«Ces endroits se situent dans ce qu’on appelle des territoires contestés, c’est un morceau de l’Irak que les autorités kurdes revendiquent», poursuit Donatella Rovera en précisant que l’hypothèse d’une velléité d’annexion n’est, pour l’instant, pas encore confirmée. Amnesty continue d’enquêter mais craint qu’il y ait une volonté de contrôle permanent sur ces provinces.
«Sans réponse»
«De nombreuses maisons ont été détruites en raison des combats entre les peshmergas et les membres de Daech dans des villages situés dans des zones de guerre», s’est défendu immédiatement Dindar Zebari, chef de la commission gouvernementale kurde et porte-parole après la publication du rapport d’Amnesty. Il affirme que les frappes menées par la coalition internationale en soutien aux peshmergas auraient aussi provoqué la destruction de maisons.
«Nous savons reconnaître des dégâts de bombardements et ceux provoqués par des incendies ou des bulldozers, réplique Donatella Rovera, qui indique que certains endroits sont d’ailleurs situés hors des zones de combats. Mercredi, les autorités kurdes ont réagi publiquement à notre rapport et ont rejeté les accusations, mais ça faisait un mois qu’on leur avait écrit concernant ces faits sans obtenir aucune réponse.»
«Ne pas généraliser»
Contactée par Libération, Myriam Benraad, chercheuse Moyen-Orient à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam) et pour la fondation pour la recherche stratégique (SRS), estime que «les deux versions sont valables». «Les provinces sont des zones discutées et il y a certainement une volonté de revanche de la part des Kurdes après l’arabisation de ces régions sous Saddam Hussein, concède Myriam Benraad, mais ces destructions ne participent pas d’une politique systématique, il ne faut pas généraliser.»
Selon les dires de Dindar Zebari, certains villageois, dont des «chefs tribaux», auraient «coopéré avec Daech». Les forces kurdes craignent que la population locale soutienne les terroristes. D’ailleurs, certains villages sont même désignés comme «villages terroristes» par les forces kurdes, «mais si les autorités kurdes avaient de vraies preuves concernant le soutien des Arabes à l’EI, elles auraient organisé des procès et les auraient traduits en justice», argumente la membre d’Amnesty International.
«Les sunnites, mauvaises victimes»
«Aujourd’hui, les Arabes sunnites sont les mauvaises victimes, personne ne s’en soucie car certains membres de cette communauté ont pu soutenir Daech», explique Donatella Rovera. Ce que confirme Myriam Benraad en précisant que «si les populations arabes fuient les zones conquises par l’EI, c’est bien parce que les jihadistes les oppressent et que cette représentativité de la communauté sunnite dont se targue l’organisation terroriste est fictive».
Donatella Rovera souligne que la publication du rapport d’Amnesty International s’adresse en premier lieu aux autorités kurdes, «car ce sont ceux qui peuvent agir pour que ce genre de pratiques cesse». Elle rappelle pour conclure que les populations arabes ont déjà tout perdu, et qu’en détruisant leurs maisons et leurs terres, on détruit leurs moyens de subsistance étant donné qu’elles sont majoritairement composées de fermiers, d’éleveurs et d’agriculteurs. «Si de telles actions ne sont pas maîtrisées, elles finiront par nuire à la lutte contre Daech. Elles aggravent la crise humanitaire et entravent les efforts de réconciliation», a réagi le colonel Steve Warren, porte-parole des opérations de la coalition contre l’EI.