnes en veulent lorsque l’occasion leur est offerte de l’opérer.
En 2018 encore, au Mali, l’élection se gagne à la puissance de la bourse.
Le vote reflète le pouvoir financier du candidat et cela malgré les nombreuses déceptions vécues, malgré la situation chaotique dans laquelle est plongée une très grande partie du territoire national.
Si nous partons du postulat qui voudrait que tous ceux n’ont pas voté pour moi, ont voté contre moi, pour ainsi, reprendre le raisonnement du chef de file de l’opposition, ces résultats reflèteraient alors un désamour des maliens pour ce dernier, 82.20% auraient voté contre lui. A contrario, ils reflèteraient une tolérance à l’égard d’IBK, et de sa gestion, en progression malgré tous les scandales qu’on lui colle. En 2018, 58.58% auraient voté contre lui. En 2013 ils avaient été 60.21% à lui démontrer leur désamour au premier tour.
Ils expriment également que le malien aime moins les vertueux. Plus vous êtes vertueux, moins vous avez de soutiens électoraux en tout cas.
Pour terminer sur une note d’espoir, il y a tout de même 30% des maliens qui sont prêts pour le changement, au regard du cumul des scores de ceux que je définis plus haut comme « propres », même s’ils ne s’accordent pas encore sur la personne qui l’incarnerait le mieux. Celui qui veut gagner les élections de 2023, devra chercher à rassembler ce vivier et à l’enrichir.
Makanfing KONATE Journaliste et chercheur
Mali Demain