IN MEMORIAM. Co-tombeur de l’apartheid, le dernier président blanc d’Afrique du Sud, disparu ce 11 novembre, avait été co-récipiendaire du Nobel de la Paix avec Nelson Mandela.
ans un message vidéo de 7 minutes adressé aux Sud-africains à titre posthume et dévoilé ce 11 novembre, quelques heures après son décès, Frederik de Klerk s’est excusé « sans réserve » pour « la douleur et le mal, et l’indignité et les dégâts » causés par l’apartheid, à titre personnel autant qu’en sa qualité de dirigeant. Il a affirmé avoir défendu l’apartheid dans sa jeunesse mais avoir complètement changé d’avis sur le régime au début des années 1980. Il n’a en revanche pas apporté davantage d’éclairages sur son rôle dans les répressions de l’apartheid.
Quoiqu’il en soit, c’est l’un des symboles de toute une époque qui vient de tirer sa révérence. L’information a été donnée par la Fondation FW de Klerk qui a indiqué que Frederik Willem de Klerk, dernier président de l’Afrique du Sud sous apartheid, avait rendu son dernier souffle à l’âge de 85 ans à son domicile en banlieue du Cap. Il souffrait d’un cancer. Dernier président blanc du pays, il avait contribué à mettre fin au régime en légalisant l’opposition noire et en entamant des négociations avec Nelson Mandela.
Un politicien conservateur…
Pourtant, Frederick de Klerk ne semblait pourtant pas destiné à devenir l’un des acteurs de la chute de l’apartheid. Né le 18 mars 1936 dans une famille afrikaner très conservatrice et d’un père ministre, il grandit au cœur de la politique nationaliste. Membre du Parti national, le parti de l’apartheid, depuis ses études de droit, il est élu député en 1972, et intègre en 1978 le cabinet ministériel du très à droite John Vorster – un ami de son père. Il occupera ensuite divers postes clés au sein des gouvernements de Pieter Botha, comme ministre des Mines et de l’Energie ou ministre des Affaires internes.
Membre actif de l’aile conservatrice du Parti national, il en gravit les échelons jusqu’à en devenir le chef en 1989, alors que Botha est encore au pouvoir. Après plusieurs mois de crise ouverte entre les deux hommes, de Klerk finit par l’emporter : Botha démissionne et lui cède la tête de l’Etat. “Rien dans son passé ne semblait indiquer l’ombre d’un esprit de réforme”, résumera Nelson Mandela dans son autobiographie.
… qui a été un acteur majeur de la fin de l’apartheid…
Conservateur, de Klerk n’en est pas moins un pragmatique. Sous Botha, la situation économique du pays s’est aggravée, plombée par les sanctions internationales et les troubles internes. De nombreuses manifestations anti-apartheid sont violemment réprimées par la police, le pays bouillonne. Frederik de Klerk est conscient des réformes inévitables qui doivent être menées. C’est ainsi qu’il annonce le 2 février 1990, seulement six mois après son élection, la libération de Nelson Mandela et la légalisation de plusieurs organisations de résistance noires jusqu’alors considérées comme terroristes, en particulier le Congrès national africain (l’ANC). « L’époque de la violence est terminée. Le temps est venu de la reconstruction et de la réconciliation », déclare-t-il. C’est le début de la fin pour l’apartheid.
… malgré un contexte des plus tendus
Cette décision plonge le pays dans une vague de violence, alors que les suprémacistes afrikaners refusent de restreindre leurs privilèges, et que le Kwazulu-Natal est le théâtre de violents affrontements entre l’Inkatha Freedom Party et l’ANC. En mars 1992, de Klerk soumet à référendum la poursuite des négociations. Il récolte 68 % d’approbation de la population blanche (les noirs n’ayant pas encore le droit de vote), ce qui le conforte dans ses réformes. Avec Nelson Mandela, il prépare une transition douce pour sortir de l’apartheid, ce qui leur vaudra à tous deux de recevoir le prix Nobel de la Paix en 1993.
En 1994, les premières élections multiraciales et démocratiques du pays consacrent l’ANC et Nelson Mandela devient président. De Klerk quant à lui devient vice-président avec Thabo Mbeki, rôle qu’il occupera jusqu’à sa démission en 1996. Il se retire ensuite de la vie politique et crée en 1999 la fondation F. W. de Klerk destinée à promouvoir la paix dans les Etats multi-communautaires.
Controverses et polémiques
Pendant les années 2000 et 2010, Frederik de Klerk s’exprimera à plusieurs reprises pour critiquer la nouvelle gouvernance du pays, et accumulera plusieurs saillies polémiques. Quelques semaines seulement après que Nelson Mandela lui rende hommage en 2006 à l’occasion de ses 70 ans pour avoir évité un bain de sang au pays, l’ancien président de l’apartheid n’hésite ainsi pas à réagir face à Desmond Tutu qui regrette que la « communauté blanche sud-africaine (ne soit) pas assez reconnaissante envers les Noirs sud-africains pour la générosité que ceux-ci ont eue à leur égard ». Pour Frederik Willem de Klerk, les citoyens noirs devraient être reconnaissants envers les Blancs pour leur avoir laissé le pouvoir et avoir ainsi surmonté leurs peurs. Tout en s’excusant pour l’apartheid, « moralement indéfendable », il refusa d’admettre que son gouvernement était un « régime criminel », et de condamner fermement le régime de l’apartheid.
Pourtant acteur de l’appareil d’oppression de l’apartheid pendant ses années au sein des différents gouvernements, il a souvent minimisé sa responsabilité personnelle. Lors de la Commission vérité et réconciliation chargée de faire la lumière sur les crimes commis pendant l’apartheid, l’ancien ministre et président a laissé de nombreuses questions sans réponses concernant son rôle dans la répression, une attitude qui lui a été souvent reprochée.
En 2012, il fit à nouveau polémique avec un entretien à CNN dans lequel il justifia la logique de séparation raciale, et donc le principe fondateur de l’apartheid. Il compara ainsi les bantoustans, ces territoires limités où les noirs étaient envoyés de force par le régime ségrégationniste, à la création des Etats Tchèque ou Slovaque. Il ira jusqu’à déclarer en 2020 que l’apartheid n’avait pas été un crime contre l’humanité, avant de s’excuser pour ses propos.
Source: lepoint