L’Afrique et Haïti face aux murs de l’oubli et du mépris
Il n’existe pas de « pays de merde », comme l’aurait ainsi déclaré Donald Trump à la mi-janvier, mais des pays agressés et bouleversés par une poignée de nations cherchant à disposer de leurs richesses.
« Pourquoi est-ce que toutes ces personnes issues de pays de merde viennent ici ? », demande l’inénarrable président américain, Donald Trump. Il paraît que mis à part l’excès pondéral, il se porte à merveille. Grand bien lui fasse ! Moins que l’homme, c’est l’extrême droitisation et l’ensauvagement des démocraties occidentales, dont son comportement est le parfait reflet, qui devraient nous inquiéter.
Si l’indignation provoquée est légitime, elle a la faiblesse d’être sélective. Donald Trump ne fait que révéler haut et fort la pensée qui, en Europe, préside au tri des migrants en « bons », à accueillir avec humanité, et en « mauvais », à laisser pourrir dans l’enfer libyen, mourir en Méditerranée ou à rejeter avec fermeté quand ils parviennent, au prix de mille et un obstacles, à fouler le sol européen.
Les coups que nous prenons en ce moment, dont cette insulte, contribueront, je l’espère, à l’éveil de nos consciences.
Plus important que les propos de tel ou tel dirigeant américain ou européen en quête de légitimité auprès d’un électorat apeuré – parce que désinformé est notre propre regard d’Africains et d’Afro-descendants sur nous-mêmes – dans un monde d’injustice, de mépris et de déni d’humanité.
Les coups que nous prenons en ce moment, dont cette insulte, contribueront, je l’espère, à l’éveil de nos consciences assoupies par le discours soporifique sur la croissance économique, les accords ‘’gagnant-gagnant’’ et l’émergence. Cessons de prendre l’ombre pour la proie. Les dominants sont, en réalité, à la recherche de marchés émergents.
Les bâtisseurs de murs ne veulent pas d’une Afrique émergente qui viendra alors, comme l’Asie, leur donner du fil à retordre. Dans quel réservoir puiseraient-ils pétrole, gaz, uranium, métaux rares et autres ressources stratégiques si l’Afrique parvenait à s’industrialiser et à devenir un marché de 2 milliards de consommateurs de produits africains ? Les dominants sont, en réalité, à la recherche de marchés émergents pour les biens et services de leurs grandes entreprises, pour la relance de leurs économies, la croissance et l’emploi.
Il faut être menacé ou persécuté dans son pays pour avoir droit à l’asile, disent les partis et les mouvements anti-immigration.
Nous sommes, assurément, à la fin d’un cycle et d’un mythe : la mondialisation heureuse, comme l’attestent également l’ampleur des attentats terroristes et le réchauffement climatique. Il n’y a jamais eu autant de murs de par le monde, alors que la chute de celui de Berlin devait marquer le début d’un monde ouvert à tous et à toutes.
J’aurais aimé que nos ambassadeurs, qui demandent à Donald Trump de se rétracter, posent, dans le même élan, des questions aux dirigeants européens sur le racisme anti-noir qui est manifeste dans leur gestion des flux migratoires et les traitements particulièrement inhumains et dégradants réservés aux Subsahariens. Le président sénégalais Macky Sall l’a juste effleuré lors du sommet de la Valette, où il a déclaré qu’« on ne peut pas insister à réadmettre les Africains chez eux pendant qu’on parle d’accueillir les Syriens et d’autres ».
Les femmes africaines et leurs nombreux enfants ont une sacrée revanche à prendre sur l’ordre des riches.
Il faut être menacé ou persécuté dans son pays pour avoir droit à l’asile, disent les partis et les mouvements anti-immigration. Mais l’échange relève de la guerre. Il est d’autant plus destructeur que le FMI, la Banque mondiale et l’OMC sont du côté des pays riches. Les migrants « économiques » sont donc des victimes de cette guerre qui, à ce titre, devraient avoir droit à l’asile ou à un pacte de non-agression économique et/ou militaire de la part des pays qui considèrent qu’ils ne peuvent pas accumuler toute la misère du monde.
Les femmes africaines et leurs nombreux enfants, qui sont, semble-t-il, un facteur de déstabilisation du continent, ont une sacrée revanche à prendre sur l’ordre des riches, par la discrimination positive au profit des produits africains. Les intellectuels et les artistes éclairés et engagés sont interpellés.
Il n’existe pas de « pays de merde », ni en Afrique ni ailleurs, mais des pays agressés et bouleversés
« Migrances », la rencontre annuelle des artistes, des intellectuels et d’autres acteurs de la société civile – dont la 12e édition vient d’avoir lieu du 16 au 18 décembre 2017 au Centre Amadou Hampaté Ba (Cahba) de Bamako –, est une démarche de déconstruction des thèses dominantes sur les causes de la fuite et de l’errance des Africains dans le désert du Sahara, en mer, aux frontières de l’Europe et en son sein.
« Nous ne nous sentons nullement « merdeux » mais affligés ». Il n’existe pas de « pays de merde », ni en Afrique ni ailleurs, mais des pays agressés et bouleversés de fond en comble par une poignée de nations pour disposer de leurs richesses. Leurs peuples désemparés, aux destins confisqués, revendiquent juste leur droit à la mobilité, à l’humanité et à la dignité.
Il n’existe pas de « pays de merde » mais un ordre mondial prédateur, congénitalement corrompu et corrupteur, raciste et guerrier.
La honte doit changer de camp !
Les liens entre l’Afrique et les Antilles sont plus qu’allusifs. Ils sont historiques et douloureux, parce que forgés par le sang, la sueur et les larmes des esclaves, sans qui l’Europe et les États-Unis n’auraient pas pu prétendre à la prospérité qui justifie tant d’arrogance.
Une fois de plus, pour occulter les crimes d’hier et ceux qui sont en train d’être perpétrés, on voudrait couvrir de honte le continent noir. Nous avons, indiscutablement d’énormes défis à relever. Mais nous ne nous sentons nullement « merdeux » mais affligés, pour ceux qu’Aimé Césaire nomme « nos vainqueurs omniscients et naïfs ».
La honte doit changer de camp !
Aminata Dramane Traoré