Le capital culturel est l’ensemble des ressources culturelles que dispose une personne, de la même manière qu’elle peut être détentrice d’un patrimoine économique.
J’entends ici par ressources culturelles un univers de liants géographiques, distinctifs, de langages, de pratiques, émotionnels, spirituels, intellectuels, de compétences, d’intérêts qui permet de mettre en mouvement un groupe d’individus ensemble et dans la confiance.
Le capital culturel d’un individu définit sa manière d’être, de faire et de vivre en société.
C’est le principal déterminant de sa qualité de producteur et de consommateur, de son niveau d’ouverture d’esprit et de tolérance, de sa capacité de coopération et de son intelligence émotionnelle. En résumé, c’est son logiciel. Il est construit, se développe et surtout, se cultive au niveau individuel et institutionnel (famille, quartier, ville, pays, communauté de pays, monde, et de plus en plus par l’univers virtuel…). Plus est pauvre le capital culturel d’un individu, moins est sa capacité d’adaptation et de construction de solutions.
Au Mali, l’extrême pauvreté du capital culturel des citoyens empêche la construction d’une société harmonieuse et la mise en place d’une dynamique de développement durable.
Voilà ce que nous avons observé des jeunes lors de deux de nos programmes de diffusion culturelle et de construction citoyenne :
- le Road-Show en 2014, un programme de diffusion culturelle et d’animation citoyenne, qui a couvert 160 villages et quartiers des régions de Mopti, Ségou et Kayes et qui a mis en action plus de 9 000 jeunes de ces 3 régions
- Nyanajè Taama en 2022, le pilote d’un programme de diffusion culturelle et d’animation citoyenne, qui a couvert 6 régions (Segou, San, Koutiala, Sikasso, Bougouni, Dioïla), 60 villages et quartiers, et mis en action plus de 6 000 jeunes.
Les jeunes que nous avons observés, à travers un sondage orienté, ont très majoritairement un capital culturel assez pauvre. Nous les avons définis comme « le jeune au capital culturel intermédiaire ».
Relativement scolarisé, le jeune au capital culturel intermédiaire est généralement issu du milieu rural. Il n’a pas accès à la culture contemporaine, à la bibliothèque, à la saine information. Il ne lit pas. Il s’accroche à sa tradition, quand ça l’arrange, alors qu’il n’y est pas en général initié.
Sa principale source d’information est issue des réseaux sociaux généralement dominés de fakenews. Il n’est pas suffisamment outillé pour identifier les fakenews. Ses principales pratiques culturelles sont : la navigation sur les réseaux sociaux, le grin (groupe de causerie), la mosquée de vendredi, les balani shows (soirée dansante sonorisée en plein air), et singulièrement pour les jeunes filles, les prêches religieuses et les « soumou ».
Les repères du jeune au capital culturel intermédiaire sont très fluctuants et sont aujourd’hui assez liés au buzz. Il veut être à la mode des autres. Ça le sécurise intimement. Ça lui donne l’impression d’être un élément qui compte dans un groupe.
Il soutient généralement tout changement ou rupture institutionnelle. Ça crée en lui l’espoir qu’un jour la loterie tomberait sur lui ou sur un de ses proches. L’espoir qu’un jour lui aussi pourrait devenir « un grand quelqu’un ». Pourquoi pas le Président du Mali ? Il n’aura pas besoin de faire de grandes Écoles, d’avoir un parcours qui crédibilise sa capacité à gouverner, de faire l’effort de convaincre un électorat. Ce qui lui semble hors de portée. Par contre, il a à sa portée de rentrer dans l’armée et d’attendre son potentiel tour. Pourquoi pas de faire un jour un coup d’État ?
Le jeune au capital culturel intermédiaire s’accroche tellement à cet espoir que toute personne ou organisation qui pourrait prétendre à une meilleure dynamique du pays, nous préservant de ces incertitudes, est immédiatement détestée.
Le jeune au capital culturel intermédiaire fait, dans sa très large majorité (près de 75 %), le choix professionnel de la gendarmerie, de l’armée, de la police, de la justice, de l’administration de commandement (préfet, sous-préfet.),… les principaux corps d’un État de commandement, pour ne pas dire une administration coloniale. Il ne croit pas à l’entrepreneuriat. C’est très incertain.
Ce capital culturel, ce logiciel, observé au niveau de ces jeunes, n’est pas en mesure de penser et d’actionner du développement durable pour notre pays. Il ne peut que développer la lutte pour la conquête et le contrôle de la rente publique. Ça s’observait déjà dans le fonctionnement de la défunte AEEM.
La crise multidimensionnelle que subit le Mali depuis 2012 ainsi que la multiplication des instabilités institutionnelles et sociales qui en ont résulté tirent de là une grande partie de leur énergie.
Un accès organisé et régulier à la culture est une solution urgente et concrète à ce dysfonctionnement structurel. Il permettra d’installer dans les esprits et dans les cœurs une vraie culture moderne, numérique, entrepreneuriale et démocratique qui seule permettra que l’État moderne soit sincèrement intériorisé comme le représentant de l’intérêt général.
Pour notre pays, c’est une question urgente de sécurité nationale.
Alioune Ifra NDiaye