Les Algériens ne lâchent rien. Une foule immense a de nouveau envahi le centre d’Alger et les principales villes d’Algérie ce vendredi 5 avril, le premier depuis le départ du président Abdelaziz Bouteflika.
La démission d’Abdelaziz Bouteflika, arrachée dans la semaine, n’est qu’une « demi-victoire » pour les Algériens qui ont manifesté à nouveau en masse pour un septième vendredi consécutif, afin de chasser le « système » du pouvoir et empêcher les anciens fidèles du président déchu de gérer la transition. Une foule immense a de nouveau envahi le centre d’Alger et les principales villes d’Algérie ce vendredi 5 avril, le premier depuis le départ du président.
Manifestations aussi à Oran, Constantine, Annaba…
Confronté à une contestation populaire inédite déclenchée le 22 février et très affaibli depuis un AVC en 2013, Abdelaziz Bouteflika, 82 ans, a démissionné mardi 2 avril après vingt ans passés au pouvoir. Déterminés à se débarrasser du « système » dans son ensemble, les Algériens sont à nouveau descendus très massivement dans la rue, pour le septième vendredi consécutif.
D’imposants cortèges ont défilé à Oran, Constantine et Annaba, 2e, 3e et 4e villes du pays, ont rapporté des journalistes de médias algériens sur place. L’agence de presse officielle APS a recensé des manifestations dans 41 des 48 régions, rendant compte de façon inédite des slogans très hostiles au pouvoir. L’essentiel des manifestations sont terminées et le gigantesque rassemblement d’Alger se dispersait progressivement peu après 19 h. Aucun incident n’a été signalé à travers le pays.
« Rien ne changera s’il part seul et laisse ses hommes »
« On ne pardonnera pas ! », ont notamment scandé les manifestants, en référence à la lettre d’adieu mercredi du chef de l’État, dans laquelle il a demandé pardon aux Algériens. Arrivé tôt de Boumerdès près d’Alger, Said Wafi, 42 ans, employé d’une banque publique, voulait « être le premier manifestant contre le système. Le départ de Bouteflika ne veut rien dire si ses hommes continuent à gérer le pays ».
« Bouteflika était très malade, il ne gouvernait pas en réalité et rien ne changera s’il part seul et laisse ses hommes », renchérit Samir Ouzine, étudiant de 19 ans. Avec sa démission, le néologisme « vendredire », inventé par les contestataires et signifiant « manifester joyeusement », a acquis sur les réseaux sociaux, un sens supplémentaire : « faire chuter un régime dictatorial pacifiquement ».
Les protestataires appellent au départ des « 3B »
« La démission du président ne signifie pas qu’on a eu réellement gain de cause », avait expliqué dans une vidéo sur internet, l’avocat Mustapha Bouchachi, une voix de la contestation, appelant à faire de vendredi « un grand jour ». Message reçu.
Les protestataires ont appelé au départ des « 3B », Abdelkader Bensalah, Tayeb Belaiz et Noureddine Bedoui, trois hommes-clés de l’appareil mis en place par Abdelaziz Bouteflika et à qui la Constitution confie les rênes du processus d’intérim.
Président depuis plus de seizeans du Conseil de la Nation (chambre haute), Abdelkader Bensalah est chargé par la Constitution de remplacer le chef de l’État pour trois mois, le temps d’élire un successeur lors d’une présidentielle. Tayeb Belaiz, qui fut durant ces seize ans ministre, préside le Conseil constitutionnel, chargé de contrôler la régularité du scrutin.
Le Premier ministre Noureddine Bedoui était jusqu’à sa nomination le 11 mars le très zélé ministre de l’Intérieur et aux yeux des manifestants l’« ingénieur en chef de la fraude électorale et ennemi des libertés », comme l’a qualifié le quotidien francophone El Watan.
L’opposition appelle à « une nouvelle Constitution »
« S’en tenir à la Constitution », et confier l’intérim et l’organisation des élections à des hommes incarnant le système, « va probablement susciter pas mal de protestations », estime Isabelle Werenfels, chercheuse associée à l’Institut allemand pour les Affaires internationales et de Sécurité.
À la place, les manifestants appellent à la mise sur pied d’institutions de transition à même d’engager des réformes et d’organiser des élections libres. « L’après Bouteflika n’est pas clair. La rue et les partis » d’opposition « appellent à une nouvelle Constitution, une nouvelle loi électorale », souligne Hamza Meddeb, chercheur sur le Moyen-Orient à l’Institut universitaire européen de Florence. L’Algérie entre dans « la phase la plus délicate ».
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