Des enquêtes Afrobarometer menées dans 39 pays africains entre fin 2021 et mi-2023 montrent que les citoyens donnent une évaluation de plus en plus sombre de la situation économique de leur pays et de leurs propres conditions de vie, et que moins de la moitié s’attendent à une amélioration dans un avenir proche. L’enquête dévoile que les préoccupations des Africains concernant la gestion économique ont augmenté ces dernières années, plaçant ce problème au deuxième rang, après le chômage, parmi les principales priorités auxquelles les citoyens souhaitent que leur gouvernement s’attaque.
Un nombre croissant d’Africains déclarent se retrouver privés de besoins de première nécessité tels qu’un revenu en espèces, des soins médicaux, de la nourriture et de l’eau. Dans la plupart des pays sondés, les majorités connaissent une pauvreté vécue modérée ou élevée, et les notes des citoyens sur les indicateurs clés de la performance économique de leur gouvernement sont sombres et empirent.
En effet, le continent africain traverse une période de turbulences économiques. Les retombées de la pandémie de COVID-19, la guerre entre la Russie et l’Ukraine et la hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis, entre autres, sont autant de facteurs qui ont mis à rude épreuve les économies africaines déjà aux prises avec des niveaux élevés de dette publique et des ressources budgétaires limitées (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, 2023).
Face à ces défis, l’Afrique a fait preuve d’une résilience remarquable, avec une croissance moyenne qui devrait se stabiliser à 4,1% en 2023-2024, comparativement à une estimation de 3,8% en 2022 (Banque Africaine de Développement, 2023). Mais le durcissement des conditions financières mondiales, les pressions inflationnistes, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et les effets des changements climatiques font peser des menaces sur la relance économique du continent.
40% de la population vivent dessous du seuil de pauvreté
En outre, les pays africains continuent de faire face à divers problèmes structurels, des déficits infrastructurels aux coupures d’électricité en passant par l’insécurité croissante (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, 2023).
Environ 40% de la population vivent encore en dessous du seuil de pauvreté (Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique, 2021), et les taux de chômage demeurent élevés, particulièrement chez les jeunes (Organisation Internationale des Employeurs, 2024).
En moyenne, à travers 39 pays sondés entre fin 2021 et mi-2023, le chômage et la gestion de l’économie arrivent en tête des problèmes les plus importants auxquels les Africains veulent que leur gouvernement s’attaque, avec la santé.
A travers les 31 pays régulièrement sondés depuis 2014/2015, la proportion des citoyens qui mentionnent la gestion de l’économie parmi leurs principales priorités a plus que doublé. Environ deux tiers (65%) des citoyens considèrent la situation économique de leur pays « assez mauvaise » ou « très mauvaise ». Plus de la moitié (52%) ont également une vision morose de leurs conditions de vie personnelles. Ces deux appréciations se sont considérablement aggravées depuis 2014/2015.
Les citoyens sont très divisés sur la question de savoir si les conditions économiques vont s’améliorer (40%) ou se dégrader (35%) au cours des 12 prochains mois. Huit répondants sur 10 (81%) déclarent qu’eux-mêmes ou un membre de leur ménage ont manqué de revenus en espèces au moins une fois au cours de l’année précédente, dont 43% « plusieurs fois » ou « toujours ». Deux tiers (65%) déclarent avoir manqué de soins médicaux au moins une fois, et six sur 10 environ ont souffert de manque de nourriture (59%) et d’eau (56%). Six Africains sur 10 (61%) ont connu un niveau modéré ou élevé de pauvreté vécue au cours de l’année écoulée. La pauvreté vécue modérée ou élevée est en hausse et touche des majorités dans tous les pays sondés à l’exception de huit sur les 39, dont plus de huit citoyens sur 10 au Congo-Brazzaville (86%), en Mauritanie (84%), au Niger (84%) et au Cameroun (81%). Seulement un quart (26%) des Africains estiment que leurs gouvernements réalisent une « assez bonne » ou « très bonne » performance dans la gestion de l’économie. Ils sont encore moins nombreux à féliciter leurs gouvernements pour leurs performances dans l’amélioration du niveau de vie des pauvres (22%), la création d’emplois (20%), la réduction du fossé entre riches et pauvres (16%) et le maintien de la stabilité des prix (12%).
Dans les 39 pays sondés entre fin 2021 et mi-2023, deux enjeux économiques arrivent en tête des problèmes les plus importants auxquels les citoyens souhaitent que leur gouvernement s’attaque. Il s’agit du chômage (mentionné par 33% des répondants) et de la gestion de l’économie (ex aequo avec la santé, à 29%). En outre, 13% des répondants mentionnent la pauvreté et 6% les salaires comme priorités absolues de l’action gouvernementale.
Le chômage en tête des préoccupations
Le chômage figure systématiquement en tête des préoccupations des Africains, ce qui reflète le fait qu’en moyenne, à travers 39 pays, environ un tiers (32%) des adultes déclarent être au chômage et à la recherche d’un emploi. Trois personnes sur 10 déclarent travailler soit à temps plein (20%), soit à temps partiel (10%), tandis que 38% ne sont pas sur le marché du travail.
Les seuls pays où la moitié ou plus des citoyens déclarent être employés sont les Seychelles (67%), la Tanzanie (58%), le Ghana (55%), le Maroc (52%) et l’Ethiopie (50%), tandis que les citoyens sont le plus susceptibles d’être au chômage et à la recherche d’un emploi en Angola (60%), à São Tomé et Príncipe (53%) et au Botswana (52%).
La gestion de l’économie, quant à elle, est une priorité principale pour une écrasante majorité de 92% des citoyens en Tunisie, pays durement touché par l’escalade des prix et la stagnation des salaires (Guardian, 2023).
La gestion économique est également une préoccupation majeure pour la majorité des Soudanais (62%) et des Malawites (56%). Par contre, moins d’un citoyen sur 10 accordent la priorité à cette question en Afrique du Sud (6%), au Lesotho (7%), au Congo-Brazzaville (9%), au Mozambique (9%) et en Guinée (9%).
A travers 31 pays régulièrement sondés entre 2014 et 2023, la proportion des citoyens qui mentionnent la gestion de l’économie comme une priorité absolue a plus que doublé (de 12% à 30%).
Les hausses sont particulièrement remarquables en Tunisie (un bond de 63 points de pourcentage), au Soudan (+36 points), à Maurice (+32 points), en Zambie (+31 points), en Sierra Leone (+31 points), au Sénégal (+31 points) et au Malawi (+30 points). Le Libéria est le seul pays à avoir enregistré une baisse (-8 points) de la proportion des personnes pour lesquelles l’économie est une préoccupation majeure.
PAR MODIBO KONÉ